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Satellite et statistiques pour prédire le paludisme à Madagascar

Publié par IRD Occitanie, le 6 mai 2025   48

Données spatiales et sanitaires alimentent le suivi local du paludisme pour mieux cibler la lutte antivectorielle et répondre aux besoins de santé.

Chaque année, de décembre à mars, le paludisme fait des ravages dans le sud-est de Madagascar. À la faveur de la saison des pluies, les moustiques prolifèrent et transmettent la maladie de proche en proche. Cibler les sites inondés où ils pondent, pour limiter le développement des larves, mais aussi distribuer les moyens sanitaires en fonction des besoins est un véritable enjeu pour sauver des vies.

Portrait

Il existe déjà des modèles statistiques capables de produire des prévisions du paludisme plusieurs mois à l’avance à l’échelle nationale et régionale. Mais ils sont impuissants quand il s’agit de guider l’action des intervenants locaux, qui doivent connaitre la dynamique des inondations pour traquer les gîtes larvaires parmi les milliers de rizières de leur périmètre d’intervention. Ou connaitre la dynamique de l’épidémie saisonnière, village par village, pour cibler les actions de contrôle ou pour distribuer tests de dépistage rapide et traitements d’une manière optimale », explique Andres Garchitorena, épidémiologiste à l’IRD au sein de l’unité MIVEGEC.

Pour faire face à ce double défi, les scientifiques de l’IRD et leurs partenaires malgaches ont développé des systèmes hyper-locaux d’aide à la décision, pour l’alerte précoce du paludisme et pour la gestion de gîtes larvaires. Intégrant la dynamique de la maladie et celle des inondations à l’échelle d’un district du sud-est de la Grande île, ils démontrent la pertinence de cette approche pour améliorer le système sanitaire en milieu rural. Les informations recueillies par ce système d’alerte sont accessibles sur des applications web, à disposition des agents de santé et des opérateurs de la lutte contre les vecteurs. 

Rizière inondée vue de près.

Les zones inondées, comme les rizières, constituent autant de gîtes larvaires propices à la reproduction des moustiques vecteurs du paludisme.

© Mauricianot Randiamihaja

Dénombrer les cas par villages

Connaitre l’étendue de l’épidémie n’est pas chose simple ! Les données sur les cas sont collectées à partir des centres de santé, mais ces informations brutes ne reflètent pas toujours la dynamique de la maladie. Des biais statistiques, liés à la sous-déclaration des cas dans les villages éloignés des centres de santé, doivent être corrigés. L’intégration de données environnementales fines, telles les inondations des terres à une résolution de 10 mètres, renforcent la robustesse des prédictions associées au seul nombre de cas dans un village. Les algorithmes de ce modèle ont été entrainés sur les données mensuelles de 195 fokontany entre 2017 et 2020. Le système, maintenant alimenté par la remontée automatique des données sanitaires et environnementales, est capable de prédire les cas de paludisme jusqu’à trois mois à l’avance au niveau de chaque village. Transformées en indicateurs pertinents pour les acteurs du système de santé, ces prédictions permettent de déterminer les quantités de fournitures médicales nécessaires à chaque clinique et le nombre de cas restant non traités dans le district.

Portraitt

En combinant les données climatiques et sanitaires, ce système d'alerte précoce est en mesure de prévoir les besoins en médicaments avec une précision supérieure de plus de 60 % à celle du système actuel qui repose uniquement sur les données sanitaires. Il a également permis de réduire de plus de 50 % la sous-estimation des besoins, qui est l'un des principaux facteurs de rupture des stocks », indique Michelle Evans, spécialiste d’écologie des maladies, de l’ONG Pivot et de l’Harvard Medical school.

Des opérateurs malgaches de santé consultent un ordinateur portable.

Les acteurs locaux de santé et de lutte contre les vecteurs peuvent accéder aux données du système d'alerte sur un ordinateur ou un smartphone.

© Mauricianot Randiamihaja

Débusquer les larves dans les rizières

Face à des moustiques dont le comportement et la résistance aux insecticides évoluent, les mesures classiques de lutte antivectorielles ne suffisent plus. Au-delà de la démoustication des maisons et de l’usage de moustiquaires imprégnées d’insecticide, il faut aussi cibler les eaux où se développent leurs larves. Pour cela, les agents des services en charge de la lutte contre les vecteurs ont besoin d’une caractérisation précise des gîtes larvaires à des échelles spatiales et temporelles fines pour garantir des interventions bien ciblées et opportunes. Dans ce but, les scientifiques ont développé un système d’alerte s’appuyant sur une cartographie précise des parcelles et sur une détection des inondations via imagerie radar issue du satellite européen Sentinel-1. Celle-ci, d’accès libre, permet de s’affranchir de l’obstacle nuageux qui entrave l’imagerie optique en saison des pluies. 

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L’obstacle nuageux a été contourné grâce à l’utilisation d’imagerie satellitaire radar en bande C (longueur d'onde de 5 cm, résolution spatiale de 10 m), choisies pour leur capacité à détecter les surfaces d'eau malgré la couverture nuageuse fréquente dans les zones montagneuses et leur interaction spécifique avec la végétation. Ces données permettent de distinguer facilement l'eau libre (faible rétrodiffusion) des zones couvertes par une végétation naissante, comme les jeunes rizières (double rebond, forte rétrodiffusion) », explique Mauricianot Randriamihaja, géo-informaticien employé par l’ONG Pivot et doctorant à MIVEGEC.

Le modèle a été entrainé avec des données recueillies sur le terrain entre 2016 et 2022. Il est désormais alimenté par des images radar chargées automatiquement toutes les deux semaines. Il permet aux opérateurs d’obtenir des indicateurs utiles comme la fréquence et la période des inondations, la classification des rizières, la priorisation des interventions, le nombre saisonnier d’inondations en fonction des pratiques agricoles… Grâce à quoi ils pourront décider, en consultant l’appli ou le portail du système d’alerte, où et quand intervenir dans les 17 000 rizières que compte le district.
Étendus à l’échelle du pays, ces deux systèmes d’alerte locale pourraient réduire le fardeau du paludisme sur les populations rurales, dans un contexte où l’agriculture irriguée constitue un moteur majeur de la transmission.


par Olivier Blot, IRD le Mag'

CONTACTS

Andres Garchitorena MIVEGEC (IRD/CNRS/Université de Montpellier)

Michelle Evans ONG Pivot et Harvard Medical School

Mauricianot Randiamihaja doctorant MIVEGEC (IRD/CNRS/Université de Montpellier) et ONG Pivot

PUBLICATIONS

Mauricianot Randriamihaja, Tokiniaina M. Randrianjatovo, Michelle V. Evans, Felana A. Ihantamalala, Vincent Herbreteau, Christophe Révillion, Eric Delaitre, Thibault Catry & Andres Garchitorena, Monitoring individual rice field flooding dynamics over a large scale to improve mosquito surveillance and control, Malaria Journal, 1 avril 2025
DOI:10.1186/s12936-025-05344-3

Michelle V. Evans, Felana A. Ihantamalala, Mauricianot Randriamihaja, Vincent Herbreteau, Christophe Révillion, Thibault Catry, Eric Delaitre, Matthew H. Bonds, Benjamin Roche, Ezra Mitsinjoniala, Fiainamirindra A. Ralaivavikoa, Bénédicte Razafinjato, Oméga Raobela & Andres Garchitorena,  Increasing the resolution of malaria early warning systems for use by local health actors, Malaria Journal, 30 janvier 2025
DOI:10.1186/s12936-025-05266-0  

Source : https://lemag.ird.fr/fr/satell...