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Observatoire PIRATA : la coopération scientifique dans les turbulences du climat et des politiques

Publié par IRD Occitanie, le 11 juin 2025   51

Face aux vents contraires, trois spécialistes appellent à préserver la coopération scientifique internationale pour les observatoires marins.

Alors que nos sociétés s'interrogent à raison sur leur avenir climatique, les outils capables de documenter les changements à l’œuvre sont plus que jamais indispensables. Parmi eux, le réseau de bouées de l'observatoire PIRATA (Prediction and Research Moored Array in the Tropical Atlantic) fait preuve d’exemplarité. 
Installé dans l’Atlantique tropical, il enregistre depuis 1997 de précieuses données sur l’océan, véritable régulateur thermique de la planète, réservoir de carbone, mais aussi source de vie et d'énergie. 

Portrait

« Porté par une coopération scientifique internationale entre la France, le Brésil et les États-Unis, Pirata constitue une indispensable sentinelle du climat », estime Bernard Bourlès, océanographe physicien à l’IRD, ex-directeur de l’unité IMAGO et ex-coordonnateur de l’observatoire PIRATA.

Une observation de long terme, vitale et irremplaçable

La force de Pirata réside dans sa régularité et sa robustesse. Chaque année, les équipes françaises de l’IRD1 assurent la maintenance de six bouées océanographiques et de deux mouillages courantométriques équatoriaux dans l’Atlantique tropical est, à bord du navire Marion Dufresne de la Flotte Océanographique Française (FOF), opérée par l'Ifremer. Ces instruments collectent en continu des données météorologiques et océanographiques : vent, température, salinité, oxygène dissous… Lors de missions annuelles, ils permettent également la mesure de nutriments, de pigments, du pH et de l’alcalinité entre autres. Des paramètres essentiels pour comprendre les interactions complexes entre l’océan et l’atmosphère, mais aussi pour alimenter les modèles climatiques, les prévisions météorologiques et les politiques publiques liées à la gestion du littoral ou de la pêche, par exemple.

En pleine mer, vue d'un flotteur scientifique au premier plan, d'une bouée Pirata au second plan et, derrière, de la poupe d'un navire océanographique.

Déploiement d’un flotteur Argo à proximité d’une bouée PIRATA.

© IRD - Bernard Bourlès

Ces données sont ouvertes, tracées et qualifiées selon les meilleurs standards scientifiques internationaux, avant d’être rendues accessibles via la plateforme SEANOE (Sea scieNtific Open data Edition). Cette démarche de science ouverte permet d’alimenter les travaux de nombreux scientifiques à travers le monde. En témoigne une récente publication dans Scientific Data, qui présente un jeu de données biogéochimiques exceptionnel, collecté entre 1997 et 2024 dans le Golfe de Guinée.
Outre l’indispensable récolte de données ouvertes, PIRATA embarque l’expertise scientifique là où tout commence : sur le terrain. En effet, les campagnes annuelles, imposées par la maintenance des bouées, constituent des laboratoires flottants où d’autres projets internationaux profitent du temps de navire pour mener des observations complémentaires : étude des sargasses, contamination des thons par le mercure, déploiement de flotteurs ARGO, mesure d’isotopes ou de gaz à effet de serre.

Un modèle de coopération internationale au service de la science

Dans un monde où la science se voit trop souvent reléguée au second plan des agendas politiques, PIRATA offre un contre-exemple stimulant : celui d’un partenariat pérenne, basé sur la confiance, la mutualisation des moyens et l’engagement dans la durée. L’IRD et Météo-France pour la France, la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) pour les États-Unis, et le DHN (Diretoria de Hidrografia e Navegação) pour le Brésil travaillent de manière coordonnée autour de cette mission commune depuis près d’une trentaine d’années.
Un point fait cependant débat : à l’heure de la transition écologique, la question de l’empreinte carbone des navires de recherche se pose. Pour y répondre, voici quelques chiffres : en 2022, la flotte océanographique française a émis environ 43 000 tonnes d’équivalent CO₂2. Une quantité qui peut sembler importante, mais qui ne représente que 0,004 % des émissions du transport maritime mondial, estimées à 1 milliard de tonnes annuelles selon l’OMI (Organisation maritime internationale) et l’AIE (Agence internationale de l’énergie).

