Toulouse, capitale de la météo : alertes rouges météo et tempête de 1999, 1e partie

Publié par PLISKINE ROBERT, le 16 mars 2024   130

[Texte rédigé en 2023]

Le nombre d'âneries qu'on entend en cette période d’instabilité météorologique, alternant canicule et vagues de froid, sécheresse et inondations etc… à longueur de bulletins météos sur les niveaux d'alerte me pousse à rétablir quelques vérités scientifiques sur les prévisions météos et les alertes. Que signifie tel niveau d'alerte et un indice de confiance 3/5 ?

Comme toujours, la première chose à faire est de vérifier la fiabilité des sources et de les citer. Dans cette étude, mes sources sont les 4 ans que j'ai passés comme Ingénieur d'Affaires en "Array Procesors" ou "Ordinateurs parallèles", les Supercalculateurs et un entretien avec le Directeur Informatique de Météo-France à Toulouse.

1e partie : comment fait-on les prévisions météo ? En italique, les calculs qu'on peut sauter pour se contenter des résultats.

Les phénomènes météorologiques (pluie, vent , température, taux d'humidité...) sont dus à des interactions entre les paramètres de ces diverses zones de l'atmosphère, horizontales et verticales, sans compter les pollutions par gaz à effet de serre, poussières en tout genre etc... Ces phénomènes sont étudiés de façon analytique rigoureuse à l'aide de systèmes d'équations (très) complexes. Comme l'atmosphère est un ensemble instable et mouvant, il faut le découper en "tranches", en cellules, d'autant plus fines et en zones d'autant plus étroites qu'on veut une meilleure précision. Les énormes calculs nécessaires sont confiés à des ordinateurs surpuissants.

En pratique, pour se fixer les idées, s'il faut 1 million de calculs (minimum) avec une précision de 1 milliardième (minimum) pour 1 cellule, si on découpe l'atmosphère en cellules de 100 km de côté et 1 km d'épaisseur, il va falloir faire ce calcul sur les environ 150 millions de km² de la surface terrestre, soit environ 15 000 cellules en surface et 20 cellules sur les 20 km d'atmosphère, soit un total de 300 000 cellules. Et après avoir fait ces 300 milliards de calcul, on n'obtient rien de valable. Pourquoi ? Une cellule de 100 km de côté peut contenir à la fois une partie des Alpes, de la Méditerranée et de la vallée du Rhône, zones très différentes. Cela n'a donc aucun sens.

Pour obtenir un résultat plausible, il faudrait des cellules de 10 km de côté et 1 km d'épaisseur, donc multiplier le nombre de cellules et de calculs par 1000, et ce serait tout juste. Pour avoir un résultat relativement précis, il faut faire les calculs sur au moins 1000 fois plus de cellules.

On obtient un nombre de calculs de l'ordre de 10**17  (1 suivi de 17 zéros, soit 100 millions de milliards) calculs.

Et bien sûr il faut que ces calculs soient terminés avant que le phénomène météo prévu ne se produise ! D'où l'invraisemblable puissance des supercalculateurs utilisés, dont l'unité de puissance se mesure en Teraflops (« floating operations per second ») milliers de milliards d'opérations en notation scientifique « virgule flotante » par seconde.

Ces monstres de puissance moulinent en permanence des "modèles mathématiques", ensembles de systèmes d'équations prenant en compte toutes les données prévisibles avec des probabilités de leur évolution, et comparer avec les conditions enregistrées depuis les 150 ans qu’existent les mesures météorologiques sérieuses. Ne pas oublier l'effet papillon. En 1972, Lorenz fait une conférence à l'American Association for the Advancement of Science, intitulée : "Prédictibilité : le battement d'ailes d'un papillon au Brésil provoque-t-il une tornade au Texas ?" L'effet papillon traduit le fait qu'une infime modification des conditions initiales sur un système instable peut engendrer rapidement des effets très importants. Dans le monde réel , ces infimes variations font la précision d'une balle de tennis... ou d'un obus de canon CAESAR.

On conçoit que l'accumulation d’infimes variations de tous ces paramètres et modèles mathématiques puisse engendrer des variations sur les résultats et les prévisions météorologiques.

L’énormité des calculs à faire explique la puissance des ordinateurs qu’utilisent les prévisionnistes pour faire leurs prévisions C'est pourquoi les calculs sont confiés à 5 ordinateurs installés dans 5 centres de météo à travers l'Europe, faisant tourner 5 modèles mathématiques différents pour s'approcher au plus près de la réalité de l'atmosphère. Le nombre de résultats cohérents par rapport au nombre de calculs (en pratique, le nombre d' ordinateurs de ces centres de calcul) est l'Indice de confiance. Si 3 ordinateurs sur 5 ont donné des résultats similaires, il est très probable que ces calculs se réalisent, et on dit que l'indice de confiance est de 3 /5.

