Blaise Pascal ou le génie français, de Jacques Attali. Editions Fayard
Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 2 juin 2023 840
Jacques Attali n’a pas attendu cette année 2023 où de nombreuses publications évoquent le quatre centième anniversaire du grand homme pour publier, dès octobre 2000, aux éditions Fayard : Blaise Pascal ou le génie français, une biographie de presque 500 pages, riche d’informations passionnantes où il fait le tour de tous les thèmes que Pascal, défini par Chateaubriand comme un « effrayant génie », a explorés dans sa courte vie.
Enfant précoce, génie universel, Blaise Pascal, ne se contente pas d’être un homme du 17e siècle, il appartient à tous. Chaque époque a en effet cru se reconnaître en lui mais qui était-il réellement ? C’est le mystère que s’efforce de percer Jacque Attali dans cet ouvrage magistral.
Enfants prodiges
Blaise se montre d’une précocité remarquable. Il n’est pas le seul dans sa famille. Sa sœur Jacqueline, de deux ans sa cadette, révèle, dès son plus jeune âge, des compétences en matière de littérature et de théâtre qui lui valent l’admiration de Richelieu et de Corneille.
Après le décès de leur mère, les enfants Pascal sont formés par leur père lui-même lettré et savant, qui leur dispense un « apprentissage non autoritaire. Éveiller, cultiver le désir de comprendre, de trouver soi-même des réponses, de réinventer le savoir », tels sont les principes de ce remarquable pédagogue qui donne à ses enfants une éducation « essentiellement orale » s’appuyant « sur le raisonnement. »
Dès 7 ans, Blaise reçoit une formation en français mais aussi en latin, histoire, physique, grec, logique, philosophie. La légende familiale, reprise avec quelques variantes par l’écrivain Tallemant des Réaux soutient qu’à 11 ans, il a découvert tout seul les mathématiques. A 13 ans, il lit et écrit le latin, le grec, l’hébreu. Dès son plus jeune âge, Il assiste avec son père aux réunions autour du minime Mersenne et grandit parmi les savants et
ène très tôt une vie mondaine.
Durant toute sa vie, Blaise sera aux prises avec la douleur : maux de têtes, de dents, douleurs d’estomac, insomnies, paralysie des jambes, qui, dans les moments de crise aigüe, lui rendent difficile tout travail intellectuel.
Une vie plongée dans l’histoire
Trésorier de France pour la généralité de Riom, Étienne, le père, né en 1588 qui a fait ses études dans le Paris d’Henri IV, est passionné de sciences et de mathématiques. La famille appartient à la petite bourgeoisie, modestes aristocrates de la noblesse de robe. Il a trois enfants : Gilberte, future Mme Florin Périer née en 1620, Blaise né le 19 juin 1623 et Jacqueline née le 5 octobre 1625.
Le Paris où débarquent Étienne et les enfants en 1631 est en pleine crise : graves disettes provoquant des famines meurtrières, pestes causant plus d’un million et demi de morts, soulèvements de la misère, guerre avec l’étranger. Au cours du siècle s’affrontent de manière quasi permanente la science et l’Église, les princes et le roi, les provinces et l’État, l’économie et la politique. Peu à peu, au fil des différentes mesures mises en place par le pouvoir royal, s’installe un état centralisateur dans un climat de révoltes paysannes et nobiliaires.
Les passions religieuses
Les guerres de religion du siècle précédent ont laissé le pays exsangue. Au XVIIe siècle, libertins, jansénistes et catholiques militants se côtoient dans un climat d’affrontements permanents.
Le catholicisme est en pleine renaissance avec Saint François de Sales venu de Savoie, Saint Vincent de Paul originaire des Landes et de grands théologiens. Les couvents et les ordres se multiplient.
L’Église et le roi se liguent contre les protestants, les jansénistes et les libertins. Ces derniers sont des libres penseurs, agnostiques, athées ou indifférents qui chérissent la liberté de conscience et prennent des distances par rapport à la religion et à la morale chrétienne. À Paris ils sont plusieurs milliers qui fréquentent les salons et participent à la vie mondaine. Mais ils se montrent prudents quant à leurs convictions car il ne fait pas bon se proclamer libertin. La théorie de l’infinité des mondes a valu en 1600 à Giordano Bruno d’être brûlé vif à Rome. Trois poètes, Théophile de Viau, Bois Robert et Saint Amant, sont pourchassés par l’Église, et jusqu’en 1660, on peut risquer le bûcher pour hérésie.
Les jansénistes et les jésuites s’affrontent, chacun s’efforçant de faire interdire l’autre groupe par les pouvoirs temporel et religieux. La famille Pascal se trouve impliquée dans cette querelle qui aboutira à la destruction de Port Royal.
De cet affrontement naîtront les 18 Lettres à un provincial, ouvrage polémique publié par Blaise sous le pseudonyme de Louis de Montalte qui, après un succès immédiat, connaîtra jusqu’en 1769 trente-cinq éditions et touchera plus de 10 000 lecteurs.
Un moment important pour l’histoire des sciences
Pour l’histoire des sciences, le moment est crucial. La démarche expérimentale met en question la scolastique aristotélicienne. Dans les cercles philosophiques, entre autres le cercle des frères Dupuy et l’académie Mersenne, érudits et philosophes discutent librement de ce que la censure religieuse et politique leur interdit d’écrire. Le partage des connaissances est la règle. Des joutes opposent les savants et permettent l’échange des découvertes. De ce bouillonnement intellectuel naît un intense appétit de science qui fait émerger une notion essentielle : la primauté de l’expérience.
