Les nouvelles expériences de visite : retour sur l'apéro #8 des Brasseurs de sciences
Publié par Morgane Bouterre, le 19 juillet 2018 2.3k
Comment innover dans l'expérience de visite ? Pour susciter l'attention, attirer de nouveaux publics, et provoquer le ravissement, les espaces culturels se doivent de renouveler sans cesse leur offre et ainsi, leur pratique de visite. Nous nous sommes donc intéressés à ce que les acteurs de la culture scientifique et technique imaginent pour inventer et réinventer leurs visites. En ce lundi 18 juin, une trentaine de brasseurs sont au rendez-vous (habitués et petits nouveaux) au comptoir d'un nouvel établissement : le Rooster & Beer. Retour sur le 8e apéro des Brasseurs de sciences.
Pour ce dernier apéro de l'année avant la pause estivale, 4 intervenants étaient invités : Lydia Mouysset et Mathieu Scapin, respectivement Responsable du Service des publics et Médiateur au Musée Saint-Raymond qui parleront entre autres de leurs « Visites pour ceux qui n'aiment pas les musées ». Maud Dahlem, Chargée de projets numériques au Muséum de Toulouse qui reviendra notamment sur la création d'une visite sur mobile et enfin, Julie Poirier, Responsable du pôle Ingénierie culturelle chez Science Animation, qui partagera son expérience sur la réalisation de scénarios de visite d'exposition.
Des idées originales pour ceux qui n'aiment pas les musées
Comment attirer de nouveaux publics dans un musée d'archéologie au nom peu attrayant dans lequel sont exposées de « vieilles pierres » et des sculptures antiques ? Pas simple ! Mais le Musée peut compter sur l'inventivité de l'équipe du service des publics auquel appartiennent Lydia et Mathieu.
« Nous nous sommes interrogés sur les activités que le grand public aimait faire en dehors des musées. L'idée est d'imaginer des expériences de visites complètement décalées qu'on ne s'attend pas à vivre dans un musée » explique dès le départ Lydia.
C'est ainsi que le Musée innove depuis quelques années : la visite « pour ceux qui aiment les courbes », la visite « au poil », la visite « pour ceux qui n'aiment pas les musées », les soirées Mythic, la Murderer party… sont autant de formats de visites expérimentées par les équipes du musée.
« Si vous connaissez un(e) récalcitrant(e) des musées, pariez un apéro ou un resto avec lui qu'il/elle va changer d'avis ; nous faisons le reste ! »
Derrière ce message disruptif se cache un scénario de visite ingénieux. Et c'est Mathieu, médiateur du musée, qui est missionné pour attirer des personnes qui ne viendraient pas spontanément au musée.
Archéologue de formation, il nous explique que pour imaginer ces visites, il s'est orienté vers une approche régressive. « Ces visites s'adressent uniquement aux adultes. Déjà parce que l'offre « enfant » du musée est consistante, mais aussi parce que très souvent le public adulte est celui accompagnateur d'enfants et par là, « s'empêche » très souvent d'être acteur de la visite ». L'idée de cette visite est donc de faire jouer le visiteur adulte comme un enfant.
Durant une heure et demie de visite, 10 personnes découvrent les 3 espaces du musée au travers de 6 petits jeux. Mêlant humour, légèreté et contenu historique, ces 6 jeux cherchent avant tout à mettre à l'aise les visiteurs dans un environnement qui peut leur paraître à première vue austère et scolaire.
Certains des jeux invoquent les sens, d'autres l'esprit de comparaison ou encore les talents artistiques. « Au niveau des bas reliefs des 12 travaux d’Hercule, le jeu consiste à reconnaître les attributs d'Hercule. À l'aide d'un gros dé en mousse composé d'un attribut par face, le visiteur doit reconnaître en 10 secondes l'attribut désigné, puis pointer le bas relief correspondant ». Comme quoi, pas besoin de matériel très sophistiqué pour susciter l'attention. Mathieu nous le prouve tout au long de la description des jeux.
