La définition réglementaire de l’aliment en Europe

Publié par Didier Montet, le 9 mai 2020   2.4k

 Aussi étrange que cela puisse paraitre dans un pays comme la France où la nourriture est plus importante que toutes autres choses, il a fallu attendre 2005 pour avoir une définition réglementaire de l’aliment au niveau européen. Ce règlement que l’on appelle Food Law porte le numéro 178/2002 et a une réputation mondiale. Il est valable pour tous les pays et sert de base à toutes les réglementations liées à l’aliment. Ces réglementations sont nombreuses. Il se trouve ainsi que les autres règlements sur le serveur internet de l’Union Européenne en accès libre dans toutes les langues de la communauté (http://eur-lex.europa.eu). Il a été publié en 2002 et est appliqué depuis le 1er janvier 2005.

 On peut donc y trouver, entre autres, la définition de l’aliment, la sûreté que doivent en attendre les consommateurs européens et la notion de traçabilité. Il établit les principes régissant les denrées alimentaires et l’alimentation animale, et la sécurité des denrées alimentaires et des aliments au niveau communautaire et au niveau national. Il établit des principes et des responsabilités communs à tous les états européens et établit le principe de management des crises sanitaires alimentaires.

 

Je reviens donc sur cet événement qui concerne la première définition réglementaire de l‘aliment en Europe. Selon ce texte, on entend par « denrée alimentaire » toute substance ou produit transformé, partiellement transformé ou non transformé, destiné à être ingéré ou raisonnablement susceptible d’être ingéré par l’être humain. Ce terme recouvre les boissons, les gommes à mâcher et toute substance, y compris l’eau, intégrée intentionnellement dans les denrées alimentaires au cours de leur fabrication, de leur préparation ou de leur traitement.

Comme ce texte a été écrit principalement par des juristes, ils ont cru bon et a juste titre de définir ce que n’est pas un aliment et qui se consomme pourtant par la bouche.

 

Le terme Aliment n’inclut pas :

a) les Aliments pour animaux

b) les Animaux vivants

c) les Plantes avant récolte

d) les Médicaments

e) les Cosmétiques

f) le Tabac et dérivés

g) les Narcotiques ou psychotropiques

h) les Résidus et contaminants

 

Il est important de comprendre que les animaux ne sont considérés comme des aliments qu’une fois tués et les plantes récoltées. Si nous broutons des salades sur pied, il s’agit d’un produit agricole et non d’un aliment et la salade est régit par d’autres textes liés à l’agriculture dont je ne ferai pas référence ici.

Les rédacteurs de ce texte ont oublié les fruits de mer mais ils se sont rattrapés depuis sur un règlement relatant les précautions à prendre en microbiologie (2073/2005). Si on applique ce règlement à la lettre, la consommation de coquillages sur pied pourrait causer des problèmes en cas de litige sur une intoxication par exemple.

 

Le texte différencie bien les aliments pour humains par rapport aux aliments pour animaux. Les aliments pour animaux sont en effet interdits en alimentation humaine. Les contrôleurs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) font d’ailleurs régulièrement des descentes dans certains restaurants dits exotiques qui utilisent de la nourriture pour animaux pour préparer leurs délicieux mets.

Il est facile de comprendre que les médicaments, les cosmétiques, le tabac et dérivés et les narcotiques ou psychotropiques ne sont pas des aliments malgré leur consommation par la bouche. Ils relèvent bien sur d’autres réglementations. Une nourriture intra veineuse sera régit par des règlements médicaux.

L’eau est devenue un aliment en 2005. Avant 2005, elle était traitée à part comme de …l’eau. Cela implique que l’eau du robinet dans toute l’Union Européenne doit être distribuée potable aux robinets.

 

La plupart de ces termes sont faciles à comprendre mais lorsqu’on regarde la dernière ligne «Résidus et contaminants», il faut comprendre que nous ne devons pas trouver dans nos aliments ni résidus chimiques provenant des process de fabrication de l’aliment, ni herbicide et pesticide issus des traitements agricoles, ni contaminant provenant par exemple des contaminations microbiennes qui pourraient produire des toxines.

 

Il est évidemment très difficile de ne rien trouver dans les aliments avec les équipements analytiques actuels, ce qui a conduit depuis très longtemps les pouvoirs publics à publier des normes. Pour simplifier, la norme est la valeur analytique sous laquelle la quantité de toxique ne présente pas de danger pour le consommateur au vue de groupes d’experts internationaux. En effet il n’existe pas à ce jour de système qui permette de calculer une norme sans utiliser les cerveaux de groupe d’experts.

Il est évident que le consommateur souhaiterait que ce chiffre soit de zéro pour tous les toxiques mais ce n’est malheureusement pas possible tout simplement parce que la nature produit des produits toxiques tout comme certains process, traitements… De plus, il faut que les aliments puissent être échangés entre pays, régions… La norme est donc une quantité très basse mais toujours supérieure à zéro.

