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Poissons isolés dans un lac de cratère au Kenya : révélations génétiques

Publié par IRD Occitanie, le 1 septembre 2023   370

Les tilapias prisonniers d’un lac en Afrique de l’Est pourraient nous apprendre comment ils se sont adaptés à leur nouvel environnement. Une étude menée par des généticiens kenyans et français, dont un chercheur de l’UMR ISE-M, fournit les premières clés sur cette évolution en vase clos.

Désormais le poisson le plus consommé au monde, le tilapia fait partie d’un groupe d’espèces africaines dont l’une était déjà connue dans l’Egypte ancienne.

Lac Turkana, Kenya

© Ndiwa et al., 2023

Le lac Crocodile : un habitat particulier

Parmi la trentaine de lacs nichés le long de la faille du Grand rift africain et dont certains sont forts visités par les touristes, le lac Turkana du Kenya est l’un des plus salés. Il s’agit aussi du plus grand lac permanent en milieu désertique, avec des eaux alcalines. Au cours des temps géologiques, le niveau des eaux du lac a subi des modifications. La dernière baisse importante est survenue vers 1900. Elle a entrainé l’émergence des reliefs hors de l’eau et l’isolement de lacs dans les cratères de trois volcans éteints sur l’île centrale du lac Turkana. Ce dernier abrite une grande population de crocodiles du Nil, en particulier dans le lac homonyme, mais ce ne sont pas ces reptiles qui font l’objet de la présente étude publiée dans l’African Journal of Ecology. « Nous nous intéressons à la population d’une espèce de poisson - Oreochromis niloticusplus connu sous le nom de tilapia du Nil – qui s’est retrouvée piégée dans ces lacs secondaires », explique Jean-François Agnèse, généticien des populations à l’IRD. Confrontée à des conditions environnementales différentes, comment a évolué la diversité génétique de cette population ? Et quels facteurs exactement auraient influencé cette évolution ?

Tilapia du Nil (Oreochromis niloticus), Kenya

© IRD - Christian Lévêque

Les tilapias, entre lacs et rivières du Grand rift

Des travaux datant de 1983 avaient établi, sur la base de caractères morphologiques, qu’il existait sept sous-espèces d’Oreochromis niloticus dans les lacs et rivières de cette région. Celle vivant dans le lac Turkana (O. niloticus vulcani) étant différente de celle du lac Baringo (O. niloticus baringoensis) situé un peu plus au sud et de celle de la rivière Suguta (O. niloticus sugutae). La population du lac Crocodile proviendrait donc, a priori, de celle du lac principal dont elle est séparée depuis 100 ans. « Nous cherchions à évaluer les différences génétiques entre la population de tilapias du lac Crocodile et d'autres populations étroitement apparentées, précise Titus Chemandwa Ndiwa, premier auteur. Nous nous sommes appuyés sur deux marqueurs d'ADN mitochondrialet 16 marqueurs microsatellites issus d’échantillons frais de poissons. » Les résultats fournissent des éléments sur les relations entre ces différentes sous-espèces et leur niveau de diversité génétique.

Un pêcheur sur le lac Baringo

© IRD - Jean-Yves Meunier

Ascendances et différences génétiques

« Nos analyses confirment la proximité génétique entre les tilapias piégés dans le lac Crocodile et ceux du lac Turkana mais aussi avec ceux du lac Baringo », révèle Dorothy Wanja Nyingi, autre partenaire kenyane et généticienne, elle aussi. Sans surprise, la population présentant la plus faible diversité génétique est celle du lac de cratère : la petite taille du lac, moins d’un km2 comparée à celle du lac Turkana 7500 km2, abritait de petits effectifs au moment de l’isolement. Malgré l'ascendance partagée entre le lac Crocodile et le lac Turkana, des différences génétiques significatives existent entre les deux populations. Elles peuvent principalement être attribuées au flux de gènes interrompu entre elles ainsi qu’aux conditions environnementales différant d’un habitat à l’autre. En effet, la salinité du petit lac de cratère est bien plus élevée que celle du grand lac et ses eaux sont encore plus alcalines. Ces particularités chimiques ont certainement exercé une pression de sélection sur les poissons, seuls les plus résistants ont survécu. Les effectifs déjà faibles se réduisent encore et seuls certains gènes sont transmis aux générations suivantes. C’est ainsi que deux populations au départ identiques se mettent à diverger. Au-delà de ces révélations génétiques, cette étude fournit des clés pour comprendre – dans un scénario de réchauffement climatique – comment les espèces s’adaptent en dépit parfois de faibles bases génétiques. Ces connaissances seront utiles tant dans le domaine de la conservation de la biodiversité que dans celui de l’aquaculture.


Publication : Ndiwa T. C., Nyingi D. W., Agnèse Jean-François (2023). Genetic diversity of a cichlid fish population after 100 years of isolation. African Journal of Ecologyhttps://doi.org/10.1111/aje.13144

Contacts science : Jean-François Agnèse, IRD, ISE-M JEAN-FRANCOIS.AGNESE@IRD.FR


Titus Chemandwa Ndiwa, Université de Nairobi (Kenya) TNDIWA@UONBI.AC.KE
 

Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR

Source : https://www.ird.fr/poissons-is...