« Dans le four à chaux du sous-sol - une des pièces maîtresses du musée - j'ai eu l'idée d'organiser une pêche aux canards. Après la pêche, les visiteurs doivent reconstituer un mot avec les lettres associées à chaque canard. Ce mot donne une clé de compréhension sur l'usage de ce four ».Mathieu ne manque pas d’audace pour imaginer ces jeux. Le message annoncé au départ tient ses promesses Après cette visite, le public change sa vision des musées. Enfin... Peut-être pas celle de tous les musées, mais au moins celle du Musée Saint-Raymond qui leur remet par la même occasion un badge « In MSR, We Trust ! ».
Le médiateur termine sa visite par un brainstorming sous couvert d'un goûter convivial pour continuer à échanger avec les visiteurs. Un moment privilégié qui permet également de perfectionner le format des visites pour ceux qui n'aiment pas les musées au regard des remarques délivrées par les participants.
Avec le recul, Mathieu nous confie que, malgré tout, la visite attire surtout des personnes plutôt sensibles à la culture et aux musées. D'où l'idée d'orienter le discours d'appel vers le compagnonnage. « Il faut se rendre à l’évidence, les gens qui n’aiment pas les musées ne viendront pas, tout simplement car ils n’auront pas l’info. ».
Le jeu comme outil de médiation
Mais alors, la médiation par le jeu n'a-t-elle pas tendance à infantiliser le visiteur adulte ? Comment les contenus sont-ils transmis ?
Mathieu défend l'idée que le jeu permet de désinhiber les visiteurs tout en facilitant la compréhension du contenu qu'il transmet à travers lui. Munis d'un panneau rond en forme de point d'interrogation, les visiteurs peuvent poser leur question en toute confiance. « Les gens sont souvent intimidés de parler avec un expert. C'est de là que provient parfois la peur des musées. Ils ont peur d'être mal jugés. Mon rôle n'est pas d'assener un savoir, mais d'accompagner leur visite, de répondre aux questions les plus idiotes, sans jugement. Le jeu facilite cet échange et ainsi la compréhension ».
Audacieux, mais jusqu'à quel point ?
Une pêche aux canards dans un musée d'antiques, c'est déjà sacrément osé ! Quelles sont les limites que s'impose le musée ?
« Le mauvais goût et le racoleur » confie Lydia. L'équipe nous révèle que, le plus souvent, elle cherche d'abord un titre de visite avant d'en construire son contenu. « Nous avions eu l'idée du titre de visite : "La visite pour ceux qui aiment les fesses", pour faire référence aux représentations de la nudité dans l'Antiquité. Le titre était accrocheur, voire provocateur, ce qui nous obligeait d'être extrêmement sérieux en ce qui concerne le contenu. Finalement, ça a été jugé trop racoleur, et nous aurions risqué des reproches et incompréhensions ».
Des formats à essaimer
Peut-on imaginer que de tels concepts puissent s'adapter à tous les musées ? Lydia et Mathieu pointent du doigt une problématique majeure qui explique souvent le manque de nouveauté dans les musées. « Nous avons la chance d'avoir beaucoup de liberté. Nous pouvons faire ce qui nous semble le plus propice et tester de nouvelles idées. Beaucoup de musées sont encore trop peu permissifs, ce qui empêche cette créativité. »
Lydia et Mathieu terminent en affirmant que leur démarche est open source et que tout l'enjeu pour les musées est de décloisonner les services entre ceux des collections et ceux de la médiation.
Imaginer une nouvelle expérience de visite en autonomie avec son smartphone
Comment attirer les visiteurs qui détestent les visites accompagnées et qui trouvent qu'il n'y a pas assez d'explications dans les musées ? C'est la question que s'est posée le service des projets numériques du Muséum de Toulouse avant d'avoir imaginé la visite Muséum mobile.
Une visite en autonomie et libre techniquement
Désormais au Muséum de Toulouse, le public a la possibilité d'accéder à une application qui l'accompagne dans sa visite. Cette application, développée par la société LIVDEO, ne nécessite pas de téléchargement, elle n'utilise donc pas la mémoire du téléphone. Il suffit de se connecter au Wi-Fi local Visite Muséum pour y accéder. Intuitive, l'application est gratuite pour tous les visiteurs du musée. Le Muséum cible plus particulièrement les abonnés, les étrangers - la visite est traduite en anglais et espagnole - et également les personnes sourdes et malentendantes puisqu'une version en langues des signes françaises sera bientôt disponible.Des stickers sont disposés à chaque endroit de l'exposition permanente, du Jardin botanique et des Jardins du Muséum à Borderouge pour indiquer que l'application peut apporter une information.
