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Les lichens, une "boite noire" (#4)

Publié par Patrimoine Université Toulouse III - Paul Sabatier, le 18 mars 2024   550

Bio-indicateurs, sentinelles, pionniers, marqueurs, accumulateurs ou plus simplement témoins, les lichens gardent des traces de leur environnement. Ils sont une mémoire vivante du monde dans lequel ils vivent, les Herbiers de lichens sont donc eux, une mémoire différée, un trésor de ressources pour la recherche.

De par leur constitution, les lichens sont comme des éponges, et leur corps (le thalle) absorbe l’eau sur toute sa surface, conservent les poussières dans ses filaments, et fixent les polluants avec ses acides. Ce sont, de plus, des organismes qui vivent très longtemps, qui peuvent même avoir de longues périodes de « sommeil » avant de revenir à une vie active, et ils ont une croissance très lente (de 0.1 à 1mm par an). Ils sont donc porteurs de données importantes d’un point de vue quantitatif et qualitatif. Ils détiennent des informations sur la qualité de l’eau d’une rivière, sur la gestion d’une forêt, ou encore ils aident à dater des moraines glacières.

Qu’ils fuient ou qu’ils aiment certains lieux, les lichens signalent par leur présence ou leur absence, la proximité de certains éléments chimiques, ou de certains métaux. Allié des géologues, quand Acarospora sinopica s’installe sur une roche, il indique qu’elle contient du fer. Physcia adscendens et Xanthoria parietina réputées nitrophiles signalent une augmentation de l’azote, et donc généralement soit une augmentation du trafic routier, soit un épandage d’engrais azotés important. Mais dans le même temps, d’autres espèces, pour les mêmes raisons s’éloignent: le Lobaria pulmonaria très sensible à la pollution de l’air est en régression sur l’ensemble de l’Hexagone. Les lichens sont donc des lanceurs d’alerte, en quelque sorte.

Lobaria pulmonaria (sticta pulmonacea), Herbier Olivier (sensible à la pollution)

Les lichens sont aussi des accumulateurs. Leur métabolisme lent en fait de bons conservateurs. Ils accumulent les données, gardent des traces longtemps. Et se nourrissant essentiellement de l’atmosphère (et non du sol), leur « témoignage » devient précieux. Ils peuvent ainsi a postériori signaler des taux de radioactivité, montrer l’évolution de ce taux des années après un accident comme Tchernobyl. Et ils peuvent aussi ainsi sur l’instant lors d’un forage par exemple révéler la présence d’uranium dans l’atmosphère.

Lecidea geographica, Herbier Olivier (acidophile)

Ils ne sont plus seulement des marqueurs, ou des bio-indicateurs, ils permettent désormais de mesurer la qualité de l’air. Depuis une cinquantaine d’année on utilise des méthodes qualitatives qui établissent une correspondance entre la présence d’espèces et d’un ou plusieurs polluants (échelle d’Hawksworth et Rose par exemple) puis d’autres qui déterminent la qualité de l’air en observant les communautés d’espèces (échelles d’éco-diagnostic). Dès lors, les méthodes quantitatives d’évaluation ont fleuri pour calculer des indices de pollution comme l’IPA (Indice de Pureté Atmosphérique de Leblanc et Sloover). Instruments de mesure, les lichens assurent aussi une sorte de veille, on parle désormais de biosurveillance.

Les lichens sont de fait des « archives naturelles » en quelque sorte. Certaines molécules (hydrocarbures, métaux…) ne se dégradent pas, elles peuvent être retrouvées dans les herbiers. Des Herbiers qui peuvent donc à posteriori, par l’analyse chimique de leur contenu, nous donner une idée de la présence et de la nature des polluants atmosphériques en un temps donné. Les Herbiers de lichens sont donc des archives à double titre. Ne restent aux scientifiques, comme toujours, qu’à apprendre à les lire, à les décrypter.

Caloplaca vitellina, Herbier Saltel (nitrophile)

Bibliographie

Claude Remy, Mathieu Gracia, Stéphane Jouglard, Lichens nitrophiles sur les écorces de résineux et pollutions azotée d’origine routière dans le Briançonnais, Bulletin Information de l’Association Française de Lichénologie, 2003.

Yannick Agnan, Bioaccumulation et bioindication par les lichens de la pollution atmosphérique actuelle et passée en métaux et en azote en France : sources, mécanismes et facteurs d'influence (Thèse), Toulouse, 2013.

Pete McKenzie, La nature n’oublie pas, National Géographic, 2023.

Le Service des Collections de l’Université Toulouse III-Paul Sabatier a entrepris un chantier d’envergure : le projet NIEHL, pour la Numérisation, l’Informatisation et l’Etude des Herbiers de Lichens. Ce travail a été retenu dans le cadre de l’Appel à Projets du Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation en 2022, et réalisé en 2023. Les herbiers toulousains (ainsi que des planches d’Herbiers des collections de Rennes et de Strasbourg) numérisés et informatisés, permettent désormais de constituer une base de données représentative de la biodiversité lichénique en France (et même au-delà) il y a un peu plus d’un siècle.

  • Région Occitanie : Herbier Saltel (Aveyron, Cantal, Haute-Garonne), 1870-1903 soit 135 parts
  • Région Nouvelle Aquitaine : Herbier Chaubard (Lot-et-Garonne) début XIXe soit 247 parts, et Planches significatives de l’Herbier Lichens Sudre (Lot-et-Garonne), début XXe.
  • Région Bourgogne : Herbier Fautrey (Côte d’Or), 1890-1910 soit 275 parts
  • Région Grand Est : Lichens de l’Herbier Mougeot et Nestler (Vosges, Rhin), 1811-1843 soit 100 parts
  • Région Bretagne : Types de l’Herbier Des Abbayes (Côtes d’Armor), milieu XXe soit 90 parts,
  • Herbier Rouane Bretagne (Finistère) XXe siècle, soit 39 parts
  • Région Normandie : l’Orne avec les données déjà numérisées de l’Herbier Olivier collecté en 1880 soit 295 parts.

Et en plus quelques planches d’ailleurs :

  • S-E des Etats Unis : Herbier Paul Otto Schallert (exsiccata de l’herbier de l’université du Dakota), 1960-1962, 31 parts.
  • Mexique : Herbier « Rouane », 1965, 38 parts.

La numérisation s’accompagne d’une révision, et elle est aussi l’occasion de mettre en lumière des collections rarement montrées et pourtant précieuses historiquement, scientifiquement, et culturellement. L’occasion de faire le point en 5 épisodes.

Rédaction : Corinne Labat

Conseillers Scientifiques :

Nathalie Séjalon-Delmas, enseignante chercheure (Université Toulouse III - Paul Sabatier)

Xavier Bossier, technicien de recherche (Fédération de recherche FRAIB)