Explosifs, fabrication et usage vues du point de vue du chimiste. Partie 1/2

Publié par PLISKINE ROBERT, le 12 avril 2024   100

Informations explosives. Souvenirs d'ingénieur-chimiste.

Avertissement : en raison du caractère sensible des informations concernant les explosifs et leur utilisation, cet article sera limité dans sa précision, et comportera des analogies approximatives. Le lecteur voudra bien comprendre mon devoir de réserve. Pour les puristes et les personnes intéressées, les encyclopédies en ligne et les catalogues de fabricants sont d’une aide précieuse.

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L'actualité internationale est pleine d'explosions. Hélas, pas de joie, mais d'engins militaires provoquant des explosions mortelles (c'est leur but). La visite récente du Président Macron dans une usine d'explosifs montre que tout endroit peut être concerné, y compris l'Occitanie (Toulouse, Tarbes...) dans le passé comme actuellement.

Pourtant, heureusement, environ 90 % des explosifs produits dans le monde sont à usage civil, et leur production et leur usage constituent l’essentiel du sujet de ce texte.

Il y aura plusieurs sections :

- Qu'est-ce qu'un explosif ?

- Comment fabrique-t-on une matière explosive ?

- A quoi sert un explosif ? Comment conditionne-t-on un explosif pour son usage ?

Bien sûr, je ne fournirai aucune information susceptible d'identifier le lieu où sont faites ces opérations, ni les entreprises qui les font. Les informations de cet exposé sont non-confidentielles et du niveau de la formation d’un chimiste.

1° Partie : qu'est-ce qu'un explosif ?

C'est une substance chimique susceptible de provoquer une explosion (M. de La Palice). Une explosion est une réaction chimique extrêmement rapide, dégageant une grande quantité de gaz chauds (effet de souffle, explosifs soufflants) et, selon le cas, une onde de choc, onde de pression très violente qui casse tout sur son passage (explosifs brisants). Les deux ne sont pas incompatibles.

La réaction chimique rapide (ou même ultra-rapide) en cause est essentiellement une oxydo-réduction. Un combustible, substance riche en éléments aisément oxydables comme le carbone ou l'hydrogène, est oxydé ("brûlé") par une substance riche en oxydant, surtout oxygène, un comburant. On fabrique un explosif en mettant en contact ces deux éléments :

- soit en mélangeant deux poudres, l'une combustible, l'autre comburant : poudre noire, ancêtre des explosifs, mélange de combustible soufre + charbon et d'un comburant, l'oxygène du salpêtre, nitrate naturel de potassium. La combustion est rapide. L’accident d'AZF à Toulouse est un exemple de contact entre un comburant (nitrate d’ammonium, déjà instable par nature) avec un carburant (poussières contenant du carbone ayant fermenté, le nitrate d'ammonium est un excellent engrais).

- soit en créant une molécule contenant des atomes de Carbone et Hydrogène + des atomes d'Oxygène. La réaction est extrêmement rapide et la "flamme" se propage à des vitesse de l'ordre de 7 à 10 km/seconde. C'est très violent.

Les substances explosives les plus connues sont les explosifs nitrés ( produits par l'action de l'acide nitrique) : la nitroglycérine, le TNT (trinitrotoluène), le penthrite PETN (Tétranitrate de pentaérythritol), le RDX (cyclotriméthylènetrinitramine est également connu sous les noms de cyclonite ou hexogène). En raison de leur instabilité (ils explosent facilement au choc ou au frottement), ils sont le plus souvent mélangés à des substances stabilisantes. Par exemple la nitroglycérine extrêmement dangereuse à utiliser telle que a été stabilisée sous forme de "Dynamite" par Alfred Nobel en la mélangeant à du kieselguhrs (poudre fossile de diatomées), puis en la moulant sous forme de bâtonnets enveloppés de papier, c'est ainsi qu'est créée la dynamite en 1866. Le RDX est mélangé avec le PETN, il entre dans la composition du Semtex, explosif extrêmement puissant.

La réaction d'oxydo-réduction produit des gaz comme du monoxyde de carbone, des oxydes d'azote, etc... à des températures de l'ordre de 2000 °C, ce qui produit une énorme pression selon la "Loi des Gaz Parfaits" : P V = n R T, ou P = (n R T) / V, avec P = pression en pascals Pa, V = volume en m3, T = température en Kelvin K, n = quantité de matière en moles mol, R = constante des gaz parfaits 8,314. mol− 1.K− 1. On conçoit qu'un bâton de dynamite enfermé dans un trou de mine juste à sa taille provoque en explosant une pression gigantesque qui brise tout autour de lui. D'où l'utilisation de la dynamite pour les travaux publics (voir plus loin).


2° Partie : comment fabrique-t-on un explosif ?

Avec précaution !!!

Récit d’une visite professionnelle d’ingénieur-chimiste.

