Les trois architectes

Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 26 avril 2023   780

Si l’on en croit Alexandre Dumas, les trois mousquetaires étaient quatre. Le romancier les fait vivre au temps où Pierre de Fermat, magistrat toulousain natif de Beaumont-de-Lomagne, se passionnait pour les mathématiques, les textes en grec et latin, les écrits de ses contemporains et correspondait avec toute l’Europe savante. Ce qui différence de ces personnages de légende les trois architectes qui ont été appelés à intervenir dans la rénovation de l’hôtel Fermat, maison natale de notre magistrat, c’est qu’ils/elles sont bien réel-le-s et non pas né-e-s de l’imagination fertile d’un écrivain, et qu’ils/elles sont trois et trois seulement, pas un de plus.

Un trésor architectural

Avec, par ordre d’entrée en scène Roger Lasnier qui s’est vu confier dans les années quatre-vingt, par Henri Daudignon maire de Beaumont, la tâche de restaurer cet hôtel particulier afin d’abriter l’office de tourisme et les associations culturelles de la ville parmi lesquelles Fermat Lomagne appelée à devenir Fermat Science. Devant certaines anomalies dans le relevé du bâtiment et sur la foi des sondages effectués, Roger Lasnier fit appel à Gilles Séraphin, architecte diplômé du Centre National d’Etudes Supérieures et de Conservation des monument anciens.

Nul doute que si Alexandre Dumas, avait écrit cet article, il n’aurait pas hésité à nous décrire par le menu l’extraordinaire découverte des deux complices : un trésor, peut-être même celui des Templiers enfermé dans une cache secrète de la mystérieuse demeure. Mais la vie n’est pas un roman… Encore que… La réalité, parfois, dépasse la fiction.

Sous l’hôtel particulier de la fin du XVIIIe siècle, de belle qualité mais relativement banal, les deux hommes mirent à jour une bâtisse beaucoup plus ancienne. Véritable trésor architectural riche de cheminées monumentales sur deux niveaux, de grandes salles aux plafonds à closoirs avec des corridors et des petites pièces en étage et demi-étages. Une merveille que rien a priori ne laissait soupçonner malgré la présence d’un escalier à vis menant à une tour de prestige manifestement construite en plein centre de l’un des îlots qui avaient été déterminés par les arpenteurs au cœur de la bastide lors de sa création. De là à conclure que la bâtisse initiale avait été créée pour une famille aristocratique, il n’y avait qu’un pas.

Plusieurs éléments plaidaient en faveur de cette hypothèse. Le caractère massif de de la bâtisse, sa position dans le parcellaire de la bastide ainsi que l’existence de la tour d’escalier, une tour hors d’œuvre, marquant dans l’architecture, extrêmement normalisée jusqu’au XVe siècle, une maison aristocratique. Enfin le dernier marqueur d’une origine prestigieuse était l’épaisseur des murs, ici considérable : 322 pouces soit  90 cm au lieu des 239 pouces ( 67 cm) classiques dans des bâtisses plus communes.

D’autre part un compoix de 1536 reprenant un compoix plus ancien datant de  1548 ont été retrouvés par un historien local, Pierre Gairin. Ces cadastres révélaient l’existence à l’emplacement exact de l’hôtel Fermat actuel d’une ancienne salle beaucoup plus ancienne encore. Or on sait que le terme salle désignait, depuis le moyen âge, des petits châteaux rectangulaires de treize mètres sur huit avec une seule pièce par étage. La salle et la tour constituaient sans doute un tout. Une preuve de plus, s’il en était besoin, de l’origine aristocratique de la Maison Fermat.

En route pour l’aventure

Et l’aventure a commencé. L’enjeu était d’importance : faire de cet hôtel historique un immeuble d’aujourd’hui sans dénaturer les parties les plus anciennes n’était pas une mince affaire. Le défi à relever pour Roger Lasnier, dûment mandaté par la municipalité, était de donner une nouvelle vie à ce bâtiment ancien, quelle que soit son histoire, et d’en faire un foyer de dynamisme pour les activités culturelles de la cité.

Mission accomplie puisque, quelque vingt ans après, chacune des associations et structures hébergées dans la Maison Fermat avait prospéré, développé des projets et se trouvaient à l’étroit dans un bâtiment qui ne correspondait plus à leurs besoins. Ce que voyant, la municipalité menée par Jean Luc Deprince fit, en 2014, l’acquisition de l’hôtel mitoyen qui avait appartenu en son temps à un sieur Dubosc et se lança dans un projet de rénovation.

C’est là qu’entre en scène Gaëlle Cavarrec, notre troisième architecte. En collaboration dans un premier temps avec Roger Lasnier puis ensuite seule, elle se lança dans un projet de remise aux normes et de restauration des deux bâtiments dans le but d’en faire un pôle culturel, touristique et économique.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la tâche n’avait rien de facile. Certes, la maison Fermat recevait déjà du public avant les travaux.Mais le nouveau bâtiment ayant vocation à devenir un musée, son classement changeait du même coup et il y avait lieu de s’adapter à de nouvelles normes, notamment en matière de sécurité, de solidité du bâtiment et surtout d’accès aux personnes à mobilité réduite (PMR).

Une adéquation difficile

La contrainte qui été celle de Gaëlle Cavarrec, c’est la difficile adéquation entre le respect de ces trois normes incontournables et la volonté de sauvegarder un maximum de l’existant, notamment l’organisation de l’espace constituée en plusieurs endroits des petites pièces. Sauver le charme de la visite, adapter sans démolir étaient essentiels mais quid de la sécurité incendie et de l’accessibilité PMR ? Les problèmes concernant ces points ont été résolus grâce à une étroite collaboration avec les bureaux d’étude, les bureaux de contrôle et les pompiers préventionnistes du département.

La solidité notamment a posé un gros problème. Lors des travaux, il s’est avéré qu’un mur caché derrière une double paroi dans la partie du XIXe siècle n’était pas apte à supporter la passerelle en béton prévue dans les plans. La prouesse technique consistant à recréer une structure avec des poteaux portés par des micropieux invisibles pour le visiteur et s’appuyant sur de nouvelles fondations a permis de ne pas dénaturer le projet architectural.

Moyennant quoi une dalle de béton a pu être coulée pour supporter la charge d’une passerelle de neuf mètres de long courant d’un mur à l’autre.

Le but étant d’inviter les visiteurs du futur musée Fermat à vivre un voyage dans le temps et à s’installer dans une sorte de dualité entre deux ambiances. Arrivés dans la partie moderne du bâtiment, à peine ont-ils passé le seuil qu’ils se retrouvent dans un hôtel particulier du XVIe siècle, un lieu hors du temps. Se retrouver immergés dans un espace qu’a pu connaître Pierre de Fermat est une expérience magique !

L’hôtel particulier qui, voici une trentaine d’années, a été mis en valeur par une première équipe municipale éclairée qui a su s’entourer des professionnels compétents va, au moment de l’ouverture du Musée Fermat prévue en 2024, connaître une nouvelle vie. Il faut espérer que dans trente ans, les futurs Beaumontois développeront autant d’imagination et de force pour permettre aux générations à venir l’accès au plus ancien édifice civil de la cité, magnifique patrimoine que nos contemporains et nos anciens ont su préserver.