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Assumé et mesuré, ce coût carbone permet en retour de fournir des données essentielles à la compréhension et l’anticipation du dérèglement en cours. Car, si puissante soit-elle, la modélisation ne remplace pas les mesures in situ dans l’espace et dans le temps », affirme Jérôme Llido, océanographe physicien à l’IRD au sein de l’unité LEGOS, coordinateur de l’observatoire PIRATA.

Des menaces qui se précisent

Mais, bien que fondamental, le programme PIRATA est menacé. Aux États-Unis, la NOAA a récemment annoncé la fermeture imminente de nombreuses bases de données et services environnementaux. Ce signal, passé sous les radars du grand public, est un avertissement pour toute la communauté scientifique mondiale : nos outils de connaissance peuvent disparaître du jour au lendemain, par décisions budgétaires ou politiques.
En France, la pression budgétaire pousse également les tutelles à revoir à la baisse leurs engagements, en particulier sur les campagnes à la mer. Dans ce contexte paradoxal, où l’on affirme vouloir renforcer la souveraineté scientifique et climatique tout en réduisant les moyens concrets pour observer l’océan, l’organisation en France de la Conférence des Nations unies sur les océans en 2025 pose des questions de cohérence et d'équilibre.

Scientifiques travaillant sur une bouée du réseau Pirata en mer, avec un zodiac.

La maintenance du réseau impose une campagne en mer annuelle.

© IRD - Jacques Grelet

Le programme PIRATA est bien plus qu’un dispositif technique : c’est une boussole pour l’action. En documentant les évolutions lentes, profondes et invisibles du système climatique, il permet aux sociétés de mieux se préparer, de mieux s’adapter, et d’agir avec discernement.

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L’enjeu n’est pas seulement scientifique. Il est démocratique. Car sans données fiables, partagées, traçables, il n’y a pas de débat éclairé, pas de politique efficace. Pirata incarne ainsi une certaine idée de la science : rigoureuse, collective, ouverte, utile », soutient Thierry Cariou, chimiste marin à l’IRD, directeur de l’unité IMAGO.

Préserver cette capacité d’observation, la soutenir et l’élargir, c’est investir dans la lucidité face aux bouleversements à venir. Ne laissons pas les instruments de la prévoyance rouiller dans les placards de nos laboratoires.


  1. Unité d’appui et de recherche IMAGO (instrumentation, moyens analytiques, observatoires en géophysique et Océanographie) et unité mixte de recherche LEGOS (IRD/CNRS/CNES/Université Toulouse 3 Paul-Sabatier)
  2. Marie-Hélène Bazin, Bilan des émissions de GES* de la Flotte Océanographique Française pour l’année 2022. Présentation de la méthodologie et des résultats obtenus, ARCHIMER, 2024

CONTACTS

Thierry Cariou IMAGO, IRD

Bernard Bourlès IMAGO; IRD

Jérôme Llido LEGOS (IRD/CNRS/CNES/Université Toulouse 3 Paul-Sabatier)

PUBLICATION

 Thierry Cariou, Sandrine Hillion, Armelle Brouquier, Pierre Rousselot, Fabrice Roubaud, Ildut Pondaven, Denis Diverrès, Céline Bachelier, Jérôme Llido & Bernard Bourlès,  Biogeochemical parameters collected and analysed during the French cruises of the PIRATA programme in the Guinea Gulf, 1997--2024, Scientific data, 17 mai 2025

DOI: 10.1038/s41597-025-05003-x

Source : https://lemag.ird.fr/fr/observ...