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LE COIN LECTURE

JE CHERCHE A COMPRENDRE les codes cachés de la nature

Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 15 février 2018   2.4k

Joël de Rosnay. Editions Les Liens qui Libèrent (Image :  ©Universcience.Tv) 

L’interconnexion de cellules donne des organismes vivants pluricellulaires. L’interconnexion d’insectes crée des sociétés animales (ruches, fourmilières, termitières). L’interconnexion d’hommes, les flux matériels et le numérique font de chaque être humain l’un des neurones d’un cerveau planétaire. Telle est l’hypothèse de base de ce livre passionnant signé par Joël de Rosnay, scientifique, prospectiviste et conférencier spécialiste de chimie organique, de prébiotique et auteur d’un nombre impressionnant d’ouvrages.

Les hommes d’aujourd’hui sont reliés par l‘intelligence connective, collaborative et collective. Ils utilisent des codes pour programmer ordinateurs et robots dans des dimensions et des applications impensables jusqu’alors : de l’intelligence artificielle au « deep learning », des robots mécaniques aux nanorobots biologiques en passant par l’extension par l’homme de ses fonctions cérébrales et musculaires. Une réflexion qui débouche sur un thème à la mode qu’on voit fleurir partout dans les magazines, les livres, les expositions, les émissions de télévision, les films, celui de l’intelligence artificielle. Thème à la mode donc mais qui pose aussi le et surtout le problème de l’avenir des hommes.

  Des codes cachés au codage numérique

Les codes développés par les informaticiens n’ont pas été inventés par eux. L’unité de la nature est fondée sur des codes cachés qui apparaissent si l’on compare des structures et des fonctions provenant de différents domaines de l’univers -physique, chimique, biologiques, écologiques, économiques. Parmi ces codes figure le code génétique dont les mutations permettent l’évolution des espèces. Les nombres et lois de Pythagore, la suite de Fibonacci ou le nombre d’or sont autant d’autres codes cachés dont les scientifiques s’efforcent de percer les signes et les mystères. ». -La prédiction mathématique des formes, structures, interrelations de masses, oscillations temporelles, a permis de définir les grandes lois scientifiques de l’univers, notamment la loi de la gravitation d’Isaac Newton, la transmission électromagnétique du physicien écossais Maxwell ou la relativité d’Albert Einstein. » Dès 1952, le mathématicien Turing se passionnait pour ce problème : Comment la nature fait-elle pour construire et faire émerger, à partir de codes simples, des formes aussi variées que celles observées chez les espèces vivantes animales ou végétales ? On retrouve la suite de Fibonacci dans les marguerites, les pommes de pin, les tournesols, les cactus, les ananas, les étoiles de mer, les coquilles des mollusques, les galaxies, les cyclones. Les fractales du mathématicien français Benoît Mandelbrot permettent de créer, à partir de codes informatiques tenant en à peine une ligne des structures très complexes qui ressemblent au vivant car le simple fait de répéter en boucle les éléments de base d’une forme ou d’une couleur engendre la complexité. A ces codes cachés de la nature répondent les codes créés par les hommes, notamment les codes sources de programmation des robots et de l’Intelligence Artificielle (IA). 


Une évolution à grande vitesse

Dans son livre, Joël de Rosnay n’élude pas les multiples questions que pose l'évolution actuelle de la science . Pas plus que lui, le lecteur ne peut rester indifférent en cette période où l’on nous annonce de profondes mutations dans un futur très proche.

Jusqu’à l’essor du numérique, les outils permettant à l’homme de modifier son environnement étaient extérieurs à lui-même (marteau, truelle, pinceau, puis marteau piqueur, aspirateur, etc. Désormais, les outils numériques sont mobiles. Bientôt ils seront mettables et pourront transformer notre corps. L’homme, de ce fait, devient connecté et augmenté par des extensions numériques qui lui donnent la possibilité de se connecter en temps réel à l’information (smartphone, ordinateur, GPS, voiture intelligente…)

L’Intelligence Artificielle née dans les années 1950 avec John Mc Carthy puis développée à partir de 1958 représente l’une des fonctions de codage humain les plus évolués. De l’évolution technologique jusque là linéaire on est passé  à une évolution exponentielle au cours de laquelle les innovations et les applications de l’IA catalysent et accélèrent les progrès.

  La mutation du travail

Une transformation de la société humaine se profile à l’horizon. Parmi les nombreuses questions qui se posent, l’une des premières est la mutation du travail.