 

Le principe de précaution a d’ailleurs été intégré à ce texte de loi pour palier au fait que le scientifique n’a pas toujours une réponse. Le principe de précaution propose un système qui permet au scientifique d’étudier un problème qui se pose sans avoir à trancher immédiatement et dans la hâte. A titre d’exemple, cela aurait pu éviter les problèmes causés par l’amiante que l’on a découvert bien trop tard. L’amiante était il y a quelques années un produit miracle qui avait la particularité de ne pas brûler. Ce produit a sûrement évité de nombreuses pertes humaines dans les incendies mais cela intéresse-t-il encore quelqu’un ? Sachez que si on appliquait la règle du principe de précaution sur certains aliments traditionnels, nous ne serions pas sur de leurs maintiens sur le marché.

A titre d’exemple, on pourrait penser aux hydrocarbures polycycliques produits par le barbecue lors de la cuisson des viandes ou la fabrication du caramel qui produit des dérivés de sucre oxydés. Heureusement, les aliments traditionnels ne subissent pas cette règle et ne sont pas expertisés par les experts sauf bien sur si le danger est important. Un aliment traditionnel est un aliment consommé historiquement dans une région du monde définie. L’Europe est notre région et cette région inclut les territoires ultra marins. Il peut ne pas être traditionnel dans une autre région et donc doit passer par une expertise nationale réalisée par les experts de l’Anses. La banane et l’ananas sont donc des produits alimentaires européens !

La Communauté Européenne a donc fixé extrêmement haut le niveau de sûreté des aliments consommés par les consommateurs européens en Europe. Il faut noter aussi que les aliments importés doivent respecter les mêmes règles. Cela implique pour les pays exportateurs, dont certains sont des pays en voie de développement, des contraintes importantes qui peuvent tirer la qualité de leurs aliments vers le haut mais qui sont souvent considérées par ces pays comme des barrières douanières.

 

Les exploitants industriels sont donc sous surveillance permanente et doivent appliquer les normes et les règlements. Si un exploitant du secteur alimentaire considère qu’un aliment qu’il a fabriqué transformé, distribué ou importé ne répond pas aux prescriptions relatives à la sécurité des denrées alimentaires, il engage immédiatement les procédures de retrait du marché et doit en informer les autorités compétentes. Les médias sont mobilisés lorsque la situation le nécessite.

Le fait d’informer le consommateur par les médias favorise et amplifie les craintes des consommateurs. La compréhension est souvent difficile et l’information partielle.

Je vous donne un exemple qui est tiré d’une histoire vraie que je donne souvent à mes étudiants :

Je vous dis cette phrase qui parait simple : des scientifiques américains ont trouvé de la dioxine dans des saumons en mer adriatique.

Quels mots avaient vous compris : américains mais que font-ils en adriatique ?

Dioxine : pas évident. En fait ce sont des composés interdits en alimentaire avec une réputation cancérigène

Mer adriatique : c’est où ?

Donc le seul mot que le consommateur comprend est le mot saumon donc il ne consommera pas de saumon pendant un certain temps (en général deux semaines environ) et mangera autres choses mettant en danger la filière saumons!

 

Nous voyons là les limites d’un règlement européen qui, pour protéger le consommateur, peut créer rapidement une psychose qui peut elle-même conduire à une crise. La crise est un problème sanitaire médiatisé à outrance et créant de la confusion dans la compréhension du problème.

Mais que faire ? Les gens ont besoin d’informations qui leur font peur et l’alimentation est un vecteur idéal puisque c’est une action quotidienne obligatoire. Il est en effet impensable de publier une revue sans parler d’alimentation et des bienfaits de telles plantes ou molécules !

 

Le consommateur comprend souvent ce qui l’arrange et je vous donne cet exemple réel du chocolat belge consommé en Thaïlande que j’ai vécu en présence du chocolatier belge. Et oui il y a certains avantages à travailler dans l’alimentaire !

 

Je me trouvais en Thaïlande où j’ai eu l’occasion de rencontrer un chocolatier belge qui se plaignait de ne plus vendre son chocolat…belge. L’explication venait du fait qu’une information tout à fait juste avait été diffusée à la télévision thaïlandaise annonçant que l’on avait trouvé des traces de dioxines dans du lait belge en Belgique. Le rapprochement a été fait très rapidement par les consommateurs thaïlandais entre le lait belge à la dioxine et le chocolat belge !

En fait, il n’y avait pas de dioxine dans le chocolat belge thaïlandais car les chocolats belges de Thaïlande sont fabriqués avec des laits Australiens ou Néo-Zélandais et même depuis quelques années Thaïlandais.

 

Vous savez maintenant ce qu’est un aliment vu par des juristes, des analystes, des experts. Tout ce petit monde s’occupe de vous en permanence afin de vous assurer une bonne sécurité sanitaire.

La qualité de l’aliment vu par le consommateur est complexe et va dépendre de ce que recherche le consommateur. Cette qualité va être liée par exemple à son gout, à son origine, à son caractère religieux, écologique, énergétique (sportif), régime…. Mais la sureté est indispensable dans tous les cas.