Amazonie en surchauffe : quand les lacs atteignent 40 °C
Publié par IRD Occitanie, le 20 novembre 2025 2
Une
sécheresse historique a frappé l’Amazonie en 2023, provoquant un
échauffement extrême des eaux lacustres et une véritable hécatombe
aquatique.
Comme dans une immense bouilloire, les
eaux de l’Amazonie se sont mises à chauffer comme jamais ! Durant la
saison sèche de 2023, plusieurs lacs de la région centrale ont ainsi
atteint des températures dépassant 40 °C, frôlant les limites de survie
de la vie aquatique. Une situation sans précédent dans l’histoire
récente de cet écosystème emblématique, qui s’impose comme un signal
d’alarme planétaire.
Cette chaleur extrême est le résultat d’un
enchaînement dévastateur : sécheresse exceptionnelle, effondrement du
niveau des rivières, faiblesse du vent et rayonnement solaire intense.
En combinant les effets du changement climatique global et du phénomène
El Niño, la région a connu un cocktail climatique explosif.

« Nous
avons vu certains lacs tomber à moins de 10 % de leur surface
habituelle, exposant leurs fonds à un soleil de plomb. Dans le lac Tefé,
l’eau a grimpé à 39,5 °C sur toute la colonne d’eau ! », explique Ayan
Fleischmann, hydrologue à l’Institut de développement durable de
Mamirauá, au Brésil, et porteur de la JEAI AMAWE.
Une hécatombe aquatique
Les
conséquences ne se sont pas fait attendre. Fin septembre 2023, des
dizaines de dauphins d’eau douce ont été retrouvés morts à la surface.
En quelques semaines, plus de 200 individus, appartenant aux espèces
emblématiques du boto et du tucuxi, ont succombé à la chaleur. Les
spécialistes évoquent un possible choc thermique ou neurologique, les
animaux semblant incapables de fuir vers des zones plus fraîches.
Dans
les villages riverains, les pêcheurs ont vu les filets se vider et les
pirogues s’échouer dans les bras morts du fleuve. Des milliers de
poissons sont morts asphyxiés, tandis que les étangs d’aquaculture se
sont transformés en pièges mortels. Un éleveur de la région de Coari
raconte ainsi avoir perdu plus de 3 000 poissons en une seule nuit. La
catastrophe écologique s’est doublée d’une crise sociale, fragilisant
des communautés déjà dépendantes d’un environnement en mutation.
La catastrophe
écologique s’est doublée d’une crise sociale, fragilisant des
communautés déjà dépendantes d’un environnement en mutation.
© Ayan Fleischmann - Mamiraua Institute
La crise sous l’œil des satellites
Face
à la rareté des mesures directes, les scientifiques ont mobilisé la
technologie pour combler les lacunes. En analysant 33 années d’images
Landsat, ils ont suivi la température de 24 grands lacs amazoniens. Ce
faisant, ils ont relevé une hausse moyenne de 0,6 °C par décennie depuis
1990, une tendance, plus marquée que dans d’autres régions du monde.
L’étude révèle aussi une série d’anomalies positives persistantes depuis
2018, culminant avec la sécheresse historique de 2023.
Ces résultats
éclairent un angle mort du climat : les eaux tropicales ont longtemps
été négligées par les réseaux mondiaux d’observation. Or, ces milieux
concentrent une biodiversité d’une richesse inégalée, mais aussi d’une
vulnérabilité extrême aux variations thermiques. Les scientifiques
insistent sur la nécessité de croiser observation spatiale et travail de
terrain, car comprendre ces dynamiques nécessite à la fois des données
globales et des récits locaux, ceux des habitants qui vivent au rythme
des fleuves.
Au-delà de la recherche scientifique, ce travail
interroge la place de l’Amazonie dans les équilibres climatiques
mondiaux. Ces lacs, véritables éponges à chaleur, stockent et
redistribuent l’énergie solaire à l’échelle du bassin, influençant la
formation des nuages, les précipitations régionales et même la
température de l’atmosphère.

« En
perturbant ce cycle, le réchauffement des eaux menace de désorganiser
le fragile moteur climatique qui régule la forêt et les pluies dont
dépend tout le continent sud-américain », estime Fabrice Papa,
hydrologue à l’IRD au sein de l’unité LEGOS.
Comprendre pour agir
Les
scientifiques tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme : sans suivi
environnemental à long terme, il sera impossible d’évaluer la résilience
des écosystèmes aquatiques amazoniens. La mise en place de réseaux de
surveillance associant mesures in situ et télédétection apparaît urgente
pour anticiper les prochaines vagues de chaleur aquatiques.
Ces
événements posent des questions cruciales sur l’avenir des espèces
tropicales. Les poissons amazoniens, par exemple, ont une tolérance
thermique très étroite. Une élévation de quelques degrés suffit à
provoquer stress, baisse d’oxygène et mortalité massive. Dans un
contexte où les projections climatiques annoncent une poursuite du
réchauffement, leur survie dépendra de la rapidité de la réponse
humaine.
La portée de cette étude dépasse le bassin de l’Amazone.
Elle concerne toutes les zones tropicales de la planète, où l’eau douce
constitue un pilier vital pour les populations et la sécurité
alimentaire. Ces lacs, ces rivières et ces zones humides sont les
sentinelles du climat : leur réchauffement précède celui des continents,
annonçant les bouleversements à venir.
Olivier Blot, IRD le Mag'
Source : https://lemag.ird.fr/fr/amazon...
Contact :
Ayan Fleischmann, Instituto de Desenvolvimento Sustentável Mamirauá, Tefé, Brésil
Fabrice Papa, LEGOS (IRD/CNRS/CNES)
Publications :
Ayan Fleischmann, Fabrice Papa, Stephen K. Hamilton, John Melack, Bruce Forsberg, Adalberto Val, Walter Collischonn, Leonardo Laipelt, Júlia Brusso Rossi, Bruno Comini de Andrade, Bruna Mendel, Priscila Alves, Maiby Bandeira, Lady Custódio, Maria Cecília Gomes, Débora Hymans,
Isabela Keppe, Raize Mendes, Renan Nascimento, Paula dos Santos Silva, Camila Vieira, Rodrigo Xavier, André Zumak, Anderson Ruhoff, Wencai Zhou, Sally MacIntyre, Eduardo G. Martins, Naziano Filizola, Rogério Marinho, Ednaldo Bras Severo, Mariana Frias, Renata Oliveira, Lucas
Lauretto, Waleska Gravena, André Coelho, Hilda Chávez-Pérez, Susana Braz-Mota, Michel Nasser, Daniel Medeiros Moreira, Leandro Guedes Santos, José Reinaldo Pacheco Peleja & Miriam Marmontel, Extreme warming of Amazon waters in a changing climate, Science, novembre 2025
DOI : 10.1126/science.adr4029
Photo de bandeau : © Miguel Monteiro - Mamiraua Institute
