Homo Mediterraneus condamné à l’évolution

Publié par Université de Montpellier UM, le 26 mai 2016   1.6k

Et l’homme ? Quel impact sur les populations, les sociétés, les économies ? Zoom sur une zone méditerranéenne menacée d’ébullition.

Rien de plus difficile que de tracer un tableau précis du destin des sociétés humaines, explique Eric Servat, directeur de l’Observatoire de Recherche Méditerranéen de l’Environnement (OSU OREME). Mais que sait-on avec un minimum raisonnable de probabilité ? Premier constat, le climat méditerranéen sera de plus en plus instable. « Ce milieu quasiment fermé, où l’on s’attend à une hausse de 2 à 4 degrés de température moyenne d’ici à 2100, se comporte comme une cocotte-minute lorsqu’il est chauffé ». Résultat : de fortes instabilités météorologiques à prévoir dans toute la région. Et de fortes inondations : elles représentent déjà un tiers des catastrophes naturelles, et plus de la moitié des morts dus à ces catastrophes.

L’eau au centre des inquiétudes

Des périodes sèches plus longues, des hivers plus humides qui ne suffiront pas à les compenser : au total, le déficit de précipitations annuelles en Méditerranée est annoncé entre 5 à 30%. Une catastrophe pour de nombreuses régions de la rive Sud et du Moyen-Orient, déjà en-dessous du seuil critique de « stress hydrique ». Une situation aggravée par l’augmentation et la concentration des populations…

« Avant le milieu de ce siècle, les deux tiers de l’humanité vivront sur les zones littorales, au sens large du terme. Avec une pression accrue sur les ressources locales, et une pollution très concentrée » poursuit Eric Servat. Des populations qu’il faudra nourrir… Or aujourd’hui, 70% de l’eau douce disponible sur notre planète sont dédiés à l’agriculture. « Dans un contexte modifié et dégradé en termes de ressources en eau, ces évolutions démographiques obligent à imaginer pour l’avenir une agriculture adaptée ».

Des inégalités qui s’accentuent

Avec une montée des océans qui s’accélère, le risque d’inondations marines s’accentue sur les côtes françaises – où la mer gagnera 26 à 55 cm d’ici 2100 – menaçant populations et infrastructures. On peut donc s’attendre à des réfugiés climatiques sous nos latitudes. Mais ce risque concerne surtout la rive Sud. A développement inégal, vulnérabilité inégale : les sociétés humaines ne sont pas toutes menacées au même titre.

Au Nord, les structures et les ressources devraient permettre de s’adapter. Des vignes en difficulté, des châtaigneraies en voie de disparition ? C’est à prévoir, estiment les scientifiques. Mais « l’évolution du climat est aussi source d’opportunités nouvelles, rappelle Patrice Garin, chercheur au laboratoire « Gestion de l'eau, acteurs et usages » : ce sera le cas sous nos latitudes moyennes, avec la possibilité de voir fleurir orangers ou citronniers ». Au Sud par contre, où de rudes sécheresses sévissent déjà, certaines populations devront quitter des terres qui ne les nourriront plus.

Favoriser l’agrodiversité

Et quand les productions agricoles sont menacées en Méditerranée, « c’est le berceau de l’agriculture qui est touché, estime Yildiz Aumeeruddy-Thomas, chercheur au Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive. Les parents sauvages des céréales, des légumineuses qui nourrissent aujourd’hui l’humanité sont ici » précise-t-elle. Cette agrodiversité est un pilier majeur de la sécurité alimentaire mondiale. « Les plantations aujourd’hui sont souvent monoclonales : un seul individu, répliqué à des milliers d’exemplaires ». Des variétés hautement spécialisées, créées en laboratoires pour leurs capacités productives. Mais aussi des « aberrations en termes d’environnement » estime l’ethnobiologiste…

« En faisant des plantations monoclonales, on perd non seulement des ressources génétiques, mais aussi de précieux savoir-faire. Il faudrait au contraire valoriser les variétés anciennes, plus rustiques, mieux adaptées à leur milieu. Et favoriser la biodiversité associée aux agroécosystèmes, afin d’augmenter les possibilités d’adaptation de ces derniers ». Viser la sécurité alimentaire plutôt qu’une surproduction destinée à l’export : c’est aussi le gage d’une qualité alimentaire qui s’avère payante. « L’agriculture conventionnelle nécessite l’emploi massif de produits chimiques, qui ont un coût énorme en termes de santé publique, à prendre en compte à l’avenir pour penser de nouveaux modèles agricoles ».

Coût de l’inaction

Si les perturbations s’annoncent inévitables, leur ampleur dépendra de la capacité des politiques publiques à gérer la crise. Pour Patrice Garin, « il faut réfléchir à d’autres modes de partage du territoire, de mise en valeur et d’occupation de l’espace, de développement de l’urbanisation ». Il prône un modèle de société « plus frugal et plus respectueux de l’environnement ». Ainsi qu’une participation de la société civile, et notamment des scientifiques, pour accompagner les décideurs dans leur exploration du champ des possibles.

Quelles que soient les stratégies suivies, elles auront un coût. Mais « ne rien faire coûte encore plus cher, rappelle Sophie Thoyer, professeur en économie agricole et environnementale, et chercheur au laboratoire Lameta. « D’après certaines études, il est estimé que le coût de l’inaction augmente de 40% tous les 10 ans. Sans compter les effets irréversibles, inchiffrables : la disparition de la calotte glaciaire par exemple ».

Un constat qui s’établit dans un contexte politique peu volontariste. Du côté de l’Europe, a-t-on pris la mesure de l’urgence ? « La politique agricole commune a récemment verdi son action. Mais les mesures prises sont très timides au regard des enjeux et n’auront qu’un très faible impact sur l’environnement». Et que dire de l’accord peu contraignant signé lors de la récente COP21 ? Pour Sophie Thoyer, « il a une valeur incrémentale. Son succès : avoir obtenu un consensus de ces 195 pays et relancé la dynamique, avec en ligne de mire des engagements de plus en plus importants ». Une méthode douce qui pourrait porter ses fruits. Mais dans combien de temps ?


Photo : Nos régions pourraient être de plus en plus touchées par de fortes inondations, comme ici au Pérou en 2012 - (c) IRD - William Santini www.indigo.fr


Retrouvez cet article dans LUM, la magazine science et société de l'Université de Montpellier.

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