Fortification en thiamine : double bénéfice pour la mère et l’enfant
Publié par IRD Occitanie, le 29 mars 2022 770
Les carences en vitamine B1, ou thiamine, connues pour causer le béri béri, provoquent aussi des retards de développement chez les jeunes enfants. Des scientifiques cambodgiens, américains, canadiens et français (UMR QUALISUD) se sont attachés à cerner les paramètres à prendre en compte pour optimiser les campagnes de fortification.
Comment lutter contre le béri béri1 chez les nourrissons allaités par des mères carencées en thiamine ? En améliorant les apports de cette vitamine essentielle. Encore faut-il savoir quand, comment et combien…
Le béribéri frappe encore au XXIème siècle
Connu depuis des siècles en Asie, le béribéri impacte encore aujourd’hui des populations dont l’aliment principal est le riz blanc. L’organisme humain n’étant pas capable de produire de la vitamine B1, il doit la trouver dans l’alimentation. Le manque de thiamine – autre nom de la Vit B1 – provoque plusieurs symptômes dont la fatigue, l’insuffisance cardiaque, des œdèmes et neuropathies, pouvant entraîner la mort. On sait depuis peu que cette carence est à l’origine de retards du développement cognitif chez les jeunes enfants. Le terme « Thiamine Deficiency Disorders » a été proposé pour inclure tous ces symptômes. « Lors d’une première étude, nous avions montré que plus de 25 % des femmes et 15 % des enfants cambodgiens étaient carencés en thiamine et que les bébés de 6 à 12 mois étaient les plus touchés », avance Frank T. Wieringa, médecin biochimiste de la nutrition à l’IRD. Avec ses partenaires, il s’intéresse alors aux effets positifs que peut avoir un enrichissement quotidien en thiamine donnée aux mères pendant les 6 premiers mois de l'allaitement.
Tout est une question de dosage et de timing
Au Cambodge, comme dans de nombreux pays du sud-est asiatique, le régime alimentaire est basé sur le riz décortiqué or c’est dans l’enveloppe du grain que se trouve la thiamine. « Nous avons administré des doses variables de vit B1 à 335 mères dès l’accouchement et les avons suivis ainsi que leurs enfants pendant un an, rapporte Frank T. Wieringa. Bien entendu les enfants étaient nourris au sein de façon exclusive ». Les résultats sont encourageants : il y a bien un impact significatif sur le développement cognitif des enfants allaités, en particulier sur l’apprentissage de la langue, mais seulement pour la dose la plus élevée (10 mg/jour) soit 8 fois ce qui est recommandé par l’OMS2. Une étude complémentaire menée dans l’ethnie Khmer prouve que l’effet bénéfique de la fortification profite également aux mères dont l’état nutritionnel s’améliore et cela dès la dose de base.
Des stratégies basées sur l’alimentation fortifiée
Une fois prouvée l’efficacité de l’enrichissement en thiamine, restait à s’attaquer à une question d’importance : quel support alimentaire utiliser pour que les populations concernées par la carence en vit B1 reçoivent leur dose journalière de la façon la plus simple possible ? « Nous avons réalisé des essais avec du riz fortifié en thiamine et une de nos collègues de l’Université Mt St. Vincent du Canada a testé la sauce de poisson fermenté comme aliment fortifié mais nous cherchions un support plus largement répandu », raconte le chercheur. Le sel est finalement choisi. Encore fallait-il savoir combien de thiamine ajouter au sel pour éviter sous ou surdosage. Leur récente étude portait donc sur l’estimation de la consommation de sel par jour. Pratiquée auprès de 400 femmes allaitant un bébé de moins de 6 mois, l’évaluation a fourni les chiffres de 7,4 à 11,9 g/jour. Cette fourchette - rapportée à la dose de thiamine recommandée - indique qu’il faut ajouter 275 mg de thiamine par kilo de sel. Le sel au Cambodge étant déjà enrichi avec de l’iode, les chercheurs veulent désormais tester l’impact d’une double fortification iode + thiamine. Plus largement, une alimentation variée et incluant des sources animales procure normalement des apports suffisants en thiamine3. Dans une dernière publication, Frank T Wieringa et ses partenaires explorent 4 stratégies envisageables. « A l’échelle d’un pays, l’utilisation d’un aliment support reste la méthode la plus efficiente », conclue-t-il.
Notes :
1 - Signifie "je ne peux pas, je ne peux pas" en singhalais (Sri Lanka) et décrit ce que disent les patients atteins de béribéri lorsqu'on leur demande de se lever.
2 - Les recommandations ("recommended daily intakes" selon l'OMS) sont de 1,2 mg de thiamine par jour pour une femme en cours d'allaitement en bonne santé.
3 - On trouve la Vit B1 dans la levure alimentaire, les produits céréaliers complets, la viande (notamment le porc) et les oléagineux.
Publication : Gallant J, Chan K, Green TJ, Wieringa FT, Leemaqz S, Ngik R, Measelle JR, Baldwin DA, Borath M, Sophonneary P, et al. Low-dose thiamine supplementation of lactating Cambodian mothers improves human milk thiamine concentrations: a randomized controlled trial. Am J Clin Nutr 2021;114:90–100. https://doi.org/10.1093/ajcn/nqab05
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Autres publications :
- Whitfield KC, Bourassa MW, Adamolekun B, Bergeron G, Bettendorff L, Brown KH, Cox L, Fattal-Valevski A, Fischer PR, Frank EL, et al. Thiamine deficiency disorders: diagnosis, prevalence, and a roadmap for global control programs. Ann N Y Acad Sci 2018;1430:3–43
- Whitfield KC, Smith G, Chamnan C, Karakochuk CD, Sophonneary P, Kuong K, Dijkhuizen MA, Hong R, Berger J, Green TJ, Wieringa FT. High prevalence of thiamine (vitamin B1) deficiency in early childhood among a nationally representative sample of Cambodian women of childbearing age and their children. PLoS Negl Trop Dis 2017;11:e0005814
- Measelle JR, Baldwin DA, Gallant J, Chan K, Green TJ, Wieringa FT, Borath M, Prak S, Hampel D, Shahab-Ferdows S, et al. Thiamine supplementation holds neurocognitive benefits for breastfed infants during the first year of life. Ann N Y Acad Sci 2021;1498:116–32
- Chan K, Gallant J, Leemaqz S, Baldwin DA, Borath M, Kroeun H, Measelle JR, Ngik R, Prak S, Wieringa FT, et al. Assessment of salt intake to consider salt as a fortification vehicle for thiamine in Cambodia. Ann N Y Acad Sci 2021
- Whitfield KC, Smith TJ, Rohner F, Wieringa FT, Green TJ. Thiamine fortification strategies in low- and middle-income settings: a review. Ann N Y Acad Sci 2021;1498:29–45
Aller plus loin :
Contact science : Frank Wieringa, IRD, UMR QualiSud FRANCK.WIERINGA@IRD.FR
Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR
Source de la publication : Fortification en thiamine : double bénéfice pour la mère et l’enfant