Climat et paludisme : l'Afrique en première ligne d'une urgence mondiale
Publié par IRD Occitanie, le 17 octobre 2025
Des scientifiques et experts de la lutte contre le paludisme en Afrique alertent sur les risques sanitaires liés au changement climatique.
Le paludisme n’est plus seulement une maladie tropicale. C’est aujourd’hui l’un des visages les plus concrets de la crise climatique. Sur tout le continent africain, nous, chercheurs, médecins et responsables de santé publique, constatons un phénomène alarmant : les dérèglements du climat redessinent la carte du paludisme, étendent ses frontières, modifient les dynamiques de transmission et menacent les progrès obtenus à force de décennies d’efforts.

«Les moustiques, vecteurs du parasite, sont des organismes sensibles à la température, à l’humidité, aux précipitations. Avec le réchauffement, des zones autrefois trop froides ou trop sèches deviennent propices à la transmission », Diego Ayala, entomologiste médical à l’IRD au sein de l’unité MIVEGEC.
Ainsi, dans certaines régions d’altitude,
on voit apparaître des cas là où le paludisme avait disparu. Ailleurs,
les saisons des pluies sont affectées, modifiant la prolifération des
moustiques et la durée de la période de risque.
À cela s’ajoute une adaptation inquiétante des vecteurs eux-mêmes. Certaines espèces d’Anopheles
se sont installées dans les villes africaines et résistent de plus en
plus aux insecticides. D’autres changent de comportement : elles piquent
désormais davantage à l’extérieur ou dans la journée, rendant les
méthodes classiques — moustiquaires imprégnées, pulvérisations
d’intérieur — moins efficaces. Pendant ce temps, les événements
climatiques extrêmes — inondations, vagues de chaleur, sécheresses —
perturbent les systèmes de santé, déplacent les populations et créent
les conditions d’épidémies nouvelles.
Face à ces bouleversements, les
programmes nationaux de lutte contre le paludisme lancent un appel.
Leurs constats, réunis fin 2024 au Rwanda, sont unanimes : les
stratégies actuelles doivent évoluer. Les modèles climatiques globaux ne
suffisent plus ; il faut des données locales, des observations fines,
des systèmes d’alerte qui relient la météo, la biologie des Anopheles
et le système de surveillance de la santé publique. Sans cela, les
interventions risquent d’être tardives et de perdre en efficacité,
précisément au moment où la menace s’intensifie.

«L’intégration du climat dans les politiques de santé n’est plus une option, mais une urgence. Il faut anticiper les variations saisonnières, adapter les calendriers et campagnes de distribution des moustiquaires imprégnées d’insecticides, la pulvérisation intradomiciliaire d’insecticide à effet rémanent, la chimioprévention du paludisme saisonnier, etc. Il faut aussi instituer un comité multisectoriel incluant, entre autres, les météorologues, chercheurs en climat, experts en technologie de l'information, épidémiologistes, entomologistes, spécialistes des maladies infectieuses et les agents de santé communautaires », Gildas A. Yahouedo, entomologiste médical et spécialiste en santé publique, consultant au Programme spécial de recherche et de formation sur les maladies tropicales (TDR) à l’Organisation mondiale de la santé.
Les membres du comité doivent être issus des services météorologiques, instituts de recherche, universités, sociétés civiles, ministères de la santé et de tous autres départements ministériels. Ces comités sont appelés à faciliter la traduction des évidences scientifiques en interventions opérationnelles pour réduire les effets du changement climatique sur la transmission du paludisme.

Le réchauffement climatique favorise la prolifération de moustiques plus résistants et urbains, étendant le paludisme à de nouvelles zones et rendant sa lutte plus difficile.
© IRD - Nil Rahola
Pour
transformer ces ambitions en actions, il faut des moyens. Former les
équipes locales à l’analyse des données climatiques, renforcer les
laboratoires, moderniser la surveillance épidémiologique, tout cela a un
coût. Or, les ressources disponibles restent précaires et les
financements souvent dépendants de cycles politiques ou de priorités
extérieures. Le changement climatique impose d’inventer de nouveaux
modèles économiques : la lutte contre le paludisme doit être reconnue
comme une priorité de l’adaptation climatique. Les fonds dédiés à la
résilience et à la prévention des catastrophes devraient soutenir la
santé publique, en particulier les maladies à transmission vectorielle.
L’innovation
scientifique, elle aussi, doit s’adapter. De nouvelles moustiquaires
combinant plusieurs insecticides, des larvicides plus respectueux de
l’environnement, des outils de surveillance numériques ou communautaires
peuvent changer la donne. Les technologies émergentes, y compris la
modification génétique des moustiques, posent des questions éthiques,
mais elles méritent d’être explorées dans un cadre rigoureux et
transparent.
Enfin, et surtout, la clé du succès reste dans les
communautés elles-mêmes. Partout en Afrique, les habitants connaissent
les zones à risque, les points d’eau stagnante, les cycles de pluie.
Leur savoir local est précieux. Il faut les impliquer dans la
conception, l’implémentation et le suivi des activités, encourager les
réseaux d’alerte villageois, soutenir les pratiques collectives de
prévention. Car l’adaptation ne viendra pas seulement des laboratoires :
elle se construira sur le terrain, au plus près des réalités vécues.

«L’Afrique n’a pas choisi d’être en première ligne, mais elle possède une expérience unique. Ses chercheurs, ses institutions, ses communautés inventent déjà les solutions dont le reste du monde aura bientôt besoin. Reconnaître cette expertise, la financer, l’appuyer, c’est non seulement une exigence de santé publique, mais un impératif de justice climatique », Olivia Ngou, fondatrice et directrice de l’ONG Impact Santé Afrique, Cameroun.
Le paludisme change de visage. Ce n’est plus seulement un combat contre un moustique, c’est une lutte pour la résilience face à un climat qui se dérègle. L’Afrique, aujourd’hui, nous montre le chemin : elle ne demande pas la compassion, mais la coopération. Car dans cette bataille, chaque degré compte, chaque saison compte, chaque décision compte. Et le temps d’agir, c’est maintenant.
Diego Ayala, Gildas A. Yahouedo et Olivia Ngou cosignent une publication avec une cinquantaine d’autres spécialistes de la lutte contre le paludisme en Afrique.
Source : https://lemag.ird.fr/fr/climat...
Contact : Diego Ayala, MIVEGEC
Photo : IG