COVID 19 - L'après confinement

Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 5 avril 2020   1.6k

Il ne s’agit pas de redire ici maladroitement, ce qui a été savamment exposé par des chercheurs compétents mais, à partir de nos lectures, il nous appartient de nous interroger sur ce que cette nouvelle pandémie nous apprend à propos de notre société en particulier, de l’humanité en général et sur la nécessité de préparer l’après confinement.

 

Combattre les épidémies

En cette période où nous sommes confrontés à la menace que fait peser sur toute la planète le coronavirus, faut-il croire l’historien et philosophe Yuval Noah Harari lorsqu’il affirme dans son livre Homo Deus paru en 2015 que l’homme moderne, à l’aube du troisième millénaire, a réussi à maitriser, en plus de la famine et de la guerre, les épidémies qui ont mis à mal l’humanité dès ses débuts ?

L’expérience que nous vivons depuis la mi-mars semble apporter un démenti à cette affirmation. La dimension planétaire des mesures mises en place qui se traduit par la fermeture des frontières, le confinement de milliards d’êtres humains, la déclaration de l’état d’urgence et le coup de frein donné à l’économie montre assez que l’épidémie est loin à ce jour d’être maîtrisée.

Cependant, si l’on va jusqu’au bout du raisonnement de Yuval Harari, on conviendra que la peste noire, les varioles et autres virus ravageurs apportés par les Européens dans le Nouveau Monde, ainsi que la grippe espagnole au début du XXe siècle furent responsables de dizaines de millions de morts. Aujourd’hui, le SRAS, syndrome respiratoire aigu, la grippe aviaire en 2005, la grippe porcine en 2009-2010, Ebola en 2014 ont fait des milliers de victimes. Cela paraît déjà énorme mais l’échelle n’est pas semblable, l’angoisse, la douleur et le sentiment de vulnérabilité n’en sont pas moins déstabilisants. Le sida lui-même qui, toujours suivant les dires du même auteur, a causé plus 30 millions de morts depuis 1980 a pu être éradiqué. A la lumière de l’expérience que nous vivons, quelque cinq années après la parution de ce livre, on pourra se demander si, comme le pensait Harari, les hommes ont effectivement appris à combattre les épidémies.

Dans le même ordre d’idées, que peut-on penser aujourd’hui de l’ambition affichée par certains éminents chercheurs en intelligence artificielle qui affirment l’humanité capable de vaincre la vieillesse et la mort ? Doubler le temps de vie des hommes, offrir aux humains l’éternelle jeunesse, telles sont les prétentions de ces modernes sorciers qui se disent capables, dans les décennies à venir, de résoudre tous les problèmes de l’humanité grâce au génie génétique, à la médecine réparatrice et aux nanotechnologies. On a envie d’adhérer à la conclusion prophétique du livre de Jean-Gabriel Ganascia : Le mythe de la singularité. Qui date de février 2017 : « Sans doute la course tourbillonnante, étourdissante et déconcertante du progrès s’accélère-telle sans cesse… Cela devrait inciter à agir et non à fermer les yeux. »

 

Le COVID 19 s’invite dans nos vies

L’épidémie nous invite à reconsidérer les choses et à prendre nos responsabilités

Le professeur américain de biologie médicale Dennis Carroll[1]  écrit dans l’hebdomadaire en ligne Nautilus : « Nous sommes à 100% à l’origine de ces perturbations. Nous avons pénétré plus avant dans des écosystèmes que nous n’occupions pas auparavant. De sorte que l’épidémie qui survient aujourd’hui était non seulement prévisible mais inévitable… Nous ne mettons pas en place les bonnes pratiques qui minimiseraient les risques de transmission interespèces. Si nous comprenions mieux où circulent ces virus et que nous en déterminions l’écologie, nous réduirions les possibilités d’épidémie. » 

Le phénomène n’est pas nouveau. Harari le fait remonter aux 70 000 dernières années qualifiées par les historiens d’holocène et qu’on nomme plutôt anthropocène pour qualifier cette période où l’homo sapiens est devenu de loin l’agent de changement le plus important de l’écologie mondiale. « L’altération du monde par une seule espèce, la nôtre, est un phénomène sans précédent. Sous l’influence de sapiens, la planète est devenue pour la première fois une seule et même unité écologique[2]. »

Quant à la journaliste argentine Marina Aizen[3], elle attribue l’apparition des agents pathogènes nouveaux comme le coronavirus responsable du Covid 19 à l’anéantissement des écosystèmes pour faire place à des monocultures intensives industrielles et notamment aux manipulations et trafics de la faune et de la flore sylvestres. Depuis une dizaine d’années, explique-t-elle dans son article, des scientifiques étudient les liens entre l’explosion des maladies virales et la déforestation. Ils constatent l’apparition de symptômes étranges et de pathologies jusque-là inconnues. De l’Asie du sud-est jusqu’à l’Amérique latine, les êtres humains mettent en péril leur propre existence.

