« Rituels Grecs, une expérience sensible » au Musée Saint-Raymond
Publié par Morgane Bouterre, le 16 janvier 2018 5k
ÉTONNEMENTS SENSORIELS ET ANECDOTES ANTIQUES
Jeudi 28 décembre 2017, c’est entre Noël et le réveillon de la Saint-Sylvestre que je décide de rendre visite au Musée Saint-Raymond pour découvrir sa nouvelle exposition. « Rituels Grecs », ce nom m’inspire particulièrement connaissant déjà quelques us et coutumes de cette lointaine civilisation et étant assez friande de récits mythologiques. Toutefois, le sous-titre « une expérience sensible » m’intrigue quelque peu. Mon imagination va bon train. J'attends d’être chamboulée sensoriellement parlant et d’en apprendre de belles au sujet de ces illustres Grecs.
À peine entrée, c’est un magnifique panneau explicatif reprenant le graphisme de l’exposition qui accueille le visiteur. On comprend rapidement ce sur quoi l’exposition va nous emmener, à savoir, 4 temps forts de la vie des Grecs (le mariage, les sacrifices, le banquet et les funérailles) tous empreints de rituels religieux et invariables qui étaient censés garantir l’équilibre du monde et la bienveillance des dieux !
Vaste programme quand on imagine un tant soit peu toutes les divinités auxquelles les Grecs avaient foi. Heureusement, l’exposition a choisi de focaliser son propos sur ces grands rendez-vous sous l’angle des ambiances sensorielles dans lesquelles ils se déroulaient !
Mariage, le flamboiement des sens
L’exposition nous donne l’occasion de nous immerger dans la cérémonie du mariage grec en décortiquant un à un les rites associés à cette étape décisive de la vie de la femme. Tout en comprenant son organisation et sa symbolique vis-à-vis des divinités (Aphrodite, Héra et Artémis), je suis entraînée à découvrir une multitude de pratiques consacrée à ce premier temps fort.
Je découvre les attributs de la future mariée (couronne de myrte, voile couleur safran, ceinture), je sens les huiles qu’elle utilise pour son bain, je m’applique l’onguent au styrax1, le fond de teint (au carbonate de calcium et aux terres naturelles) et le fard à paupières (ocre rouge, charbon végétal, henné ou encore cinabre2) qui embellissent son maquillage, et je renifle quelques mets typiquement servis au repas de fête (Creidon3 ou encore sesamides4).
Toutes ces senteurs et ces aliments ne me sont pas inconnus, bien que devenus beaucoup moins familiers de nos pratiques modernes. Finissant par écouter quelques extraits de musiques merveilleusement bien rythmés par la pharminx (ancêtre de la cithare) ou encore la syrinx (flûte de pan), je suis définitivement embarquée dans le cortège nuptial accompagnant les mariés.
Drôle de rite ;-) J’apprends justement que lors de la cérémonie de mariage, le cortège nuptial accompagnait les jeunes époux jusqu'à la porte de leur logis pour la nuit de noce. Rien de bien transcendant jusque-là, mais attendez que je vous raconte la suite. Une fois les époux tranquilles, ce même cortège s'installait au seuil de la porte pour encourager la première union sexuelle à coup de chants et d’acclamations stimulantes. Imaginez une seconde votre grand-mère vociférer “Vas-y, tu peux le faire !”. Très gênant voire impensable pour notre époque, mais rappelons que le mariage chez les Grecs était avant tout un acte contractuel dont le but était de garantir la descendance !
Le sacrifice, l’accord entre les dieux et les hommes
Autre temps fort beaucoup moins joyeux, mais hautement symbolique : le sacrifice. Je comprends rapidement que nous avons affaire au rituel central de la religion grecque, celui qui est à la fois le plus complet et le plus beau et qui restait prépondérant pour entretenir la communication avec les dieux (Zeus et Démeter tout particulièrement). Le sacrifice animal alloué lors des grandes occasions, faisait l’objet d’étapes précises que l’exposition nous détaille tout en invoquant nos sens.
Pour commencer, je découvre que l’animal était ornementé de diverses manières avant d’être emmené à l’autel du sacrifice. Je me régale ensuite à sentir les différents liquides répandus comme offrandes que l’on appelle aussi les libations (huiles aromatiques, liquides miellés, eau pure, vin) qui permettaient aussi d’aviver les flammes des foyers de l'autel.
Un instant, je m’arrête devant ce que je pense être une amphore mais qui est en réalité un cratère grec5 sur lequel seraient représenté une scène de sacrifice et sa symbolique divinatoire. Non loin, je m’enivre des odeurs diffusées par les huiles parfumées et les encens qui servaient à invoquer les dieux (qui dit en passant permettaient aussi de camoufler l’odeur de sang). Effluves de thym, de romarin et de genévrier pour les plus connus, mais aussi de galbanum6, de styrax et de myrrhe7 que je découvre littéralement.
