Redonner le goût des sciences en changeant la façon d'enseigner, 3e partie : conclusion

Publié par PLISKINE ROBERT, le 12 mars 2024   220

L'enseignement des sciences “exactes” ou “dures” accumule les contraintes qui le rendent difficile :

- C'est très abstrait par rapport à l'enseignement des “sciences humaines”, dont on voit de façon évidente l'application dans la vie quotidienne. On voit plus facilement l'application d'une Loi du Code Civil, qui est exprimée en Français (presque) courant, que l'application de la Loi de Joule, exprimée par une formule mathématique P = RI², qui ne montre son efficacité que quand un court-circuit ou la surcharge d'un bloc de prises met le feu à son domicile. L'effort de compréhension et d'abstraction est donc supérieur.

- La formation des enseignants d'un niveau suffisant est longue et difficile. Face aux contraintes de cette formation, il est plus simple, plus économique et plus confortable à un Ingénieur de Grande Ecole (Bac + 5 avec Concours) d'entrer dans l'Industrie (où on lui fournira des objectifs stables, des moyens et un bon salaire en échange de résultats) que dans l'Enseignement (où les objectifs fluctuent avec la valse des Ministres de l'Education, les moyens sont insuffisants, le salaire médiocre et la progression professionnelle indépendante de la compétence). Conséquence : on manque d'enseignants de qualité, ceux qui choisissent cette voie sont soit des passionnés, des mystiques de la transmission de connaissances – j'en ai eu en physique-chimie et en maths qui ont entraîné mon choix d'enseigner en fin de carrière d'ingénieur - , mais ils sont très rares, soit sont d'un niveau et/ou d'une motivation insuffisants pour une carrière dans l'industrie – quoique très rares en sciences exactes dans les lycées même si j’en ai rencontrés -.

- La nature même de l'enseignement des sciences exactes est basée sur la théorie (qui tombe dont on ne sait d'où), puis les applications générales faciles à montrer en établissement scolaire (exemple pour l'effet Joule : faire chauffer de l'eau avec une bouilloire électrique ou allumer une lampe à incandescence si on en trouve une), et presque jamais l'application en grand, spectaculaire et passionnante, comme la visite d'une centrale hydro-électrique et les postes de transformation très hautes tensions alors que l'Occitanie en est couverte.

C'est sur ce dernier point que sont basées la présente étude et les solutions proposées : en résumé, au lieu de partir de la théorie et aboutir à un exemple pratique, connu dans la vie quotidienne, faire l'inverse : partir d'un objet du quotidien, expliquer comment il fonctionne et – en fonction du niveau de l'élève – aboutir à l'étude mathématique et des lois de la physique-chimie du phénomène mis en cause. Même l'Education Nationale s'en est rendue compte ! Sur les nouveaux programmes (2012 sauf erreur de ma part) au lieu de partir des équations différentielles sur la charge/décharge d'un condensateur (comme c'est passionnant...) et d'arriver au fonctionnement d'un défibrillateur, partir du défibrillateur, appareil maintenant bien répandu et connu, expliquer son fonctionnement (réglage du choc électrique) à partir de l'énergie chargée dans le condensateur, et finir par l'équation différentielle de la charge/décharge du condensateur dont la résolution explique le fonctionnement du défibrillateur.

Une brillante exception : dans un lycée Toulousain (si mes souvenirs sont bons, le Lycée général et technologique international Victor Hugo de COLOMIERS) j'ai vu le plus extraordinaire support de cours de ma carrière d'enseignant. Ce n'était pas un livre du commerce, mais un polycopié rédigé en commun par l'ensemble des Professeurs de Physique-Chimie du lycée, et qui enseignait les lois de l'électricité en partant d'un concept général, l'énergie, et en le dérivant vers les lois classiques. D'une clarté et d'une pédagogie extraordinaire. Donc c'est possible de changer l'approche d'un enseignement.

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Comme Ingénieur, la question de base est "Comment fait-on en pratique ?" . Les termes issus du “Japonais” YAKA, YSONKA et IFOKON sont à exclure.

En pratique nécessite de répondre aux 5 questions classiques du journalisme, les 5 W : " Why, what, who, where, when" en commençant par : « How », comment ?

Comment produit-on l’électricité ? L'eau potable ?
Comment produit-on les matières plastiques et les objets qui en contiennent ?
Comment fonctionne une raffinerie de pétrole ? Une usine à gaz (en dehors des administrations) ?
Comment produit-on l’acier et les alliages ? l'aluminium ? le cuivre très pur « électro » ?
Comment fabrique-t-on un rail de chemin de fer, un rouleau de tôle ?
Comment sont fabriqués les aimants des moteurs ?
Comment fabrique-t-on un avion, une voiture ?
Comment fabrique-t-on un médicament ?
Comment fabrique-t-on les produits alimentaires industriels ?
Comment procède la Police Scientifique ?
Comment mesure-t-on avec précision les immeubles de grande hauteur, les ouvrages d’art ?
Comment fonctionne un Bureau d’Etudes ? Qu'est-ce que la C.A.O. la D.A.O. ?

“ Why ”, pourquoi : pour que l'enseignement des sciences devienne passionnant pour les élèves et les enseignants, et suscite une nouvelle génération de scientifiques.