Picorer du contenu exclusif
L’idée de la visite Muséum Mobile est d’offrir du contenu supplémentaire et exclusif. « Il ne fallait pas tomber dans le côté rébarbatif qui aurait consisté à donner des informations qui étaient déjà présentes sur les cartels. Et aussi de faire attention à ne pas être soporifique en proposant un élément = une explication » raconte Maud.
Cherchant à retenir l'attention sur les objets et ne pas tomber dans le piège du jeu qui a tendance à rendre le visiteur esclave de l'outil, les contenus de l'application cherchent à susciter la curiosité à propos d'un objet. Adoptant le ton narratif plutôt qu'humoristique, l'application tente de provoquer un aller/retour entre l’objet et le contenu.
« Par exemple, avec l'éléphant du hall d'entrée, l'application permet au visiteur d'accéder à un petit contenu qui lui donne envie d'aller plus loin. Sous forme de flash, apparaissent une image évocatrice et une incitation du type « souhaitez-vous connaître ma vie avant la naturalisation ? ».
Observer le public
Maud nous confie avoir passé un temps important à observer les visiteurs du Muséum pour comprendre les objets qui les intriguaient le plus et qui seraient susceptibles d'être détaillés dans l'application.
« Dans l'espace ethnologie, les visiteurs sont souvent déstabilisés car la pièce est très grande avec beaucoup d'objets, mais sans sens de visite. En mode incognito, je me suis rendu compte qu'ils avaient tendance à se diriger et observer la même pièce. Du coup, l'idée était de donner de l'information supplémentaire sur cette œuvre dans l'application ».
Un décloisonnement des services nécessaire
Le challenge pour le développement de la visite Muséum Mobile était de faire en sorte de décloisonner le service de médiation de celui des collections. En effet, le service des collections a l'expertise des contenus, celui de la médiation des publics. Pour concevoir la visite, leur complémentarité était donc indispensable.
« Finalement, avec les nombreux aller/retour, la visite Muséum Mobile a pris près d'un an à se construire. Il a fallu provoquer pour chaque espace que nous souhaitions introduire, un rendez-vous entre les différents services. C'est un travail collaboratif qui a permis la création des contenus. »
Raconter une histoire à travers le scénario de visite
Comment créer une suite logique dans la construction d'une visite ? C'est la question que se pose Julie à chaque nouvelle exposition. Au travers de quelques-unes de ses créations - avec le service ingénierie culturelle de Science Animation - elle revient sur la méthode qu'elle s'efforce d'appliquer.
Le fil conducteur pour rendre le public acteur de sa visite
Science Animation a une approche pluridisciplinaire des sciences. Julie explique que l'idée première est surtout de véhiculer un message positif envers la thématique scientifique et technique abordée pour ne pas effrayer le public.
« Raconter une histoire autour d'une exposition, d'un évènement, c'est l'approche qu'on choisit au moment de la scénarisation. Au départ, on imagine souvent un titre d'exposition puis on construit le fil conducteur du début à la fin. »
Julie nous détaille l'exemple de l'exposition « Archéo, une expo à creuser » produite pour le Musée Saint-Raymond en 2015. La conception de cette exposition répond complètement aux problématiques que se posait alors le Musée Saint-Raymond. Pour rompre avec l'idée d'un musée dans lequel tout ou presque est intouchable, l'exposition cherchait dès le départ à rendre le public acteur de sa visite.
« L'idée était d'attirer de nouveaux publics avec cette exposition. Pour cela, il a fallu construire un fil conducteur qui mette le visiteur dans une position différente de celle attendue dans un tel musée. D'où l'idée de l'inviter à découvrir l'archéologie en se mettant véritablement dans la peau d'un archéologue. Ainsi, les visiteurs enfilaient leur gilet et leur casque de chantier pour la visite avant d'être mis à contribution dans le chantier de fouille (avec du vrai sable !) et de finir dans le laboratoire pour analyser les trouvailles ». Julie précise également que trois niveaux de lecture étaient proposés pour les contenus, ce qui permettait d'intéresser des connaisseurs comme des découvreurs.