Drôle de rite ;-) Après la mise à mort de l’animal, la viande était coupée en parts, rôtie ou bouillie sur l’autel. Commençait alors le partage avec les dieux. C’est à ce moment-là que ça devient assez surprenant ! En effet, à l’inverse de ce que l'on pourrait croire, ce n’était pas les chairs et les graisses, mais bien les viscères et les os qui étaient brûlés pour nourrir les dieux. Ce drôle de rite serait lié au mythe de Prométhée, encore une divinité grecque !
Le Symposion : plaisir et échanges autour du cratère
Quoi de mieux qu’un grand festin pour éveiller les sens ? Les Grecs l’avaient bien compris ! En effet, ce moment figurait lui aussi comme un grand rendez-vous marqué de rites spécifiques associés à l’union divine. Le banquet était une façon pour eux de profiter d’un moment de jouissance à l’instar de leurs dieux.
Manger, boire, mais aussi se divertir représentaient autant de plaisirs à partager entre convives. Je découvre une nouvelle référence dans l’histoire des Grecs anciens : le Symposion. Il s’agissait de la deuxième partie du banquet qui était certainement le moment le plus ritualisé de celui-ci. Tout commençait par des libations et des prières destinées à Dionysos !! Oui, Dionysos, le fameux Dieu du vin, entre autre ;-)
C’est alors que le cratère était consacré pour honorer les dieux puis partagé entre les hôtes. Pour continuer dans les plaisirs, le but était d’attiser continuellement la soif des invités. Divers mets (olives, raisins, fromages de brebis, coccorres8, etc.) étaient proposés pour l'attiser, mais aussi pour garantir une bonne absorption de l’alcool. C’est que les Grecs savaient y faire pour cultiver leurs plaisirs.
J’ai l’eau à la bouche, je ne tarde pas à me faire une idée des sensations gustatives de l’époque en goûtant quelques raisins secs. Quelques notes de musiques et je m’affale sur les banquettes reconstituées. Elles aussi étaient de rigueur lors des banquets pour pouvoir s’allonger à son aise. Je commence à imaginer les convives improviser des chants au rythme de la lyre (instrument dont la caisse de résonance était de carapace de tortue) comme cela pouvait se faire à l’époque.
Drôle de rite ;-) Ce serait impensable pour les amateurs de vin et pourtant oui, c’est bien vrai, les Grecs ne consommaient jamais leur vin pur. En effet, boire du vin pur était considéré comme barbare. Les Grecs faisant preuve de « savoir boire », appréciaient cette consommation qui, selon les médecins de l’époque, avait la vertu de faciliter le transport de l'eau dans toutes les parties du corps. Pour ceux qui se laisseraient tenter, l’un des mélanges les plus harmonieux serait de deux parts d’eau pour trois parts de vin. Pour les plus aventureux, n’hésitez pas à l'agrémenter d’épices et de parfums comme à la mode de cette époque !
Les funérailles ou comment honorer les morts
Dernier espace, certes sur un sujet un peu plus sombre, mais avec tout autant de sensations à apprécier (et pas d’odeur de mort, je vous rassure de suite). Chez les Grecs, les funérailles se déroulaient selon un triptyque bien précis : exposition du corps, cortège funéraire et inhumation ou crémation du corps.
Le mort était considéré comme une souillure(le miasme9 ), car il pouvait troubler les vivants. D’où la conviction formelle qu’il fallait l’honorer et l’apaiser en lui offrant une digne sépulture pour s’éviter ses remontrances. Je découvre alors qu’une des premières étapes était de purifier le corps. Que ce soit avec le linceul (lin blanchi, signe de pureté) qu’avec les huiles parfumées et les onguents qui embaumaient le corps, la purification permettait aux âmes d’effectuer leur dernier voyage dans le monde des vivants pour rejoindre le royaume d’Hadès (le Dieu souterrain des enfers). Le célèbre Hermès guidait les âmes, car oui, la mort c’est aussi un rite de passage !
Partant avec quelques interrogations sur les odeurs de ces embaumements, c’est finalement d’agréables sensations qui m’envahissent avec notamment un parfum dit « megalleion10 » aux notes d’huile, de marjolaine, de cardamome et de cannelle. Je continue en m'appliquant sur la main l’onguent au cèdre et à la propolis ! Très riche, je le conseille vivement à celles et ceux qui auraient la peau sèche ;-)
Plus loin, je découvre une petite pièce de monnaie. La coutume voulait qu’on en dépose dans la bouche du défunt pour payer son droit de passage vers le monde des morts. Apparemment, cette pratique proviendrait du fait que les grecs utilisaient leur bouche comme porte-monnaie au quotidien. Ca me laisse un peu dubitative cette histoire, mais après tout...
Après la procession funéraire, le mort continuait à être honoré par des offrandes : on déposait des rameaux de myrte, des couronnes végétales, on faisait des libations devant sa tombe que je vais d'ailleurs découvrir un peu plus loin (vin miellé, vin à l’eau de mer, hydromel, miel, fruits, etc.). Ces pratiques étaient toujours liées au rite divinatoire puisque les offrandes (notamment le miel) servaient à adoucir la chair et le tempérament des divinités souterraines. C’est qu’ils étaient gâtés ces morts grecs !
Pour finir, je suis surprise de découvrir de la couleur et de jolis ornements sur une reconstitution de stèle de l'époque. Et oui, les stèles ne devaient pas passer inaperçues pour transmettre des émotions et provoquer la bienveillance des passants !
Drôle de rite ;-) Pendant la procession qui mène le défunt à sa tombe, j’apprends que les familles pouvaient faire appel aux services de pleureuses professionnelles. En gros, imaginez des femmes suivre le cortège funèbre en hurlant de pleurs, en s’arrachant les cheveux, en se lacérant le visage ou encore en se couvrant de cendres. Vous trouverez ça peut-être fou et pourtant ce n’est pas une blague, car les pleureuses devaient pouvoir montrer à tous l’affliction du cortège en agissant de la sorte !
J’arrête là ma visite en espérant vous avoir mis l’eau à la bouche pour découvrir ces rituels grecs. Vous les trouverez peut-être astucieux, logiques, beaux, énigmatiques, drôles ou encore complètement fous, mais si vous vous mettez un instant à la place de ces bons vieux Grecs - qui vécurent il y a plus de 2500 ans tout de même - et que vous découvrez nos quotidiens modernes, vous n’en penserez certainement pas moins ;-) Vous avez jusqu'au 25 mars 2018 pour découvrir l'exposition !
Notes :
- Styrax1 : Le styrax des anciens Grecs est la résine produite par l'aliboufier ou, selon les sources, le liquidambar. (Source : Exposition « Rituels Grecs, une expérience sensible »)
- Cinabre2 : Le cinabre est un pigment de teinte rouge vermillon obtenu par broyage et lavage de sulfure de mercure (Source : Wikipédia)
- Creidon3 : Galette cuite sur la braise. Elle était souvent portée au marié de la part de son épouse. On pouvait en manger avec du miel. (Source : Exposition « Rituels Grecs, une expérience sensible »)
- Sesamides4 : Pâtisserie façonnées en boule, composées de miel mélangé à du sésame et de l'huile (Source : Exposition « Rituels Grecs, une expérience sensible »)
- Cratère grec5 : Le cratère était un grand vase servant à mélanger le vin et l'eau (Source : Exposition « Rituels Grecs, une expérience sensible »)
- Galbanum6 : L’essence de galbanum est tirée de la racine d’une plante originaire d’Iran et d’Afgahnistan, qui contient une gomme. Son odeur est verte, végétale, terreuse, résineuse, assez montante et prenante. (Source : auparfum.com)
- Myrrhe7 : La myrrhe est une gomme-résine aromatique produite par l'arbre à myrrhe, appelé aussi « myrrhe ». Au temps des Grecs anciens, elle était importée d'Arabie et de la corne de l'Afrique. (Source : Wikipédia)
- Coccorres8 : Friandises faites d'une figue sèche et de trois noix (Source : Exposition « Rituels Grecs, une expérience sensible »)
- Miasme9 : Émanations malsaines provenant de matières organiques en décomposition et considérées, avant la découverte des micro-organismes pathogènes, comme l'agent des maladies infectieuses et épidémiques; odeur fétide qui s'en dégage. (Source : CNRTL.fr)
- Megalleion10 : Parfums composé d'huile de balanos, de baumier, de marjolaine, de costus, d'amome, de nard, de myrrhe et de cannelles de Chine et de Ceylan. Il était utilisé pour préparer les corps à la purification. (Source : Exposition « Rituels Grecs, une expérience sensible »)
« Bien sûr ne disposant ni de photo ni de vidéo permettant de retracer les rituels avec justesse, l’exposition Rituels Grecs est le fruit d’un rigoureux et minutieux travail de recherche sur les textes par les universitaires du laboratoire PLH-Erasme de l'Université de Toulouse 2 Jean-Jaurès pour reconstituer la richesse comme la diversité polysensorielle de ces rituels ; recherche appuyée ici par des prêts européens exceptionnels, dont celui particulièrement généreux, du Musée du Louvre » (Source : Exposition « Rituels Grecs, une expérience sensible »)