Faire science et faire sens pour les décideurs - Retour sur le Forum Régional Sciences et Société 2025

Publié par Echosciences Occitanie, le 22 septembre 2025   1

Le Forum Régional Sciences et Société réunit chaque année une centaine d’acteurs et actrices impliqués dans le dialogue sciences-société en Occitanie afin de se rencontrer, de partager des expériences et imaginer des projets communs. L’édition 2025 portait sur le thème “Au-delà des frontières : le dialogue Sciences-Société à l’échelle internationale” qui s’est décliné à travers 10 ateliers-conférences thématiques. Retrouvez tous les comptes rendus sur cet article.

Retour sur la session Faire science et faire sens pour les décideurs : enjeux et pistes d’ici et d’ailleurs, avec Gabriela Litre, Ingénieure de recherche et Chargée de mission scientifique de ICARES, l’Institut pour la Compréhension, l’Anticipation et l’inteRvention en Environnement et Santé globale, à l’Université de Montpellier Paul-Valéry, Julie Dirwimmer, Conseillère stratégique – relations science et société au Fonds de recherche du Québec, et Charles Morissette, Conseiller stratégique, INGSA et affaires internationales au Fonds de recherche du Québec.

Cette session a proposé une plongée concrète dans les mécanismes, tensions et opportunités qui caractérisent l’interface entre savoir scientifique et décision politique. Les trois intervenant-es, réunissant des expertises québécoises et françaises, ont partagé leurs expériences et stratégies pour rendre ce dialogue plus fluide, plus pertinent — et surtout, plus opérant.

Dès les premières interventions, les difficultés structurelles entre monde scientifique et sphère politique ont été posées : temporalités incompatibles, langages distincts, objectifs divergents... L’un des fils rouges de la discussion a été l’importance de reconnaître ces différences sans les surmonter artificiellement. Le dialogue ne peut se faire que par une meilleure connaissance mutuelle de ces univers.

Des réseaux pour accompagner cette interface délicate entre deux mondes

Charles Morissette, conseiller stratégique à l’International Network for Governmental Scientific Advice (INGSA), a rappelé que l’ambition de ce réseau, créé en 2014, est justement de construire des capacités de conseil scientifique, notamment dans les pays du Sud global. À travers ses quatre branches régionales (Afrique, Asie, Amérique latine/Caraïbes, Europe), l’INGSA développe des ateliers, des projets de mentorat et des formations à destination des chercheurs comme des décideurs. Une nouvelle branche est en cours de développement en Amérique du Nord, centrée sur les niveaux municipaux, où les besoins en conseil sont souvent plus immédiats et les marges d’action plus directes.

Pour s’impliquer depuis la France, deux voies s’ouvrent : rejoindre la branche européenne de l’INGSA (adhésion gratuite), ou participer aux travaux du Réseau francophone international en conseil scientifique (RFICS), co-initié avec le Fonds de recherche du Québec. Ce dernier vise à combler un vide en matière de réseau structuré francophone autour de la question du conseil scientifique.

L’exemple québécois : entre innovation institutionnelle et pragmatisme

Julie Dirwimmer, conseillère stratégique au Bureau du Scientifique en chef du Québec, a partagé un panorama inspirant des initiatives québécoises. Depuis 14 ans, le Québec s’est doté d’un poste de “Scientifique en chef”, chargé d’incarner et de coordonner la relation entre recherche et politiques publiques.

Plusieurs dispositifs emblématiques témoignent de cette volonté de structuration :

  • Des ateliers de simulation mettant en situation chercheurs et cadres de l’administration dans un pays fictif pour apprendre à raisonner dans le rôle de l’autre.
  • Des parcours de formation d’un an, où des chercheurs développent un projet d’intérêt public accompagné par un mentorat.
  • Le programme “Scientifiques en résidence”, permettant à des post-doctorants de s’immerger pendant deux ans dans une administration pour y intégrer des compétences analytiques et scientifiques.

L’impact est tangible : changements législatifs, montée en compétences des équipes administratives, et création de vocations durables à l’interface science-politique. Des scientifiques initialement sceptiques deviennent partie prenante des institutions. 