 

Une surexploitation du milieu

Dans le monde entier, les êtres humains, par nécessité ou par volonté d’acquérir toujours plus de biens matériels, se livrent à une exploitation éhontée des ressources de la planète dont ils se croient les propriétaires. Pillage systématique des richesses du sous-sol, déforestation sauvage dont se fait l’écho l’écrivain Richard Powers dans son livre L’arbre monde[4], traitement indigne infligés aux animaux au nom de la rentabilité dans une agriculture industrialisée comme en fait état Yuval Harari, rien n’arrête l’espèce humaine dans sa volonté d’exploiter sans discrimination de ce que lui offre le milieu.

Les conséquences de pareil comportement se révèlent catastrophiques pour la flore et la faune. En provoquant chaque année l’extinction de milliers d’espèces comme le souligne l’actuelle exposition du Muséum de Toulouse Extinctions. La fin d’un monde ?, elles sont également catastrophiques pour les humains.

Une humanité innombrable, écrit Marina Aizen, cohabite avec des bétails domestiques et des animaux chassés de leur habitat naturel par la déforestation, bouleversant l’éco-système et créant des perturbations liées à la prolifération de cette espèce invasive que sont les humains.

Les zoonoses, ces maladies transmissibles de l’animal à l’homme ont toujours existé, mais elles prennent  actuellement, en raison de la mondialisation, une dimension internationale. Au Libéria et en Sierra Leone, l’épidémie d’Ebola est liée à la déforestation massive causant la réunion de plusieurs espèces de chauves-souris sur les rares arbres encore sur pied et, de ce fait, la multiplication des agents pathogènes pour l’homme. A Bornéo, la déforestation a créé les conditions favorables à la recrudescence de malaria. Au Brésil, la destruction de 4% de la forêt a entraîné une hausse de 50 % du paludisme.

Les espèces sauvages ne sont pas malades des virus dont elles sont porteuses. Ces virus ont évolué avec elles mais nous regroupons les animaux et nous les manipulons dans des milieux artificiels. Quand on parle d’une maladie émergente, il faut bien se rendre compte qu’elle n’est émergente que pour l’homme. Telle est la véritable recette du coronavirus. Autrement dit, mutiler des écosystèmes coûte cher, nous sommes en train de l’apprendre à nos dépens.

 

Un avertissement sans frais

D’après Dennis Carroll « EcoHealth Alliance et d’autres ONG ont passé en revue toutes les épidémies déclarées depuis 1940. Elles ont conclu… que les cas de transmission interespèces sont deux à trois fois plus importants qu’il y a quarante ans. Et la hausse se poursuit. Elle s’explique par le fort accroissement de la population humaine et par notre expansion vers les zones abritant la flore et la faune sauvage…  Nous sommes dans un cycle où une épidémie survient environ tous les trois ans.… C’est un problème planétaire... Si nos mesures de précaution et nos réactions sont étroitement nationales, nous allons au-devant de gros ennuis. »

Un avertissement repris par le Docteur Carlos Zambrana-Torrelio, vice-président de l’ONG EcoHealt Alliance: « Nous déduisons à tort que nous pouvons transformer, détruire et modifier l’environnement à notre convenance. Tout changement que nous imposons à la planète aura une répercussion sur notre santé ».

Et également, avec quelques années d’avance, par  Yuval Noah Harari [5]«  le progrès scientifique et le croissance économique prennent place dans une biosphère fragile et, à mesure qu’ils prennent de l’ampleur, les ondes de choc déstabilisent l’écologie… une débâcle écologique provoquera une ruine économique, des troubles politiques et une chute du niveau de vie. Elle pourrait bien menacer l’existence même de la civilisation humaine. »

Doit-on considérer cette épidémie de COVID 19 comme un avertissement sans frais ?

[1] Dennis Carrol, professeur en biologie médicale in Nautilus, hebdomadaire en ligne cité dans le Courrier International N°1535 du 2 au 8 avril 2020

[2] Yuval noah Harari : HOMO DEUS, une brève histoire de l’avenir. Albin Michel, p.88

[3] Marina Aizen, journaliste in Anfibia, hebdomadaire en ligne de Buenos Aires, citée par le Courrier international 1534 du 26mars au 1° avril 2020

[4] Richard Powers : L’arbre-Monde, Le Cherche Midi 2017

[5] Yuval Noah Harari : Homo Deus. Albin Michel p.233