Malgré tout, rendre le public acteur de sa visite n'est pas une mince affaire et Julie en témoigne en racontant l'exemple de l'exposition « Inventez la ville...dont vous êtes les héros » produite en 2017 pour le Quai des Savoirs.
« Dans cette exposition, nous invitions le public à se mettre dans la peau d'un super héros dans une ville pour trouver des solutions pour la rendre meilleure. À l'aide de son carnet d'entrainement, il partait à la rencontre des différents aspects qui font une ville pour, au terme de la visite, donner des idées pour imaginer la ville de demain. Mais ce fil conducteur était parfois difficile à tenir jusqu'à la fin de la visite. Beaucoup de visiteurs proposaient des choses qui n'avaient rien à voir avec le thème ! Mais il faut savoir l’accepter ».
L'aspect interactif et la gamification
Avec le fil conducteur, la dimension ludique et interactive est appréhendée pour chaque espace et dispositifs imaginés. C'est un point d'honneur que se donne d'ailleurs Julie pour qui ces approches sont primordiales pour la médiation. Autre aspect souvent utilisé en scénarisation: la gamification. Cette approche permet de challenger les publics et, ainsi, leur permettre de retenir davantage de contenus en s'amusant.
« Dans l'expo Archéo, tout en vivant le quotidien d'un archéologue, les visiteurs disposaient d'un « ArchéoPass » qu'ils devaient compléter au fur à mesure des épreuves réussies durant la visite ».
L'exemple du format « enquête »
Autre exemple évoqué par Julie, l'exposition-enquête « Planète Mer, l'observer, la comprendre » qui s'est tenue au Quai des Savoirs fin 2017. Le fil conducteur s'est construit autour d'un scénario de science-fiction dans lequel le visiteur devait enquêter : « Envoyé en 2180, le public découvrait la ville de Toulouse plongée sous la glace avec pour mission de remonter le temps pour comprendre ce qui avait bien pu provoquer un tel bouleversement. Pour ce faire, il devait engranger des données, répondre à des questions et ainsi, comprendre le rôle du changement climatique ».
Le challenge pour ce genre de fil conducteur est de faire passer le bon message. Julie se souvient qu'il était difficile d'associer le choix du scénario au contenu scientifique.
« C'était parfois compliqué d'amener le scénario SF au comité scientifique qui craignait, à juste titre, que de mauvais messages soient transmis. Nous avons eu l'idée de proposer une médiation humaine systématique à la fin de l'enquête pour être sûrs que les visiteurs aient bien compris ».
Pour terminer, Julie annonce la conception d'une nouvelle exposition sur la thématique du son et de la lumière que Science Animation est en train de concevoir pour l'Espace EDF Bazacle pour octobre 2018. Gardant le même cheval de bataille, elle nous divulgue en avant-première ce que l'exposition contiendra, avec notamment une scénographie en scène de concert.
Pour conclure cet échange, l'équipe des Brasseurs demande aux intervenants à quoi ressemblerait LA visite originale de leurs rêves s'ils avaient un budget illimité.
Lydia et Mathieu proposeraient une visite tout nu au Musée Saint-Raymond comme cela a été osé au Palais de Tokyo à Paris. Julie, quant à elle, créerait une exposition à la scénographie poussée à son extrême dans l'aspect immersif au point que les visiteurs y croiraient à 100%. Enfin, Maud imaginerait une visite du Muséum à dos d'éléphant. Bref, des idées folles ;-)
Les pitchs du soir
Camille Rossignol annonce la programmation du festival de culture scientifique Science in the City organisé par Toulouse Métropole à l'occasion d'ESOF 2018. 120 évènements dans plus de 55 lieux à Toulouse et sa métropole.
Mariette Escalier, lance un appel pour une série de résidences de vidéastes scientifiques au Quai des Savoirs. Ils auront carte blanche pour utiliser le studio du Quai et pour réaliser leur production.