Il faut faire réagir un mélange d'acide nitrique concentré ("fumant") et d'acide sulfurique concentré ("vitriol" ou oléum) sur une substance carbonée, par exemple la glycérine (1,2,3 pentane-triol) pour obtenir de la nitroglycérine. Cette réaction est exothermique (dégage de chaleur), donc a tendance à augmenter la température du mélange réactionnel. Comme à chaque fois que la température augmente de 10 °C la vitesse de réaction double, ce qui augmente la température etc..., ce qui finit par faire boum !

Pour éviter ce "désagrément", on procède comme suit, par exemple tel que je l'ai vu dans une usine de production pour produire de la nitroglycérine, produit particulièrement instable.

Pour commencer, je vérifie que ce qu’on m'a enseigné à l'Ecole de Chimie est vrai (tant mieux !) : la « poudrerie », ancien nom de l'ensemble des activités concernant les explosifs, est l'industrie la plus dangereuse, la seconde étant l'industrie pétrolochimique. Les précautions prises sont tellement draconiennes et efficaces que les accidents de "poudrerie" sont plus rares que ceux de l'industrie du pétrole, les Lyonnais n'ont pas oublié la catastrophe de Feyzin. On remarquera que lors de la catastrophe d’AZF, simple usine chimique, l'usine SNPE (Société Nationale des Poudres et Explosifs) qui produisait du phosgène COCl2, produit hautement toxique (gaz de combat durant la 1° guerre mondiale) base de la production de polycarbonates (valises et CD !), cette usine n'a pas sauté malgré la violence de l’explosion d'AZF, tant les mesures de précaution sont élevées.

Par exemple, et cela semble évident mais pas à tout le monde comme ceux qui fument dans les parkings souterrains où le mélange air/vapeur d’essence est violemment explosif, il est interdit de fumer. Non seulement c'est interdit, mais aussi la simple détention sur soi d’articles de fumeur comme des allumettes ou un briquet, qui est un motif d’expulsion immédiate et définitive du visiteur de tous les locaux de la Société, ou du licenciement immédiat pour faute lourde d’un employé fautif. D'ailleurs, quand on entre dans une telle usine, on vous "fait les poches" pour vérifier que vous n'avez pas un tel objet sur vous. Pourquoi cette rigueur ? Parce qu'un fumeur est addict au tabac, et à un moment ou un autre où il subit une tension nerveuse ou s'il s'ennuie, il va "en griller une". Une autre mesure de sécurité est décrite ci-dessous.

Le récipient est une cuve cylindrique bien polie (pour éviter que des aspérités ne provoquent des perturbations parasites), réfrigérée, contenant l'espèce à nitrer, en l'occurrence la glycérine. Comme on est dans l'industrie, la cuve peut contenir jusqu'à 3 tonnes de mélange réactionnel, de quoi fabriquer environ 3000 bâtons de dynamites de 1 kg. Ou de faire sauter une ville. Et ses habitants.

Le fond de la cuve peut basculer, ce qui vide la cuve en quelques secondes au cas où la réaction s'emballerait. Où ça ? Sûrement pas par terre, ce qui serait faire tout sauter à coup sûr. L'usine est construite à flanc de paroi montagneuse, dans une zone isolée, au-dessus d'un torrent. Chaque box de production est éloigné des autres pour éviter que la nitroglycérine qui explose "par sympathie" (quand une autre explosion se produit) ne se sente concernée par la réaction dans un autre box. Chaque box est construit d'une façon étrange, des murs très épais et un toit en trôle mince. De cette façon, si une explosion se produit, elle va se propager vers le haut, souffler le toit et se détendre librement sans que l'onde de pression n'atteigne les autres bâtiments.

L'ouvrier qui contrôle la production en surveillant de très près la température en dosant l'arrivée des réactifs et la réfrigération, est prêt à actionner la vidange express. Dans ce cas, tout tombe dans le torrent, qui noie le mélange dans des flots d'eau glacée et la réaction s'arrête. Pollution !!! Pas tellement, la glycérine est comestible, l'acide sulfurique et l'acide nitrique très dilués sont présents... dans les gaz d'échappement des voitures à moteur thermique.

En rentrant dans ce box avec le Directeur de Production de l'usine, je remarque que l'ouvrier sort avant que nous n'entrions. Il y a pourtant beaucoup de place autour de la cuve, mais le Directeur me montre une affichette "Maximum 2 personnes", et m'explique : "Parfois, la réaction ne peut être maîtrisée et tout saute avant qu'on ne puisse réagir. En limitant le nombre de personnes dans le box à 2, on limite le nombre de morts". Charmant ! Et il ajoute : "Chez nous il n'y a jamais d'accident, il n'y a que des catastrophes".

En sortant du box, je note un chariot chargé de plusieurs centaines de bâtons de dynamite prêts à l'emploi, bien propres dans leur papier. Brrr !!!

Lien vers la partie 2