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Rôles socio-écologiques des passes récifales en Nouvelle-Calédonie

Publié par IRD Occitanie, le 14 mars 2023   420

Par sa riche biodiversité, le lagon calédonien a toute sa place dans les réflexions en cours autour de la gouvernance et de la protection de l’océan Pacifique. Une équipe IRD (UMR SENS et Espace-Dev) et ses partenaires ont enquêté auprès des utilisateurs de zones particulières, les passes récifales, afin de documenter des savoirs importants à prendre en compte dans ces réflexions.

Zones de connexion entre le lagon et le large, les passes récifales de Nouvelle-Calédonie ont encore des choses à nous apprendre, tant aux niveaux écologique que socio-culturel.

Carte de la Nouvelle-Calédonie et de ses différents dispositifs de conservation marine

© IRD - Elodie Fache

La deuxième barrière de corail au monde

Figurant en partie sur la Liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO, le lagon néo-calédonien constitue la deuxième plus grande barrière corallienne continue du monde après celle de l'Australie, également située dans le Pacifique. Dans cet écosystème riche en biodiversité mais menacé par les activités anthropiques ou le changement climatique, les passes récifales jouent de multiples rôles. Elles connectent le lagon et l’océan mais pas seulement. « Nous cherchions à montrer le rôle clé de ces lieux pour les écosystèmes récifaux et les populations qui en vivent. Une connaissance plus fine de ces sites permettrait de mieux les gérer et protéger », explique Elodie Fache, anthropologue de l’UMR SENS. Avec ses collègues écologues, ethnoécologues et géographes, elle a donc conduit une étude bénéficiant d’un double cadre, les projets « Emblematic marine species and marine protected areas » et « A Sea of Connections : Contextualizing Fisheries in the South Pacific Region ». Basés sur des entretiens avec de nombreux usagers de ces passes (pêcheurs, plongeurs, surfeurs, …), leurs résultats sont publiés dans une section spéciale de la revue AMBIO intitulée « Oceania : A sea of connections ».

Carte de la Grande-Terre et d’Ouvéa, montrant les passes récifales et sites d’étude

© IRD - Elodie Fache

Passerelles sociales et écologiques

Les auteurs qualifient d’« approche exploratoire » les enquêtes menées sur 10 sites, des côtes nord et ouest de la Grande Terre (île principale). En effet les travaux de recherche sur ces passes sont rares et toutes orientées sur les zones de frai qu’elles représentent et sur les relations d’exploitation ou de conservation du milieu qui s’y jouent alors que de nombreux savoirs locaux y sont associés. Il apparaît donc essentiel de documenter comment les passes sont perçues, utilisées, gérées et valorisées par les populations qui en dépendent. Parmi les dimensions reconnues par l’ensemble des personnes interrogées : espaces de vie de nombreuses espèces, lieux de passage entre le lagon et le large pour les humains, les biens, les espèces, les idées et les esprits des défunts ; lieux propices à la pêche, à la plongée et au surf ; lieux associés à des rituels et des tabous. « La morphologie et les courants des passes sont bien connus de leurs différents usagers, ce qui est essentiel pour y naviguer et y pêcher », avance Annette Breckwoldt du Leibniz Centre for Tropical Marine Research. Majoritairement situées à l’embouchures de rivières, les passes constituent des espaces attractifs pour les animaux marins, telles que les loches qui s’y reproduisent et les requins qui s’y nourrissent. « Lors des fortes pluies, les passes jouent le rôle d’exutoire, ce qui permet d’enrichir la zone au-delà de la barrière récifale et de nourrir une abondance de petits poissons pélagiques qui attirent leurs prédateurs tels que daurades coryphènes ou thons bonites », précise Gilbert David, géographe à Espace-Dev. Les dimensions socio-culturelles sont au moins aussi importantes que celles touchant à l’écologie : les passes sont des liens entre clans kanak, entre les mondes visible et invisible, entre la vie et la mort. Ces passerelles vers le monde des esprits sont considérées comme sacrées et des totems (tortue, requin, etc) et des légendes y sont rattachés.

Récif corallien, Nouvelle-Calédonie

© IRD - Jean-Michel Boré

Des zones à mieux protéger

« Malgré le fait que les passes récifales constituent des lieux clés d’un point de vue aussi bien écologique que socioculturel, les travaux sur ce sujet et les réflexions autour de leur protection restent limités », déplorent les auteurs. Ils soulignent la nécessité d’approfondir les recherches sur ces lieux au cœur de la vie du lagon afin d’améliorer les mesures destinées à préserver ces socio-écosystèmes, en lien avec l’ODD 14. Catherine Sabinot, ethnoécologue et anthropologue à Espace-Dev, rappelle qu’il est essentiel que « les réflexions autour de la préservation des passes récifales incluent leurs différents usagers et reconnaissent les multiples rôles et valeurs qui leur sont associés ».

Publication : Breckwoldt A., Dombal Y., Sabinot C., David G., Riera L., Ferse S., Fache E. 2022. A social-ecological engagement with reef passages in New Caledonia: Connectors between coastal and oceanic spaces and species. Ambio 51, 2401–2413. https://doi.org/10.1007/s13280-022-01762-8

Corail de Nouvelle-Calédonie

© IRD - Jean-Michel Boré

Corail de Nouvelle-Calédonie

Pêche au filet, Nouvelle-Calédonie

© IRD - Catherine Sabinot

Pêche au filet, Nouvelle-Calédonie

Tortue de Nouvelle Calédonie

© Adobe stock

Tortue de Nouvelle Calédonie, passerelle vers le monde des esprit

Contacts science : Elodie Fache, IRD, UMR SENS ELODIE.FACHE@IRD.FR
Catherine Sabinot, IRD, Espace-Dev CATHERINE.SABINOT@IRD.FR

Contacts communication: Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR