Le mystérieux Monsieur Fermat [Saison 1 - 5/5]

Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 21 mars 2020   1.4k

UNE PLAQUE FUNERAIRE BIEN EMBARRASSANTE.

L’homme qui naquit trois fois n’est décédé, comme le commun des mortels, qu’une seule fois, en 1665, à Castres. Cette date-là du moins est bien établie, mais Pierre Fermat ne fait rien comme tout le monde. Sa mort elle-même pose à nouveau le problème de sa date de naissance.

Voici comment l’existence d’une plaque funéraire destinée à perpétuer la mémoire du grand homme sur le tombeau de la famille Fermat, au couvent des Augustins, réveille toutes les questions.

 

L’épitaphe gravée sur cette plaque de marbre noir est rédigée en latin et ainsi formulée :

« A la pieuse mémoire de Pierre de Fermat, membre du parlement de Toulouse.

Très versé dans les belles lettres, dans la connaissance des langues, des mathématiques et de la philosophie, il se montra jusrisconsulte éminent et remplit sa charge avec tant de distinction qu’il semblait avoir concentré sur l’étude des lois toutes les forces de son esprit, bien qu’il les divisât entre les spéculations les plus ardues. Ennemi du vain étalage, il négligea de livrer ses travaux à l’impression ; plus grand encore par le dédain que par la production, il lut, sans orgueil, dans les livres d’autrui, la glorification de ses œuvres… »

Cet éloge se termine par la mention suivante : « OB.XII.IAN.M.D.C.LXV. AET.AN LVII » qu’on peut traduire ainsi : « Il mourut le 12 janvier 1665 âgé de 57 ans ou bien : dans la cinquante-septième année de son âge », ce qui le ferait naître entre janvier 1607 et janvier 1609.

Comment ? Ce magistrat intègre mathématicien de surcroît ne serait donc pas notre Pierre Fermat de 1605 ? Reprenons nos recherches ! 

Dans les registres de baptême de 1607, on ne trouve nulle trace de la naissance de cet hypothétique troisième Pierre fils de Dominique. Quant à ceux couvrant la période de 1608 à 1611, ils ont disparu. De plus, on ne peut s’empêcher de penser : deux Pierre Fermat nés du même père à quelques années d’intervalle, c ’était déjà beaucoup, mais trois ? C’est frôler l’absurde !

 

Réfléchissons ! Se pourrait-il que Samuel Fermat, fils aîné du mathématicien auquel on attribue la paternité de cette plaque vers la fin du XVIIème siècle ait été incapable de se rappeler la date de naissance de son père ? C’est certes de l’ordre du possible mais cela paraît d’autant plus invraisemblable que ce fils exemplaire a honoré la mémoire de son père en publiant sous le titre Varia Opera mathématica le seul livre qu’on ait longtemps possédé de ses œuvres mathématiques, Un ouvrage qui finit enfin par paraître en 1679 après moultes recherches car les lettres de notre savant avaient été disséminées, sans copies préalables, dans tout l’Europe.

Ce fils, cultivé et aimant, aurait oublié la date de naissance de son père ? Allons donc !

 

Une hypothèse se fait jour. Il se peut que la fameuse plaque ait été apposée dans le chœur de l’église des Augustins en 1782 en même temps qu’on y installait, à la mémoire du grand homme, un buste du sculpteur François Lucas. Qui s’acquittait ainsi du nécessaire devoir de mémoire ? On versera cette question dans la liste des mystères restant à élucider. Mais ce qui est sûr c’est que, pendant la période qui couvre les siècles suivant la mort de notre savant, jamais il n’a été oublié. Les plus grands mathématiciens ont trouvé dans son œuvre matière à réflexion.

 

De sorte que nous revoilà revenus à la case départ. Peut-être ne saurons-nous jamais quelle est la date exacte de la naissance du grand homme, mais au fond est-ce une question si importante ? Et si accepter cette incertitude reviendrait en quelque sorte à respecter la mémoire du grand homme ?

Revenons à cette fameuse épitaphe dont l’avant-dernière phrase pourrait nous fournir une explication à tant de mystères. Quels qu’en soient les auteurs, cet éloge se termine en effet par le conseil que semble adresser le grand homme à ceux qui la liront :

 « Veux-tu savoir ce qui est utile ? Veille à être ignoré »

Une phrase que notre mathématicien magistrat semble avoir fait sienne en ce XVII° siècle où, malgré l’édit de Nantes, la situation des protestants demeurait problématique, où le pouvoir royal s’acheminait vers l’absolutisme, muselant, en plus des protestants, les libertins, les jansénistes et les frondeurs de tout poil.  Un monde dans lequel, des opinions personnelles trop marquées ne pouvaient valoir que des ennuis à leurs auteurs quel que soit leur rang dans la société.

 

Laissons-donc Pierre Fermat à ses mystères et contentons-nous, comme l’ont fait tous les mathématiciens du monde entier depuis des siècles, d’apprécier ce que ses recherches ont apporté à la science de son époque et de la nôtre. Mais ceci est une autre historie que nous vous conterons peut-être, à l’occasion.  

CQFD (Ce Qu’il Fallait Démontrer) comme ont coutume de dire les mathématiciens.