Dans ce contexte, le jeune Pascal développe un goût pour la pensée et la réflexion, une véritable passion d’apprendre et une incroyable énergie. Touche à tout de génie, il est tout en même temps mathématicien, physicien, philosophe, mais aussi polémiste. Son style et son discours philosophique se forgent dans les mathématiques où il trouve simplicité, clarté et rigueur. Durant toute sa vie, il ne cessera pas de développer ces qualités majeures que sont le sens de la clarté, la puissance d’intuition, la rigueur de la déduction mais aussi, lorsqu’il prend la plume pour exposer ses idées ou combattre, un style percutant d’une redoutable efficacité.
Les identités multiples
Une analyse des travaux menés par Blaise pascal induit une interrogation. Ce bourreau de travail est, comme on l’a vu précédemment, sur plusieurs fronts à la fois. Quelle n’est pas la surprise du lecteur lorsqu’il prend conscience non seulement de l’étendue de ses recherches mais surtout de la manière dont il en rend compte à travers ce qui semble être plusieurs personnalités distinctes.
La période de juillet 1657 à février 1659 est à ce titre particulièrement significative car les différents avatars de Blaise Pascal s’appliquent à développer chacun des thème très différents.
En 1658 par exemple, Blaise Pascal invite toute la communauté de l’Europe savante à réfléchir, par le biais d’une énigme, sur une série de problèmes liés à la cycloïde, problèmes auquel Amos Dettonville, l’un des anagrammes du même Blaise s’empresse d’apporter la réponse. Procédé quelque peu étonnant.
En même temps, il corrige, sous le nom de Louis de Montalte, les incessantes réimpressions des Provinciales qui sont traduites en plusieurs langues et remportent un énorme succès. Il écrit de manière anonyme une série de lettres en direction des curés de Paris à propos de la grâce, sujet d’actualité dans cette France qui s’affronte autour d’un thème essentiel divisant les jansénistes et les jésuites, celui de la foi.
Il y a de quoi s’y perdre, d’autant que, dans le même temps, un autre de ses doubles, Salomon de Tultie, se donne pour objectif d’entreprendre sur des textes épars une série de réflexions sur la religion et l’infini, ébauche d’une histoire de la condition humaine depuis la Genèse. Ces textes que l’on ne rassemblera qu’après sa mort, paraîtront après toute une série d’aléas, sous le titre Les Pensées.
Comment comprendre ce brouillage systématique? Ces différents avatars sont tous des anagrammes de son premier pseudonyme : Louis de Montalte, inspiré par le nom de l’un de ses ancêtres maternels , M. de Mons. Pareil comportement répond-il à une volonté de prudence parfaitement compréhensible en cette époque troublée ? A une soif de modestie ? Est-ce un Jeu ? Ou bien un effort délibéré pour sérier des écrits appartenant à des registres de pensée différents ? En effet, Louis de Montalte le polémiste traite des problèmes religieux, Amos Dettonville de mathématiques et Salomon de Tultie de philosophie. Bien malin qui dira quelles intentions sous-tendent ce choix pour le moins surprenant.
La postérité de Pascal
L’ œuvre de Blaise Pascal, d’abord censurée et en partie méconnue est devenue l’objet d’un véritable culte.
Les quelques centaines de personnes qui ont assisté à ses obsèques ne connaissaient pas grand-chose de son œuvre et pratiquement rien de ses recherches scientifiques. Il était cependant connu et apprécié de ses contemporains.
Tous ceux qui comptent dans les lettres françaises du siècle où il a vécu : Molière, Racine, Boileau, la Fontaine, Mme de la Fayette, Mme de Sévigné, Bossuet, Perrault, l’admirent. Racine parle des Provinciales comme d’une œuvre littéraire majeure. Boileau les range au rang de premier chef d’oeuvre de la littérature française. Mme de Sévigné s’extasie. Elle écrit les avoir « lues plus de dix fois : tout y est pureté dans le langage, noblesse dans les pensées, solidité dans les raisonnements, finesse dans les railleries, et partout un agrément que l’on ne trouve guère ailleurs ».
Après les lettres provinciales de Louis de Montalte, traduites en latin, en anglais, en espagnol et en italien, Les Pensées deviennent à leur tour un pilier de la littérature française. On oublie puis on redécouvre l’œuvre scientifique de Pascal. En 1675, Étienne Périer, son neveu, communique à Leibniz, qui s’enthousiasme, le traité des coniques, le traité sur la cycloïde, les probabilités.
Lors des siècles suivants, Voltaire, les Encyclopédistes, puis les Romantiques et un grand nombre d’écrivains parmi lesquels Chateaubriand , Stendhal, Balzac et Sainte Beuve s’enthousiasment pour son œuvre littéraire et philosophique. Des scientifiques tels Laplace reconnaissent son importance dans l’histoire des sciences. En 1779, l’abbé Bossut, mathématicien et janséniste, entame la première publication d’ensemble de ses écrits scientifiques.
Aujourd’hui encore, écrivains et penseurs voient en lui un maître en écriture, un moraliste ou un sceptique. Chacun trouve dans son œuvre ce qu’il cherche, de sorte que les écrits de ce génie universel qui transcende les siècles continuent à être lus par nos contemporains.
Pascal par Aurélien Pajou