Santé, genre et drogues : la Fondation Croix-Rouge distingue les recherches de Rose-André Faye
Publié par IRD Occitanie, le 27 novembre 2025 1
La Fondation Croix-Rouge française a
décerné son prix Avenir 2025 à Rose-André Faye (IRD-TransVIHMI) pour ses
travaux sur les parcours et les besoins des femmes usagères de drogues
en Afrique de l’Ouest. Une reconnaissance majeure pour une recherche qui
donne voix aux femmes, questionne les inégalités de genre et nourrit
l’action publique.
Elle revient pour nous sur le sens de ce prix de la Fondation Croix-Rouge, son engagement et les défis auxquels sont confrontées les femmes qu’elle rencontre.
© B. Blondel - Fondation Croix-Rouge française 2025
Que représente pour vous l’obtention du prix de recherche de la Fondation Croix-Rouge ?
Ce
prix représente pour moi un encouragement à poursuivre mes recherches
avec la même exigence scientifique et le même engagement humain, afin de
continuer à produire des connaissances sur les expériences des femmes,
d’améliorer leur accès aux soins et de contribuer à l’élaboration de
politiques des drogues plus justes et plus humaines. Au-delà, il s’agit
aussi d’une reconnaissance de trajectoires souvent invisibilisées. Ce
prix renforce la légitimité d’une recherche ancrée dans les terrains
africains et portée par les savoirs expérientiels. Enfin, il me donne un
nouvel élan pour l’avenir, dans cette vision portée par l’IRD :
« Déployer la recherche, partager la science, transformer l’avenir. »
© Rose-André Faye
Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser aux questions de genre, de drogues et d’addictions, en particulier au Sénégal ?
Mon
intérêt est né d’un double constat : d’une part, la faible
fréquentation des services de soins et de réduction des risques par les
femmes, en particulier en Afrique ; d’autre part, le manque de données
ethnographiques sur leurs expériences en Afrique de l’Ouest. Or, la
littérature internationale montre que les femmes usagères de drogues
cumulent des vulnérabilités spécifiques (VIH, travail sexuel,
stigmatisation, précarité). Les programmes, conçus selon un modèle
masculin, répondent peu à leurs besoins. C’est pour combler ce vide que
j’ai consacré ma thèse d’anthropologie,
première étude socio-anthropologique sur les femmes consommatrices de
drogue en Afrique de l’Ouest, à l’analyse de leurs trajectoires au
Sénégal.
© B. Blondel - Fondation Croix-Rouge française 2025
Comment s’inscrit votre collaboration avec l’IRD dans le développement de vos recherches ?
Ma collaboration avec l’IRD, via TransVIHMI et le Centre de Recherche et de Formation à la prise en charge clinique de Dakar (CRCF, Fan-Dakar),
m’a permis d’inscrire mes travaux dans une dynamique interdisciplinaire
et internationale, et de bénéficier de l’accompagnement de chercheurs
engagés comme Alice Desclaux. Ce partenariat favorise l’articulation
entre recherche et action, et le renforcement de collaborations avec l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar,
les acteurs de terrain, de santé et de réduction des risques, les
institutions et le réseau RESCIDAF (Réseau Scientifique des Drogues en
Afrique), dont je suis membre fondatrice. Grâce à un financement de Sidaction,
je poursuis dans cette équipe une recherche postdoctorale sur la place
et la reconnaissance des femmes dans les associations d’usagers, en lien
avec les questions de VIH, d’addiction et de réduction des risques.
© Rose-André Faye
Quels types d’activités menez-vous sur le terrain ? Et quelles sont les principales réalités que vous observez auprès des femmes concernées ?
A
travers une immersion dans le milieu des usagers de drogues et dans le
Centre de Prise en Charge des Addictions de Dakar (CEPIAD), j’effectue
des enquêtes ethnographiques, observations et entretiens auprès de
femmes et d’hommes usagers de drogues, de soignants et d’acteurs
institutionnels. Nos travaux montrent que la réalité dépasse largement
la figure souvent décrite de la femme usagère de drogues et travailleuse
du sexe.. On observe une grande diversité des profils féminins à Dakar
et Mbour : jeunes femmes issues du milieu festif, femmes de quartiers
populaires, travailleuses du sexe, anciennes consommatrices ou femmes
sous traitement de substitution, dépendantes à divers produits (héroïne,
cocaïne, crack, tramadol, cannabis, médicaments antidouleurs). Notre
travail met en évidence des besoins spécifiques encore mal pris en
compte, des vulnérabilités multiples liées à la santé, à la
stigmatisation et à l’exclusion, et un fort impact des normes de genre
sur l’accès aux soins, mais aussi des stratégies d’adaptation et de
résilience portées par les femmes elles-mêmes, notamment à travers les
associations.
© IRD – Morgane Boudoul
En quoi vos travaux peuvent-ils contribuer à améliorer la prise en charge, la prévention ou la compréhension sociale des addictions ?
À
travers une perspective féministe intersectionnelle, mes travaux
déconstruisent les stéréotypes, rendent visibles les inégalités de genre
dans les parcours de soins et alimentent le plaidoyer pour une approche
centrée sur la santé et les droits humains. En valorisant la parole des
femmes usagères de drogues, ils orientent vers des dispositifs plus
inclusifs et sensibles au genre. Mes résultats ont permis d’expliquer la
faible fréquentation des services par le déficit de réponse aux besoins
et par la crainte des femmes d’être stigmatisées. Présentées auprès des
équipes de santé, des associations et des autorités sanitaires au
Sénégal, ainsi que lors de conférences internationales, ces données
contribuent à repenser l’adaptation des services à la diversité des
profils et des besoins des femmes.
© B. Blondel - Fondation Croix-Rouge française 2025
Selon vous, comment la recherche en sciences sociales peut-elle aider à construire des réponses plus durables et inclusives aux enjeux de santé publique ?
Pour comprendre et apporter des réponses efficaces à
des phénomènes sociaux complexes et sensibles, il est important de
recueillir des données fines. Pour cela, la recherche en sciences
sociales permet une lecture des dynamiques sociales, des rapports de
pouvoir et des logiques institutionnelles. Elle permet de replacer les
usages dans leur contexte et de connaitre les perceptions et les besoins
des personnes concernées en matière de soins et de prévention. Dans mes
travaux, cette approche reconnait les femmes usagères de drogues comme
actrices et productrices de savoirs. En articulant analyse et
réflexivité, elle contribue à des politiques plus justes, fondées sur
les réalités locales.
Découvrez le portrait vidéo réalisé par la Fondation Croix-Rouge française :
Source : https://www.ird.fr/sante-genre...
Contact : Rose-André Faye, TransVIHMI
Photo de bandeau : © B. Blondel - Fondation Croix-Rouge française 2025
