Le COVID-19 au regard de l'Histoire

Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 23 juin 2020   2.7k

Du plus loin que les humains se souviennent, les épidémies ont scandé leur temps. Au regard de l’histoire, la pandémie qui, depuis le début de l’année 2020, touche nos contemporains mettant à mal notre liberté de circulation et nos relations sociales, n’a rien d’exceptionnel.

 

Une maladie de l’anthropocène

Comment, dès lors, justifier le sentiment qui nous habite d’avoir eu à subir une crise d’une gravité sans précédent ? Certains penseurs parmi lesquels l’historien Yuval Noah Harari[1] n’hésitent pas à attribuer ce choc au fait que cette crise surprend l’humanité en pleine illusion de toute puissance, alors qu’elle croyait être venue à bout des variole, rougeole, pestes de toutes sortes, choléra et même du sida. D’autre part, jusqu’ici très peu d’épidémies avaient, comme celle-ci, atteint en un temps record une ampleur mondiale. Le COVID-19 est une maladie de l’anthropocène. Sa vitesse de diffusion est liée à la mondialisation et à l’urbanisation galopant liée à l’augmentation effrénée de l’espèce humaine sur une planète limitée.

Il pourrait y avoir quelque chose d’indécent à comparer le nombre de morts de chacun des épisodes épidémiques connus. Cette macabre comptabilité fait bon marché de l’effroi et des souffrances endurés par les populations confrontées à la maladie et à la mort quelles que soient les circonstances qui les produisent. Mais il faut reconnaître que le COVID-19 qui a condamné la moitié de l’humanité au confinement durant trois mois, au début de 2020, et a contaminé, suivant les chiffres donnés au 16 juin de la même année, huit millions de personnes de par le monde, n’a fait, à la même date, qu’un peu plus de 440 000 morts alors que pour d’autres grands épisodes de contagion, les décès se comptaient par millions. Pour citer quelques exemples, la peste de Justinien en 541 de notre ère a causé 30 à 50 millions de morts, la grippe espagnole en 1918, 40 à 50 millions et, plus près de nous, le Sida-VIH de 25 à 35 millions.

Pour le reste, tout laisse à penser qu’elle évoluera comme tous les autres, au rythme d’accalmies et de reprises.  

 

Les réactions face à la contagion

Depuis l’Antiquité, les historiens ont bien documenté les mesures prises pour endiguer la contagion. Elles sont pratiquement universelles : fermeture des villes et des frontières, procédures de quarantaine, isolement et éloignement des malades et de leurs proches, organisation des mesures de nettoyage, désinfection des rues et des espaces communs, éloignement et élimination des cadavres, mise en place d’un système d’entraide que notre société a traduit en terme de chômage technique et de subventions aux secteurs d’activités les plus menacés

De même, les réactions individuelles se retrouvent relativement semblables au fil du temps : après un premier mouvement d’incrédulité et de négation du risque, la fuite hors des lieux infectés, puis lorsque toute échappatoire est devenue impossible, l’acceptation de bon ou mauvais gré des mesures mises en place par les pouvoirs locaux, ou dans le cas qui nous occupe, nationaux, pour endiguer la contagion.

Le plus souvent, en période d’épidémie, malgré quelques gestes de solidarité, la peur engendre des réactions de violence collective : grandes colères contre des boucs émissaires auxquels on fait endosser la responsabilité du malheur. Les journaux, la littérature[2] font état de manifestations de rage populaire et d’accusations d’empoisonnement à l’égard des étrangers ou du pouvoir auxquelles on peut ajouter, à l’époque contemporaine, les fake news et le déferlement de procédures judiciaires.  Le désespoir incite à trouver des coupables. A peine installée, la crise suscite la chasse aux sorcières sous ses formes les plus variées.

 

Des lectures différentes de l’épidémie

Durant les périodes historiques, les épisoldes épidémiques étaient considérés comme des châtiments divins liés à une volonté de punir les êtres humains, espèce pécheresse. Messages des astres, de la nature ou des puissances divines, elles donnaient naissance à des stratégies pour s’attirer les bonnes grâces des divinités ou du Dieu unique : prières processions, cadeaux offerts aux saints et notamment à Saint Roch, protecteur des pestiférés, permettaient de penser que le mauvais sort pouvait être conjuré.

En revanche, à partir du XVIIIè siècle, les épidémies furent conçues comme des signes d’alerte envoyées par la nature et surtout comme des ennemies redoutables qu’il s’agissait de combattre. Le temps de la culpabilité était révolu, celui de la rationalité lui succéda. La science, en lutte contre le mal, généra sérums et vaccins permettant l’éradication progressive de la fièvre jaune, de la typhoïde, du choléra. En 1894 la découverte par Alexandre Yersin du bacille de la peste permit une lecture différente des causes de l’infection. Les Etats mirent en place une politique de vaccination qui fut portée en France par la société royale de médecine. Les grandes pandémies disparurent, du moins pour un temps s’il faut en croire notre récente expérience du COVID-19

 

Pestes et économie

Il est difficile aujourd’hui d’imaginer les effets que pourra avoir la crise actuelle sur l’économie. Ils seront à coup sûr catastrophiques, on en voit d’ores et déjà les prémices. Les journaux du monde entier font état de nouvelles alarmantes : les  entreprises souffrent, les banques vont devoir faire face à des crédits douteux, les pays les plus fragiles craignent la faillite.

