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Les infections virales boostées par des lipides dans la salive des moustiques

Publié par IRD Occitanie, le 30 juin 2025   48

Des lipides contenus dans la salive de moustiques vecteurs de flavivirus contribuent à affaiblir les défenses des hôtes et à doper l’infection.

La nature peut se révéler particulièrement retorse : en plus de transmettre des virus responsables de maladies graves, certains moustiques disposent de mécanismes salivaires facilitant l’infection chez les hôtes. Ces insectes hématophages, qui propagent notamment la dengue, le chikungunya, la fièvre jaune et la fièvre du Nil occidental, sont ainsi directement impliqués dans la sévérité des affections et le niveau de mortalité associé. La découverte de ce mécanisme pourrait ouvrir la voie à des traitements pour prévenir la gravité de ces affections virales.

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De nombreuses recherches ont établi que les protéines contenues dans la salive de moustiques vecteurs favorisent la transmission de virus. Mais pour la première fois, nous montrons que des lipides de la salive jouent également un rôle important dans l’infection », explique Hacène Medkour, biologiste de la santé à l’IRD, au sein de l’unité MIVEGEC.

Régulation cellulaire affaiblie

Les spécialistes de l’IRD et leurs partenaires thaïlandais ont ainsi découvert que la salive des moustiques contient des structures abritant des lipides. Celles-ci entrent en contact avec les cellules de l’hôte, humain ou animal, au moment de la piqûre. Et ces lipides particuliers, appelés sphingomyélines, inhibent alors un mécanisme cellulaire de régulation normalement chargé d’empêcher l’accumulation anarchique de protéines défectueuses dans la cellule de l’hôte. Une fois cette barrière affaiblie, le virus peut produire beaucoup plus facilement ses propres protéines — et copier abondamment son matériel génétique — à l’intérieur des cellules de l’hôte, sans être freiné par les mécanismes cellulaires de régulation. Dès lors, l’accumulation de protéines virales et la réplication massive du virus dans l’organisme vont aggraver le niveau d’infection.
« Ces lipides n’ont pas d’effet sur le système immunitaire de l’hôte, précise le scientifique. Ils agissent au niveau du métabolisme de ses cellules. »

Gros plan sur un moustique en train de piquer.

En prenant leur repas de sang, les moustiques introduisent aussi leur salive dans l'épiderme de leur proie.

© IRD - Nil Rahola

Souris et cellules humaines

L’expérimentation a confirmé que ces interactions moléculaires entre arbovirus, moustiques vecteurs et hôtes ont une forte influence sur le niveau de transmission des maladies. Ainsi, en injectant le virus dans la peau de souris de laboratoire, pour simuler la piqûre du moustique, les scientifiques ont pu mesurer l’impact des lipides salivaires sur la sévérité de l’infection : les rongeurs qui recevaient des sphingomyélines en même temps que le virus ont développé des signes cliniques plus sévères et ont connu une mortalité plus élevée que ceux qui recevaient l’agent pathogène seul. 70 % des souris du premier groupe ont succombé, contre seulement 20 % de celles du second.
Le rôle des sphingomyélines dans l’accumulation de protéines virales a aussi été validé expérimentalement sur des tissus humains. Les scientifiques ont infecté des cellules de la peau et des cellules immunitaires sanguines avec les virus de la dengue, du Zika et de la fièvre du Nil occidental, en ajoutant ou pas des lipides salivaires. Et, là aussi, les virus se sont développés bien davantage dans les cellules en présence de sphingomyélines. Cela suggère que ce mécanisme contribue également, chez l’humain, à la sévérité et à la létalité des infections virales.

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Cette étude, combinant nos travaux sur les mammifères hôtes et l’expertise de nos collègues de l’IRD sur les insectes vecteurs, est la deuxième que nous menons conjointement. Elle a permis des avancées scientifiques notables et a favorisé un véritable transfert de compétences, avec notamment la mise en place d’un insectarium de niveau BSL2 au sein de notre université, pour soutenir les recherches futures », indique Duncan R. Smith, le virologue qui dirige ce groupe de recherche à l’Université Mahidol, en Thaïlande.

Cette découverte pourrait également ouvrir la voie à de nouveaux outils prophylactiques, comme des crèmes ou des lotions à appliquer sur la peau, capables de neutraliser l’action des sphingomyélines présentes dans la salive des moustiques, et ainsi limiter la gravité des infections.


par Olivier Blot, IRD le Mag'

CONTACTS

Hacène Medkour MIVEGEC (IRD/CNRS/Université de Montpellier)

Duncan R. Smith Institute of Molecular Biosciences, Mahidol University, Thaïlande

PUBLICATION

Hacène Medkour, Lauryne Pruvost, Elliott Miot, Xiaoqian Gong, Virginie Vaissayre, Mihra Tavadia, Pascal Boutinaud, Justine Revel, Atitaya Hitakarun, Wannapa Sornjai, Jim Zoladek, R. Duncan Smith, Sébastien Nisole, Esther Nolte-‘t Hoen, Justine Bertrand-Michel, Dorothée Missé, Guillaume Marti & Julien Pompon, Sphingomyelins in mosquito saliva modify the host lipidome to enhance transmission of flaviviruses by promoting viral protein levels, Cell Metabolism, 20 juin 2025
DOI : 10.1016/j.cmet.2025.05.015

Source : https://lemag.ird.fr/fr/les-in...