Faire science, faire sens… et faire ensemble

Gabriela Litre, ingénieure de recherche et chargée de mission scientifique à ICARES (Université de Montpellier Paul-Valéry), a apporté un éclairage ancré dans le contexte international mais également régional. Pour elle, le défi ne se limite pas à produire de la connaissance : il s’agit de la rendre intelligible et actionnable pour les décideurs, sans la dénaturer. Elle a insisté sur l’importance d’une approche transdisciplinaire qui tienne compte non seulement des sciences exactes, mais aussi des sciences humaines et sociales, afin d’éclairer les choix politiques dans toute leur complexité.

Elle a également souligné la nécessité de co-construire les cadres de dialogue avec les décideurs plutôt que d’arriver avec des solutions toutes faites : « On ne peut pas se contenter de transmettre des résultats. Ce qui fait sens pour un chercheur ne fait pas forcément sens pour un élu. Il faut des espaces où chacun puisse reformuler ses besoins et contraintes ».

Enfin, Gabriela Litre a insisté sur l’importance de l’échelle locale dans ces dispositifs. Les municipalités, souvent en première ligne face aux crises environnementales et sanitaires, peuvent devenir des laboratoires de dialogue science-société particulièrement féconds, à condition de créer des ponts entre chercheurs, élus, associations et citoyens.

Pragmatisme, fermeté et savoir-faire politique

Les échanges ont aussi mis en lumière des compétences transversales clés pour jouer un rôle efficace dans ce dialogue : construire la confiance, comprendre les temporalités politiques, surmonter la frustration, et maîtriser le “langage de l’autre”.

Le débat sur la posture d’humilité du scientifique a suscité des points de vue nuancés : est-elle une posture diplomatique ou un piège qui ouvre la voie à la relativisation des faits ? Le consensus s’est établi sur l’idée que l’humilité n’exclut pas la fermeté sur les faits : il est possible de défendre une vérité scientifique sans imposer unilatéralement une solution. Parlons alors plutôt de pragmatisme. 

Réduire la distance : stratégies concrètes

Plusieurs stratégies ont été proposées pour rapprocher les deux mondes :

  • Produire des notes synthétiques (1 page maximum), compréhensibles et mobilisables rapidement ;
  • Aller vers les décideurs : par exemple lors de petits-déjeuners parlementaires, ou par une présence proactive dans les commissions (où seuls 3% des intervenants sont des chercheurs aujourd’hui en France) ;
  • Former les journalistes à l’analyse des controverses pour mieux relayer les aspects scientifiques des enjeux auprès du grand public.

Influence et nouveaux formats de communication

La session a aussi abordé l’évolution de la communication scientifique à l’ère des réseaux sociaux. Le rôle des influenceurs, encore controversé, a été évoqué comme levier potentiel pour atteindre de nouveaux publics, notamment les plus jeunes. En parallèle, des figures scientifiques comme Christophe Cassou participent déjà à la formation des journalistes, avec des effets notables sur le traitement médiatique du changement climatique.

Qu’il s’agisse de renforcer les compétences des chercheurs, de créer des espaces de dialogue adaptés aux décideurs, ou encore de repenser les formats de communication, les pistes évoquées convergent vers une même idée : cela ne peut fonctionner qu’en s’appuyant sur la confiance, la clarté et la co-construction.

Pour échanger avec les intervenants : 

  • Gabriela Litre, Ingénieure de recherche et Chargée de mission scientifique de ICARES, l’Institut pour la Compréhension, l’Anticipation et l’inteRvention en Environnement et Santé globale, à l’Université de Montpellier Paul-Valéry, gabriela.litre@univ-montp3.fr 
  • Julie Dirwimmer, Conseillère stratégique – relations science et société au Fonds de recherche du Québec, julie.dirwimmer@frq.gouv.qc.ca  
  • Charles Morissette, Conseiller stratégique, INGSA et affaires internationales au Fonds de recherche du Québec, charles.morissette@frq.gouv.qc.ca 

Ressources pour aller plus loin : 

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