Les latérites, archive du climat passé et clés du développement présent
Publié par IRD Occitanie, le 20 octobre 2025
Au Burkina Faso, une étude révèle comment 50 millions d’années de climats ont façonné les paysages tropicaux. Un savoir essentiel pour l’avenir
Les terres écarlates qui recouvrent plaines et plateaux d’Afrique de l’Ouest sont bien plus qu’un décor typique des tropiques. Ces latérites sont le témoin d’une histoire géologique longue de dizaines de millions d’années, faite d’interactions entre le climat et la surface de la Terre. Des recherches menées au Burkina Faso par les scientifiques de l’IRD et leurs partenaires burkinabè éclairent les processus et les événements qui ont dessiné les paysages latéritiques. Basés sur une cartographie haute résolution, des analyses géochimiques et une datation précise des latérites sur un site de référence situé dans le Centre-Nord du pays, ces travaux permettent de proposer un nouveau modèle d’évolution de la surface africaine.

« Les latérites se forment sous l’action de l’eau, qui traverse la roche, la dissout et laisse des terres ocres, lessivées et enrichies en fer, en aluminium et parfois en manganèse. Selon le climat qui prévaut à telle ou telle époque, chaud et humide, avec une intense altération chimique des roches, ou plus sec, avec peu de couvert végétal pour retenir les sols lors des grandes pluies, ceux-ci sont tour à tour transformés ou érodés et transportés vers le système hydrographique », explique Dominique Chardon, géologue à l’IRD au sein de l’unité GET.
Ces sols témoignent ainsi de périodes humides, durant lesquelles les latérites se formaient et se fixaient sur les continents sous l’effet d’une puissante transformation chimique des roches, et de celles plus sèches et plus dynamiques, où ces matériaux étaient exportés par les fleuves jusqu’à l’océan.
Une succession de transitions climatiques majeures
L’étude
menée au Burkina Faso a révélé plusieurs générations de latérites,
formées au cours de transitions climatiques majeures : il y a environ 45
millions d’années, 24 millions, puis plus récemment 11, 6 et 3 millions
d’années. Chacun de ces épisodes correspond à des phases de changement
du climat — passages entre régimes plus humides ou plus secs — qui ont
façonné les paysages tropicaux. La première transition, il y a 45
millions d’années, marque ainsi la fin du dernier pic climatique d’effet
de serre enregistré par la Terre à l’Éocène. L’avant-dernière coïncide
avec l’établissement des zones climatiques latitudinales modernes dans
la ceinture tropicale, voilà 6 millions d’années, tandis que la dernière
inaugure le régime de glaciations dans l’hémisphère Nord au début du
Quaternaire, il y a 3 millions d’années.
En outre, les scientifiques
montrent que ce n’est pas seulement la formation des latérites qui est
informative, mais aussi leur position dans le relief. Sur les plateaux,
on retrouve souvent des latérites anciennes — la roche transformée en
latérite est restée en place. Sur les versants, les altérations sont
plus fragmentées, et en plaine, les restes de latérite sont
essentiellement remobilisés par les eaux de pluie. Le paysage actuel de
l’Afrique de l’Ouest est donc le fruit de ces successions de formation,
d’érosion et de redéposition.

Issues de l'histoire géoclimatique ancienne, les latérites structurent les paysages des régions tropicales. © IG
Un enjeu de développement
Comprendre ces processus, leur histoire et les subtilités de la topographie latéritique n’est pas seulement un enjeu académique. Dans beaucoup de pays tropicaux, les latérites couvrent des portions majeures du territoire. Elles conditionnent les pratiques agricoles, influencent le régime hydrique, agissent sur la qualité des eaux et cachent souvent le sous-sol géologique. En agriculture, par exemple, la perméabilité, la richesse en nutriments et la capacité de rétention d’eau des sols latéritiques varient fortement selon leur profondeur, leur densité et leur âge. Ces différences conditionnent le choix des cultures, la gestion de l’irrigation, la fertilisation et l’aménagement des bassins versants.

« Les latérites font partie intégrante des paysages ouest-africains et un marqueur clé des processus d’altération chimique continentale. Les connaître, c’est mieux comprendre les dynamiques du sol, mieux gérer les ressources naturelles et mieux planifier le développement. », indique Benjamin Sawadogo, géologue à l’Université Joseph Ki-Zerbo à Ouagadougou.
Les auteurs de l’étude insistent en ce sens sur l’importance de former des géologues ancrés dans leur territoire, capables de lire et d’interpréter les paysages qu’ils connaissent. Cette appropriation locale est essentielle : elle permet d’adapter les modèles scientifiques aux réalités du terrain et de donner aux équipes sur place les moyens d’agir, au carrefour de divers enjeux de développement.
par Olivier Blot, IRD le Mag'
Source : https://lemag.ird.fr/fr/les-la...
Contact : Dominique Chardon, GET
Photo : © IRD - Michel Dukhan