Les forêts tropicales d’Amérique peinent à suivre le rythme du changement climatique
Publié par IRD Occitanie, le 21 juillet 2025 55
Le changement climatique pourrait prendre de vitesse les capacités des forêts d’Amérique à s’y adapter. Certaines y parviennent, d’autres pas.
Comment les forêts tropicales d’Amérique s’adapteront-elles à un climat que certains scénarios prédisent plus chaud de 4° et moins arrosé de 20 % à la fin du siècle ? Quels traits fonctionnels émergeront, quels espaces géographiques tireront leur épingle du jeu ? Pour en savoir plus et évaluer les conditions de résilience forestière, plus d’une centaine de scientifiques, issus de 11 pays d’Amérique latine, ont mené une vaste étude sur des centaines de parcelles représentatives des milieux et climats variés de ce grand continent.

Afin de comparer l’évolution des communautés végétales à travers le temps, en lien avec le réchauffement climatique, nous avons utilisé des données issues de parcelles forestières suivies depuis plusieurs décennies : certaines au Brésil, Pérou et Venezuela ont été échantillonnées dès les années 1980, puis à nouveau vers 2020. D’autres plus récemment, entre 2000 et 2020, notamment au Mexique et au Panama », explique Imma Oliveras, écologue à l’IRD au sein de l’unité AMAP.
Arbres morts, survivants et nouvelles recrues
L’objectif
des scientifiques est d’analyser comment et à quel rythme la
composition des communautés d’arbres a évolué, en réponse à un climat
déjà devenu plus chaud, plus sec et plus variable. L’observation des
assemblages d’arbres survivants, nouveaux et morts permet de distinguer
les traits fonctionnels adaptés au climat actuel et au climat à venir.
Les arbres morts appartiennent à des espèces qui n’ont pu suivre
l’évolution des conditions, les survivants possèdent des traits
probablement mieux adaptés aux conditions actuelles, tandis que les
recrues présentent des traits potentiellement adaptés au climat
émergent.
Les scientifiques ont mesuré des paramètres climatiques,
comme la température, mais aussi des traits fonctionnels des plantes :
la capacité photosynthétique, la masse des feuilles, ou encore la
diversité des insectes associés. Pour comparer les dynamiques à l’œuvre,
ils ont étudié différents types de forêts représentant les gradients
variés d’altitude et de climat de ce continent : des plaines
amazoniennes, les forêts atlantiques, et des forêts de montagne dans les
Andes.

Dans les assemblages forestiers, les arbres morts appartiennent à des espèces qui ne sont pas adaptées aux nouvelles conditions climatiques.
© IRD - Hubert de Foresta
Stratégies adaptatives
Pour répondre à des conditions plus chaudes et sèches, les communautés d’arbres peuvent intégrer davantage d’espèces présentant des traits de tolérance à la sécheresse, comme la déciduité (perte des feuilles pour réduire l’évapotranspiration), ou une moindre surface foliaire. De même, elles peuvent gagner des espaces climatiquement plus favorables, particulièrement en montagne où les différents gradients de température sont situés à courte distance les uns des autres.

Les forêts tropicales de montagne en Amérique présentent une une plus grande dynamique de renouvellement que les autres, signe qu'elles s'adaptent mieux au changement climatique.
© IRD - Sébastien Velut
De fait, les forêts de montagne en Amérique semblent mieux s’adapter : elles présentent une plus grande dynamique de renouvellement, une augmentation des espèces capables de photosynthèse accrue, et parfois l’apparition de nouveaux genres . Les communautés végétales y évoluent vers des profils d’espèces mieux adaptées à des environnements plus saisonniers ou à un air plus sec. Cela reflète une transformation plus profonde de la composition écologique des forêts, pas seulement une variation au sein des espèces déjà présentes.
Plaines à la traine

À l’inverse, les forêts terrestres de plaine – dont l’Amazonie - démontrent un faible taux de réorganisation fonctionnelle au fil du temps : les communautés d’arbres y conservent des compositions d'espèces relativement stables, avec peu de substitutions fonctionnelles et des changements minimes dans les traits écologiques fonctionnels, tels que la densité du bois, la surface foliaire spécifique et la hauteur des arbres », explique Ben Hur Marimon junior, écologue à l’université d’État du Mato Grosso.
Cela traduit une faible capacité des espèces à s’adapter ou à migrer, ce qui rend les forêts terrestres particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique, en comparaison avec les forêts de montagne, des zones inondables et de savane.

Bien que les forêts de terre ferme soient écologiquement importantes et couvrent de vastes superficies, leur réponse insuffisante face à la rapidité du changement climatique soulève des inquiétudes quant à leur résilience à long terme », estime Beatriz Schwantes Marimon, écologue à l’université d’État du Mato Grosso.
Car l’un des enseignements majeurs de cette étude est que les changements dans la diversité fonctionnelle des forêts tropicales d’Amérique — c’est-à-dire dans les caractéristiques écologiques des espèces présentes — sont nettement plus lents que le rythme du changement climatique. Au-delà de la survie de ce milieu à moyen terme, cela pose le problème de la pérennité des services écosystémiques qui lui sont associés. Pour combien de temps encore, les forêts tropicales d’Amérique seront-elles l’abris d’une formidable biodiversité animale et végétale ? Et quel impact leur dégradation aura-t-elle sur le climat si elle compromet la quantité de CO2 qui y est stockée ?
par Olivier Blot, IRD le Mag'
CONTACTS
Imma Oliveras-Menor, AMAP (IRD/CNRS/Inrae/Cirad/Université de Montpellier)
Bem Hur Marimon-Júnior, Universidade do Estado de Mato Grosso Carlos Alberto Reyes Maldonado, Brésil
Beatriz Schwantes Marimon, Universidade do Estado de Mato Grosso Carlos Alberto Reyes Maldonado, Brésil
PUBLICATION
Jesús Aguirre-Gutiérrez, Sandra Díaz, Sami W. Rifai, Jose Javier Corral-Rivas, Maria Guadalupe Nava-Miranda, Roy González-M, Ana Belén Hurtado-M, Norma Salinas Revilla, Emilio Vilanova, Everton Almeida, Edmar Almeida de Oliveira, Esteban Alvarez-Davila, Luciana F. Alves, Ana Cristina Segalin de Andrade, Antonio Carlos Lola da Costa, Simone Aparecida Vieira, Claire Fortunel, Imma Oliveras Menor, Maxime Réjou-Méchain, et al., Tropical forests in the Americas are changing too slowly to track climate change, Science, 7 mars 2025
Source : https://lemag.ird.fr/fr/les-fo...
DOI : 10.1126/science.adl5414