“What”: quoi : inverser le mode d'enseignement en partant de l'application dans la vie courante et en arrivant à la théorie.

“Who”: qui : c'est le point essentiel. Pour pratiquer cet enseignement il faut dominer à la fois la technologie actuelle (point de départ), plutôt bien l'Histoire des Sciences pour permettre de suivre le déroulement de pensée du chercheur/trouveur, et l'enseignement général maths/physique-chimie. Par expérience, il faut un passage par l'industrie où sont mises en pratique les théories et les applications, dans des fonctions où on couvre la multiplicité et la variété des aspects de cette mise en pratique. Un Directeur Technique ou un Ingénieur d'Affaires en Haute Technologie, diplômé d'une Grande Ecole Scientifique, peut exercer cette fonction après une remise à niveau pédagogique. Certes, il faudra songer à le payer en fonction de son niveau et non selon la grille de la Fonction Publique.

“Where” : où : on ne commence pas par l'établissement scolaire, on y finit . Entre-temps, on part d'une usine, d'un musée scientifique ou technique (et là Toulouse est particulièrement gâtée, surtout pour l'aérospatial : Musée de l’aviation Aeroscopia, Cité de l’Air et de l’Espace, Quai des savoirs), d'un centre industriel technique (Technicentre SNCF ou poste d'aiguillages, centrale EDF), et les élèves participent à une visite guidée au cours de laquelle ils sont invités à poser des questions : "Qu'est-ce que c'est ? Comment ça marche ? A quoi ça sert ?" qui seront le support aux explications professorales débouchant sur la théorie. Un exemple pratique pour être clair : visite d'une centrale hydro-électrique. Questions posées et théories mises en oeuvre : comment fonctionne une turbine (-> énergie potentielle de gravitation/énergie cinétique ; transformation d'énergie cinétique horizontale en rotation) ; pourquoi les pales d'une turbine PELTON ont-elles cette forme (-> composition des forces, rendement énergétique) ; structure d'un alternateur ( -> magnétisme, électromagnétisme, induction, courant continu et alternatif , notion de triphasé) ; taille des conducteurs (-> loi d'Ohm) ; transformateurs THT (-> champ magnétique, ferromagnétisme, cycle d'hystérésis, courants de Foucault, isolation, disjoncteurs 400 000 V , phénomènes d'électrostatique , ionisation de l'air, loi P= UI ) etc... En 1/2 journée bien remplie, les élèves sont motivés pour étudier la réponse aux questions soulevées. Sans oublier des notions essentielles applicables aussi bien en industrie qu'en classe : hygiène et sécurité, rapport d'activité “cahier journal”, notions d'économie.

“When” : quand : en fonction des horaires d'ouverture des sites visités, indépendamment de ceux de l'année scolaire.

Contrairement à des idées reçues, les responsables d'entreprises ou de musées sont ouverts à l'accueil de petits groupes scolaires bien encadrés sous réserve de les préparer et les organiser soigneusement et à l'avance : ils préparent ainsi l'avenir.

Mais une difficulté nouvelle est apparue depuis une trentaine d'années : le terrorisme. Celui-là implique des mesures de sécurité nouvelles pour prévenir les attentats : plan VIGIPIRATE, par exemple, mais aussi fouilles, vérifications d'identité des participants, voire fermeture de sites.

Faute de trouver comme enseignant la “perle rare” ayant toutes les compétences, cette formation pratique/scolaire peut se répartir entre un spécialiste de l'industrie et un universitaire puisque ces spécialités sont différentes et correspondent à des besoins différents de cette formation. Le problème étant de savoir où commence et finit la mission de chacun.

Note importante : je ne parle ici que de sciences exactes, "dures", et d'industrie et aucunement de biologie et de médecine, domaines où mon niveau de compétence est limité.

Pourquoi ? Parce que pour enseigner il faut dominer totalement le sujet, ce qui n’est pas mon cas. D’autre part, deux raisons :

- La biologie est une science du vivant, les phénomènes biologiques sont d'une complexité qui échappe à la rigueur mathématique. Au contraire des sciences exactes qui peuvent être mises en équations et obéir à des lois rigoureuses et reproductibles. Elle sort donc du domaine de cet article.

- La biologie n'est pas soumise aux règles (relativement) simples de la production industrielle. Quand je travaillais avec l'industrie pharmaceutique j'ai assisté à la production d'un antibiotique dans un énorme fermenteur qui dégageait une délicieuse odeur de nourriture avariée, donc par action biologique de "ferments" (je ne me souviens plus lesquels). La fermentation obéit aux lois de la statistique mais n'est pas strictement déterministe. Outre la dangerosité intrinsèque des substances biologiques qui interdit à des "touristes" de circuler dans les centres de production, il me semble trop difficile pour un élève de faire la relation entre cette activité et des lois simples étudiées en classe.

C'est pourquoi ma théorie d'enseignement primaire et secondaire en partant de la pratique quotidienne et en finissant par la théorie ne s'adresse qu'aux produits et méthodes de l'industrie, et pourquoi le cours doit être fait par un ingénieur. Mais le but d'intéresser des adolescents aux sciences exactes et à la rigueur des raisonnements et des procédures sera atteint même si l'élève s'oriente vers des sciences "naturelles" ou humaines.