Comment un laser rendra peut-être votre portable incassable

Publié par Julien Granier, le 6 septembre 2020   870

Dans le monde scientifique, nombre de travaux de recherche au potentiel pourtant énorme sombrent dans l’indifférence totale auprès du grand public. Il faut souvent attendre que toutes ces connaissances portent leurs fruits au sein de technologies utiles à la société pour constater un regain d’intérêt de la part des médias. 

Aujourd’hui j’aimerais parler de l’un de ces travaux, datant de plus d’un an déjà, qui je pense aura des retombées significatives et qui n’a pourtant pas déchaîné les plumes. Posez-vous la question : qui n’a jamais rêvé d’avoir un smartphone qui ne se raye pas au bout de quelques jours d’utilisation, ou pire, qui se casse au moindre choc ? Certains d’entre vous sont mêmes peut-être en train de lire ces lignes en dépit des impacts parcourant votre écran. Ces problèmes pourraient bientôt appartenir au passé, si l’on en croit la publication d’une équipe de chercheurs de l’université de San Diego dans le journal Nature. Ce n’est en effet pas moins qu’une technique innovante de soude des matériaux céramiques qui aurait été mise au point depuis août dernier. Alors oui, je vous vois venir et votre question est légitime : quel rapport entre votre téléphone portable et la soude de céramiques ? Explications. 

Revenons d’abord aux fondamentaux. En science des matériaux, les céramiques, ça n’est pas juste de la jolie vaisselle. Elles forment l’une des trois grandes classes de la matière avec les métaux et les polymères, ce qui recouvre une variété d’espèces impressionnante : les oxydes de métaux, les carbures et les nitriles entre autres. Concrètement, on pourrait citer l’argile, la zircone (utilisée pour les prothèses dentaires), ou encore la plupart des gemmes précieuses comme le saphir, le rubis ou l’émeraude. Au final, les céramiques peuvent être de tellement de compositions chimiques différentes que l'on préfère les décrire pour ce qu'elles ont de commun, à savoir leurs propriétés physiques. Une grande dureté, une résistance élevée à l'usure et une bonne isolation thermique et électrique : voilà les signes annonciateurs que le matériau étudié est bel et bien une céramique.


En sciences des matériaux, l'émeraude est techniquement une céramique !


Ces caractéristiques font des céramiques des matériaux de choix dans de nombreux domaines. Utilisées de manière fonctionnelle par exemple sous la forme de revêtements, elles sont utiles pour la protection mécanique, thermique (dans l'aérospatial et l'aéronautique) ou tout simplement contre la corrosion et les attaques chimiques en tous genres (sur la surface interne de certaines bouteilles en plastique notamment). Mais ce qui retiendra notre attention ici sera plutôt la céramique structurale, soit ce qu’est le châssis à une voiture par exemple. Contrairement à un revêtement (qui est directement pulvérisé ou formé sur une surface par des techniques de pointe appelées PVD et CVD), la création d’un objet massique (notre châssis de voiture) doit passer par une étape de mise en forme, et c’est ici qu’un problème se pose. Car certes, les céramiques ont des propriétés mécaniques formidables, mais ces mêmes propriétés ont un double tranchant. En effet, la grande dureté des céramiques en font des matériaux dits fragiles, parce qu’ils cassent rapidement sous une contrainte plutôt que de se déformer. Si l’on ajoute à cet inconvénient le fait qu’il faille atteindre des températures très élevées pour pouvoir modeler les céramiques (par exemple la température de fusion de la zircone dépasse les 2700°C !), on comprend aisément pourquoi il est compliqué de les manipuler et d’en obtenir des objets aux formes complexes.

Si la mise en forme d’une céramique est donc déjà complexe, les souder entre elles l’est tout autant, et est même très énergivore : il faut en effet mettre les deux pièces en contact et sous pression dans un four à des températures proches de leur point de fusion, jusqu’à ce que les deux matières forment un ensemble complètement homogène. La température n’est pas un problème en soit lorsqu’il s’agit d’assembler un objet purement céramique, mais dès qu’il nous faut utiliser d’autres types de matériaux, la situation se complexifie. Si l’on veut par exemple isoler parfaitement un système électronique dans une capsule de céramique, celui-ci ne supporterait pas les chaleurs intenses du procédé. 

C’est donc ici que notre équipe de chercheurs de San Diego entre en jeu, avec une technique inédite : en remplaçant le four par un laser pulsé ultra rapide dirigé vers la surface de contact entre les deux céramiques, on peut faire fondre une petite partie de l’ensemble et donc non seulement épargner un éventuel système électrique à sceller, mais aussi économiser énormément d’énergie ; le laser utilisé ne consommant que 50W. 

Comme pour toute technologie à ses balbutiements, le soudage par laser n’a pour l’instant été testé qu’en laboratoire, sur des petites pièces cylindriques de deux centimètres de diamètre. Cela implique que les tests sont réalisés dans des conditions optimales, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans le monde de l’industrie. De nombreux facteurs rentrent en compte dans la réussite du soudage, ne serait-ce que la porosité et l’opacité de la céramique à souder, qui déterminent si les rayons du laser seront déviés ou absorbés avant d’arriver sur la surface à souder. Point positif cependant, les tests ont été réalisés avec deux céramiques couramment utilisées dans le milieu industriel, à savoir l’alumine et la zircone.


A terme, le soudage laser permettra entre autres, vous l’aurez compris, des smartphones résistants aux chocs, mais aussi des pacemakers sans métaux et donc plus bio-compatibles, ou encore des systèmes électroniques complètement isolés du vide pour le spatial. 


Un assemblage par laser réussi (Penilla, E., Devia-Cruz, L., Wieg, A., Martinez-Torres, P., Cuando-Espitia, N., Sellappan, P., Kodera, Y., Aguilar, G. and Garay, J. (2019). Ultrafast laser welding of ceramics. Science, 365(6455), pp.803-808. Photo courtesy of Garay Lab)




Source

Penilla, E., Devia-Cruz, L., Wieg, A., Martinez-Torres, P., Cuando-Espitia, N., Sellappan, P., Kodera, Y., Aguilar, G. and Garay, J. (2019). Ultrafast laser welding of ceramics. Science, 365(6455), pp.803-808.

Résumé sur le blog de l’université de San Diego :

Labios, L. (2019). Lasers Enable Engineers to Weld Ceramics, No Furnace Required. UC San Diego News Center. Disponible sur : https://ucsdnews.ucsd.edu/pressrelease/lasers-enable-engineers-to-weld-ceramics-no-furnace-required