Que ferons-nous dans une société où les robots seront capables de faire mieux et plus vite que nous les tâches dont nous nous acquittons aujourd’hui ? Quelle sera la place de l’homme dans une société où la valeur travail ne sera plus fondatrice ? Il semblerait qu’un nouveau modèle soit en train de voir le jour, « fondé non plus sur la seule valeur travail, mais sur la capacité de chacun de créer, produire, collaborer avec les autres, mutualiser les moyens, pour être plus libres de se réaliser »

Il faut, préconise l’auteur réinventer «  le contrat social, imaginer une autre manière de redistribuer les richesses et partager au mieux l’énorme productivité actuelle et à venir… le partage inter-créatif, l’émergence de la personne, la coéducation et les systèmes innovants comptent parmi les phénomènes les plus significatifs de l’immersion dans l’écosystème numérique. » Travail choisi, temps choisi  donc grâce aux outils modernes du numérique.

 

L’homme augmenté et le point des singularité

Un certain nombre de chercheurs éminents évoquant l’évolution exponentielle des machines qui deviennent de plus en plus performantes, imaginent que, dans un futur proche,  les robots « seront capables de s’auto-reproduire et de se co-éduquer, atteignant ainsi ce que le futurologue Ray Kurzweil appelle un « point de singularité ». Il s’agit d’un point qu’il situe autour de 2045-2050 et à partir duquel les machines deviendraient plus intelligentes que les humains. Elles seraient alors non plus de simples assistants ou outils mais pourraient constituer un facteur déterminant de l’évolution de l’humanité »

Joël de Rosnay ne craint pas cette évolution.Il pense possible une association entre les cerveaux humains et l’IA pour créer un organisme hybride. Cela signifie que notre cerveau serait augmenté comme notre corps l’a été par les multiples outils et machines qui sont à notre disposition « Mais cette fois il s’agit de notre capacité à penser, à raisonner, à comprendre la complexité et à agir sur elle. La promesse d’une nouvelle étape de l’évolution de l’humanité , riche d’espoirs mais aussi  de défis et de dangers »

Dès lors, quel avenir pour les êtres humains  ? «L’alternative est la suivante : ou bien le pouvoir nous échappe parce qu’il est récupéré par l’IA et les robots, ou bien nous devenons de plus en plus puissants et efficaces… mais de moins en moins humains. C’est la brèche ouverte par les adeptes du transhumanisme »

 

Vers une société de la connaissance

A toutes ces questions quelque peu angoissantes et à bien d’autres que le lecteur découvrira en lisant son livre, Joël de Rosnay répond par une tranquille conviction en la capacité des hommes à refuser le piège du transhumanisme, conception élitiste et égoïste en contradiction avec les règles de l’évolution. Il propose une autre voie, celle qu’il nomme hyperhumanisme. « Tout l’enjeu aujourd’hui consiste à devenir encore plus humain et non à se transformer soi-même en un super robot immortel et supra intelligent. C’est cela que j’appelle l’hyperhumanisme : le développement dans le cerveau de l’homme de capacités aujourd’hui inhibées par la routine quotidienne, le travail et la pensée machinale. » « Ainsi la symbiose entre l’homme, le macro-organisme et le cerveau planétaire qu’il est en train de créer, bénéficiant de l’utilisation raisonnée de l’intelligence artificielle, ouvre la voie à une nouvelle étape de l’évolution de l’humanité : une humanité augmentée ou hyperhumanité. »

On pourra assister à une libération de l’homme qui entraînera des effets analogues à ceux de l’avènement des machines dans la société industrielle. De même que l’explosion du numérique a libéré du temps pour l’homme, une symbiose avec l’IA pourrait « développer d’autres dimensions du cerveau aujourd’hui occultées ou inhibées par la compétition dans un monde organisé par la survie de l’individu plutôt que pour la coopération, la solidarité, l’altruisme et le partage. »  

  Pour conclure, laissons la parole à l’auteur. « L’avenir ne survient pas… Il est tel que nous le ferons.» « L’hyperhumanisme nous permet de nous concentrer sur l’essentiel et d’occuper le temps économisé pour produire du sens » Et encore :

« Nous nous dirigeons vers des sociétés de la connaissance » « Il s’agit d’un changement radical. En effet, cette nouvelle aptitude à échanger des connaissances, à établir des rapports de flux plutôt que des rapports de force, modifie profondément la relation entre les êtres humains. »  « Envisager un monde que l’on peut changer, sur lequel on peut agir, dans lequel on peut partager grâce à la transformation individuelle conduisant à une transformation collective renforce l’humanité qui est en nous et, contre toute attente  nous révèle encore plus humains dans nos capacités, nos fonctionnalités et nos potentiels. »


On veut y croire !