Travailler ailleurs, penser autrement - Retour sur le Forum Régional Sciences et Société 2025
Publié par Echosciences Occitanie, le 22 septembre 2025 51
Le Forum Régional Sciences et Société réunit chaque année une centaine d’acteurs et actrices impliqués dans le dialogue sciences-société en Occitanie afin de se rencontrer, de partager des expériences et imaginer des projets communs. L’édition 2025 portait sur le thème “Au-delà des frontières : le dialogue Sciences-Société à l’échelle internationale” qui s’est décliné à travers 10 ateliers-conférences thématiques. Retrouvez tous les comptes rendus sur cet article.
Retour sur la session “Travailler ailleurs, penser autrement : deux expériences de médiation à l’étranger”, Marie Huijbregts, Coresponsable de l'antenne Haute-Garonne des Petits Débrouillards Occitanie, et Virginie Poujol, Anthropologue et Directrice du Laboratoire d'Études et de Recherches sur l'Intervention Sociale.
Marie Huijbregts, coresponsable de l’antenne Haute-Garonne des Petits Débrouillards Occitanie, a présenté le projet “Integrated Nitrogen Studies in Africa”, un projet européen coordonné par l’Université de Toulouse. L’enjeu : sensibiliser aux paradoxes de l’azote – excès dans l’air, car lié à la pollution urbaine, et déficit dans les sols, causant des problèmes de fertilité – dans différents pays africains. Les Petits Débrouillards Occitanie ont été chargés du volet médiation scientifique : accompagnement des chercheurs, formations à la vulgarisation, animations auprès des scolaires et du grand public (en Côte d’Ivoire et au Kenya), et création d’outils pérennes (exposition audio, malle pédagogique...).
De son côté, Virginie Poujol, anthropologue et directrice du LERIS (Laboratoire d’études et de recherche sur l’intervention sociale), a exposé une toute autre démarche. Leur projet, “Agentivité des enfants en situation de conflit”, est un programme de recherche financé par Marie Skłodowska-Curie Actions Staff Exchanges et porté par l’Université autonome de Barcelone. Il s’articule autour d’une ethnographie artistique et d’une lecture décoloniale de l’enfance dans des contextes de violence. Le LERIS y intervient notamment via des formations à Tanger, auprès de professionnel-les de l’accompagnement social.
Entre hiérarchie et pédagogies actives
Les deux intervenantes ont mis en lumière les différences de posture, d’attentes et de rapports au savoir sur le terrain. Du côté des Petits Débrouillards, les animateurs ont dû s’adapter à des classes bien plus nombreuses qu’en France (jusqu’à 60 élèves), à un rapport à l’école plus hiérarchique, et à des pratiques pédagogiques moins participatives (sauf au Kenya, où l’influence de la culture anglo-saxonne rend les pédagogies actives plus familières).
Pour autant, les réactions des élèves, au fond, n’étaient pas si éloignées de celles observées en France. Ce qui changeait surtout, c’était le cadre, les moyens, et la manière d’engager la parole. Le projet a ainsi reposé sur un travail de terrain co-construit, à l’écoute des contextes urbains ou agricoles, en adaptant les outils au fil des interventions. Le soutien de relais locaux et d’universités partenaires a été déterminant pour contourner les obstacles administratifs (par exemple, l’entrée dans les écoles nécessitait l’accord des ministères locaux).
Au Maroc, le contexte était tout autre. Le LERIS a dû composer avec une situation où les participant-es à la formation n’avaient pas toujours choisi d’y assister. S’est posée alors la question du consentement réel à la participation. La barrière de la langue (français, espagnol, arabe) a parfois joué un rôle paradoxal : d’un côté, elle complexifiait les échanges ; de l’autre, elle ouvrait un espace d’appropriation locale des contenus, renversant ponctuellement les rapports de domination. Un des moments forts évoqués fut celui où les intervenantes, ne comprenant pas une discussion en arabe entre les participants, se sont retrouvées extérieures à l’échange – une forme d’égalité inversée inattendue.
Réflexivité et éthique : jusqu’où peut-on intervenir sans imposer ?
Au fil des échanges, une réflexion commune a émergé : comment intervenir sans reproduire des schémas extractivistes, où les intervenants occidentaux viendraient “prendre des données” sans transformation réelle pour les publics concernés ?
Les deux projets ont tenté de contourner cet écueil par la formation, la co-construction d’outils durables, et la volonté de transmission. Par exemple, les malles pédagogiques produites sur l’azote ont été remises aux enseignants-chercheurs locaux, qui ont ensuite réalisé des témoignages vidéos pour montrer leur réappropriation dans des cours universitaires en Afrique.
Malgré les défis, l’atelier a permis d’identifier plusieurs bonnes pratiques :
- S’entourer de relais locaux solides, capables d’ouvrir les portes (institutionnelles, culturelles, pédagogiques).
- Prévoir des temps de formation et de transmission qui s’inscrivent dans la durée.
- Privilégier le faire ensemble : la co-construction d’outils ou d’ateliers est un levier puissant pour redéfinir les rapports sociaux dans les projets.
- Assumer une réflexivité constante sur la position d’intervenant, notamment sur les enjeux de domination Nord/Sud, de genres et de langue.
- Éviter les interventions “one shot” déconnectées des dynamiques locales.
Enfin, l’atelier a permis de partager une opportunité concrète : le lancement du projet K REPORTERS, une initiative de mobilité internationale destinée aux étudiants en sciences humaines (ethnologie, sociologie, art), avec des terrains d’accueil dans neuf pays (Maroc, Colombie, Salvador, Cuba, Éthiopie, Norvège, Belgique, Espagne, Italie). Pour cela, il suffit de contacter Virginie Poujol. Un projet qui, à son tour, posera sans doute d’autres questions éthiques et méthodologiques – mais c’est tout le sens d’une médiation scientifique exigeante et en dialogue avec son contexte.
Pour échanger avec les intervenantes :
- Marie Huijbregts, Coresponsable de l'antenne Haute-Garonne des Petits Débrouillards Occitanie, m.huijbregts@lespetitsdebrouillards.org
- Virginie Poujol, Anthropologue et Directrice du Laboratoire d'Études et de Recherches sur l'Intervention Sociale, leris@leris.org
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