Science et démocratie : ce que nous enseigne l’exemple des États-Unis - Retour sur le Forum Régional Sciences et Société 2025

Publié par Echosciences Occitanie, le 22 septembre 2025   44

Le Forum Régional Sciences et Société réunit chaque année une centaine d’acteurs et actrices impliqués dans le dialogue sciences-société en Occitanie afin de se rencontrer, de partager des expériences et imaginer des projets communs. L’édition 2025 portait sur le thème “Au-delà des frontières : le dialogue Sciences-Société à l’échelle internationale” qui s’est décliné à travers 10 ateliers-conférences thématiques. Retrouvez tous les comptes rendus sur cet article.

Retour sur la session “Science et démocratie : ce que nous enseigne l’exemple des États-Unis”, avec Raphaël Ricaud, Maître de conférences spécialiste de l’histoire américaine et de la politique étrangère des États-Unis à l’Université de Montpellier Paul-Valéry, et Patrick Lemaire, Président du Collège des sociétés savantes académiques de France et l’un des initiateurs du mouvement Stand up for Science en France.

L’objectif ? Saisir ce que la trajectoire américaine peut révéler des tensions actuelles entre science, démocratie et pouvoir politique — et les échos possibles en France. Une discussion dense entre histoire politique, enjeux de pouvoir et fragilité des savoirs.

Le “monde de Trump”, ou la mise en scène d’une défiance

Raphaël Ricaud a ouvert la discussion en décryptant le phénomène Trump, plus qu’un individu : un symptôme. Trois dimensions structurent ce qu’il appelle “le monde de Trump” :

  • Médiatique : Donald Trump doit sa notoriété à l’émission de télé-réalité The Apprentice, où il incarne un homme d’affaires triomphant et prompt à la décision. Cette image, largement fictive, a séduit une partie de l’électorat en quête de “bon sens” et de figures fortes.
  • Électorale : L’électorat trumpiste est hétérogène, rassemblant des évangéliques (un électeur sur cinq), des électeurs sensibles aux discours xénophobes et isolationnistes, des conservateurs économiques et des nostalgiques d’une Amérique idéalisée.
  • Politique : Trump s’appuie sur des continuités idéologiques du Parti républicain (antigouvernementalisme, opposition aux traités internationaux) tout en jouant habilement des alliances, parfois même instables (comme celle - déjà rompue - avec Elon Musk).

Le système des primaires a permis à Trump de s’imposer, en contournant les élites républicaines et en parlant directement via les médias sociaux. Pour Raphaël Ricaud, Donald Trump a compris que dans l’Amérique contemporaine, faire le buzz vaut mieux qu’avoir un programme.

Une défiance envers l’expertise, ancrée dans l’histoire américaine

L’anti-intellectualisme ne date pas de Trump. Raphaël Ricaud rappelle que les États-Unis sont nés sur des fondements ambigus : la fiction d’une “terre vierge” niant la présence des peuples autochtones, ou encore l’usage pseudo-scientifique de la biologie pour justifier l’esclavage. La science y a toujours été instrumentalisée, au service d’idéologies dominantes.

La modernité américaine alterne entre génie technique (Benjamin Franklin, les laboratoires d’excellence, les prix Nobel naturalisés) et résurgence d’obscurantismes (le créationnisme est revendiqué par 40% des Américains). Dans ce contexte, Trump exploite un ressentiment ancien : l’expertise serait une forme de domination, opposée au “bon sens” populaire.

Un exemple frappant : la voiture. Le pick-up truck est perçu, dans certaines régions rurales, comme un symbole ultime de liberté. Toute injonction écologique remettant en question ce mode de vie est ressentie comme une menace existentielle.

Universités, “wokisme” et réductionnisme politique

L’assimilation des sciences sociales au “wokisme” est devenue une arme rhétorique de la droite populiste. Pour Trump et son entourage, toute pensée critique, toute remise en question du statu quo économique ou culturel, devient suspecte. La connaissance universitaire est caricaturée en idéologie. Et la division du champ politique en “camps ennemis” réduit l’espace du débat.

Un parallèle est établi avec les accusations d’“islamo-gauchisme” qui ont traversé la France ces dernières années. Une rhétorique similaire, visant à disqualifier des courants intellectuels plutôt qu’à les débattre.

Les échos français : un même glissement ?

Avec Patrick Lemaire, la discussion a alors pris une tournure réflexive sur le lien entre science et démocratie en France. 

Les menaces pesant sur la science ne sont pas spécifiques aux États-Unis. Plusieurs tendances similaires en France ont été pointées :

  • Réduction de l’aide internationale ;
  • Précarisation des agences indépendantes (ADEME, ANSES, INSEE) ;
  • Visites présidentielles à des figures controversées comme Didier Raoult ;
  • Recours croissant aux appels à projets comme mécanisme de contrôle.

“Supprimer l’INSEE serait difficile, mais couper son budget, c’est faisable”, prévient Patrick Lemaire. Une manière discrète mais efficace de neutraliser les “thermomètres” de la société.

Faut-il s’inquiéter que des décisions politiques soient influencées par une opinion publique manipulée ou mal informée ? Les intervenants mettent en cause le “modèle du déficit” : l’idée que le rejet de la science serait dû à un manque d’éducation. En réalité, la défiance repose sur des visions du monde, des identités sociales, des logiques de pouvoir.

Pour Patrick Lemaire, les sciences elles-mêmes ne forment pas un bloc homogène : les disciplines expérimentales sont souvent technosolutionnistes, tandis que les sciences humaines et sociales interrogent plus radicalement les structures du système. Difficile, donc, de parler de “la” science sans nuance.

Pistes d’action et motifs d’espoir

Face à cette situation, la médiation scientifique a un rôle crucial. Deux cibles prioritaires émergent :

  • Le monde rural, souvent éloigné des savoirs académiques ;
  • Les fonctionnaires territoriaux, relais essentiels auprès des élus.

Malgré un climat préoccupant, quelques motifs d’espoir ont été partagés :

  • En France, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont séparés afin qu’aucune personne ni aucun groupe politique ne puisse tous les contrôler à la fois ;
  • Le recours au levier judiciaire, comme dans le cas du climat ;
  • Des réussites d’actions multilatérales internationales, comme la régulation du thon rouge ;
  • L’engagement croissant des chercheurs en sciences de l’environnement.

Donald Trump est peut-être un symptôme plus qu’une cause. Mais l’évolution de la relation entre science, pouvoir et démocratie qu’il incarne soulève des questions fondamentales pour toutes les sociétés. 

Pour échanger avec les intervenants : 

  • Raphaël Ricaud, Maître de conférences spécialiste de l’histoire américaine et de la politique étrangère des États-Unis à l’Université de Montpellier Paul-Valéry, raphael.ricaud@univ-montp3.fr 
  • Patrick Lemaire, Président du Collège des sociétés savantes académiques de France et l’un des initiateurs du mouvement Stand up for Science en France, patrick.lemaire@societes-savantes.fr 

Ressources pour aller plus loin : 

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