Les milliards de résultats sont transformés en cartes météo, qu’utilisent les Ingénieurs Prévisionnistes pour faire leurs prévisions, et dont des exemples ultra-simplifiés sont par exemple affichés lors des prévisions météo à la télé.


Le Directeur Informatique du Centre National de Météo-France à Toulouse faisait partie du cercle de relations de la mère d'une de mes élèves en l'an 2000. Connaissant mon passé dans les ordinateurs scientifiques, elle m'a proposé de me le faire rencontrer. Ce que bien sûr j'ai accepté. De son côté, il était prêt à faire plaisir à son amie, mais avec quelques réticences car c'était un homme très occupé et la responsabilité d'une machine aussi essentielle (on verra plus loin pourquoi) et aussi coûteuse ne lui laissait pas beaucoup de disponibilités. Nous nous sommes mis d’accord sur un entretien d'une demi-heure.

En fait, l'entretien a duré 2 heures : il était tellement heureux d'avoir affaire à une personne qui savait comment fonctionnait sa "machine", qui parlait le même langage que lui, et qui plus est un ingénieur multi-disciplinaire capable de comprendre tous les aspects techniques, juridiques et économiques de la météo, qu'il ne voulait pas interrompre l'entretien. Et moi donc ! Seule une urgence sur le système l’a obligé à arrêter alors que nous étions dans le local informatique et que j’avais la main posée sur la carapace de la « bête ».

A propos de la catastrophe climatique qui s'est abattue le 18 août 2022 sur de nombreux sites en France et des tempêtes de fin 1999, ma visite a été très instructive sur le fonctionnement des autorités supérieures quant aux catastrophes naturelles.

Ce Directeur est l'ingénieur informaticien de très haut niveau qui utilise le super-calculateur de Météo-France qui à l'époque faisait 1, 5 Téraflops (1500 milliards de calculs de haute précision par seconde). Il était si content de recevoir quelqu'un capable de comprendre le fonctionnement si particulier et l'utilisation de sa machine (j'en ai vendues, et ça nous a payé le voyage à 4 aux USA et à 2 au Brésil, entre autres) qu'il a bloqué 2 heures de son emploi du temps pour parler avec moi des méthodes scientifiques de la météo, de son utilisation et de la tutelle du Ministère des Transports, de la transformation des données physiques mesurées par les stations météo en cartes météo (en plein mon travail !) et surtout, parce qu'il en avait gros sur le cœur un an plus tard, de la fameuse vigilance rouge qui "selon les autorités", n'avait pas été envisagée par Météo-France. Reproche réitéré à propos de la tempête en Corse.

Il m'a montré les cartes de l'époque, car la Météo comme la Gendarmerie n'oublie jamais rien, cartes assez effrayantes d'ailleurs.

Rappel à propos de la Corse : une alerte rouge implique que, pour une raison ou une autre, il y aura des morts (92 en 1999) et doit être décidée par Météo-France à Toulouse + La Sécurité Civile à Paris + le Préfet du département concerné car (si j'ai bien compris) cela déclenche automatiquement le plan ORSEC sous la direction du Préfet, avec des mises en alerte de tous les services de secours, des fermetures d'établissements, des évacuations, des mises à l'abri etc..., c'est une décision grave à prendre. Or, quand Météo-France a contacté la Sécurité Civile à Paris en indiquant que les calculs prévoyaient des vents à plus de 140 km/h, comme le 18 août 2022 en Corse, avec des pointes à 180 km/h donc qui arrachent tout, la Sécurité Civile a répondu (je cite) : "On n'a jamais vu des vents pareils en France. Vos calculs doivent être faux, refaites-les, on ne va pas déranger un Préfet un jour de Noël pour des prévisions fausses". Pour les détails voir ci-après.

En clair, Météo-France avait prévu le 24 après-midi une violente tempête, qu'elle atteindrait la France le 25 et le 26, et cette information n'a pas été acceptée par la Sécurité Civile pour ne pas déranger les Préfets un jour de Noël, et tout a été mis sur le dos de Météo-France. Dont les calculs étaient justes, mais qui n'a pas été pris au sérieux. C'est toujours très instructif de discuter avec des personnes ayant les informations de première main pour lutter contre les (dés)informations officielles.