L’Histoire nous apprend que souvent, les épidémies se révèlent plus pernicieuses que les conflits armés. Leur impact sur la croissance tient surtout à l’arrêt de l’activité et pour celles qui furent les plus meurtrières, à la masse des travailleurs et consommateurs disparus alors que les moyens de production restaient intacts. Ce phénomène est à l’inverse de celui des périodes de guerre où massacres et destructions sont compensés par une nécessité de reconstruction provoquant un regain de travail.

Lors des épidémies, le gel des activités, les dépenses accrues mettaient à mal les finances des villes et des Etats. Lors des épisodes les plus dramatiques, la forte mortalité provoquait un déclin démographique, une effroyable diminution des populations mais aussi un fort déclin de l’activité économique. Travaux des champs interrompus, disettes, voire famines, créaient souvent plus de morts que l’épidémie elle-même. Toute la vie économique, désorganisée, continuait d’en subir les effets dépressifs pendant une quarantaine d’années soit de 4 à 8 fois plus longtemps qu’une crise financière, si l’on en croit  le journaliste économique Eric Desrosiers[3] 

Un certain nombre de ces crises historiques sont réputées avoir provoqué de profondes transformations économiques et sociales. On attribue à la peste antonine qui sévit entre 165 et 190, sous les règnes de Marc Aurèle et Commode la responsabilité du démantèlement du vaste réseau de routes commerciales et des chaînes de production qui favorisa la chute de l’empire romain. Il a fallu plus de 1000 ans pour rattraper cette période. Après les pestes du XVIIè siècle, on a constaté augmentation du prix de la main d’œuvre en raison de la rareté des travailleurs et de la demande accrue de biens ainsi que du développement des villes.

Qu’en sera-t-il pour nous après la crise mondiale provoquée par le COVID-19 ? la question reste posée.

 

Qu’en sera-t-il demain ?

Dans un article de Santé magazine du 27février 2020, Marc Lipsitch, épidémiologiste de l’Université américaine de Harvard, assure que l’épidémie de coronavirus ne sera pas vraiment maîtrisable, et que, vaccin ou non, le virus finira par infecter 40 à 70% de la population mondiale d’ici un an. La pandémie est loin d’être sous contrôle.

Au vu de son extension, certains, remettant au goût du jour la vieille notion de péché en l’adaptant à nos mentalités ne se privent pas de dire que la nature punit les hommes de leur comportement irresponsable. Cela n’est pas forcément recevable. Pour autant, depuis plusieurs années, les dégradations de la biosphère ont été amplement dénoncées par les écologistes et les chercheurs. Ceux-ci soulignent que les crises sanitaires mondiales ne sont plus des évènements rares. Certains d’entre eux, parmi les plus éminents, annoncent qu’il y aura d’autres catastrophes sanitaires semblables à celles-ci ou pire.

« Nous sommes dans un cycle où une épidémie survient environ tous les trois ans » écrit le journaliste Kevin Berger citant le professeur en biologie médicale Dennis Carrol.  « EcoHeath Alliance et d’autres ONG ont passé en revue toutes les épidémies déclarées depuis 1940. Elles en ont conclu, avec une relative certitude, que les cas de transmissions interespèces sont deux à trois fois plus importants qu’il y a quarante ans. Et la hausse se poursuit. Elle s’explique par le fort accroissement de la population humaine et par notre expansion vers des zones abritant de la faune et de la flore sauvages [4] »

 

Parenthèse ou bifurcation?

A ce jour, alors que les journaux annoncent, en date du 15 juin, une reprise de la contamination en Chine d’où est partie la pandémie, les experts s’interrogent : s’agit-il d’un rebond comparable aux répliques lors des tremblements de terre ou d’une deuxième vague ? A la lumière e ce fait nouveau, il est plus que nécessaire de réfléchir à notre avenir, de de repenser la relation de l’homme à son environnement. 

Sommes-nous en mesure de de Repenser le monde.[5]selon l’argument du hors-série de Courrier international pour juillet août 2020 ? :  « De notre rapport aux autres à nos façons de travailler, de la mondialisation au climat… La pandémie de Covid-19 a tout bouleversé. L’occasion de repartir sur de nouvelles base ? »

Ou bien continuerons-nous d’avancer droit devant en épuisant toutes les ressources d’un monde qui ne nous appartient pas et dont nous usons sans modération ?

« Aujourd’hui, » nous rappelle le sociologue Jean-Michel Valantin, « cette pandémie nous pose des questions inédites, individuellement et collectivement. Allons-nous la vivre comme une parenthèse ? Ou une bifurcation ? »[6]

[1] 2 ouvrages de Yuval Noah Harari : Sapiens, et Homo Deus

[2] Entre autres romans, celui de Jean Giono : Le hussard sur le toit

[3] COURRIER INTERNATIONAL 1540 Eric Desrosiers Mai 2020

[4] COURRIER INTERNATIONAL 1535. L’épidémie actuelle était prévisible. Entretien avec Dennis Carroll

[5] Courrier international  Hors série juillet-août 2020 Repenser le monde

[6] Télérama 3671 du 20/05/2020 Entretien avec Jean-Michel Valantin

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