Les aires protégées : un défi socio-écologique à relever
Publié par IRD Occitanie, le 17 avril 2023 550
Une équipe de scientifiques des UMR SENS, PALOC, DIAL et Art-DEV a mis en œuvre une méthode de cartographie mentale afin de mettre au jour les différents points de vue des acteurs concernés par la création d’une aire protégée à Madagascar. Cette évaluation est publiée dans Plos One.
Pour que les populations s’approprient une aire protégée, encore faut-il les associer dès le processus de création, aux côtés des autres parties prenantes.
Le Makay, une région peu connue mais riche en biodiversité
« L'existence de multiples perspectives et représentations des parties prenantes est un défi majeur pour la conservation de la biodiversité dans le monde entier », avance Julien Blanco, ethnoécologue à SENS. Le contexte malgache ne fait pas exception. Le massif du Makay, zone isolée peu connue du sud-ouest de l’île, fait l’objet d’un projet de création d’une nouvelle aire protégée (NAP) qui, comme tout projet similaire, peut faire émerger des conflits et des tensions. Qualifié de « ruiniforme », ce massif alterne plateaux secs herbeux et canyons humides accueillant des écosystèmes séparés les uns des autres, ce qui favorise une grande biodiversité. La NAP vise à protéger nombre d’espèces - endémiques ou non - présentes dans ce massif : 11 espèces de lémuriens, 40 % des oiseaux de Madagascar, ou encore la dernière grande population d’un palmier - Ravenea lakatra - classé par l’UICN en danger critique d’extinction. Selon les partisans de la NAP, cette richesse naturelle est menacée entre autres par les feux agricoles et pastoraux ainsi que par le braconnage. Or, alors qu’il y a un réel déficit de connaissances scientifiques sur cette région, d’autres points de vue doivent aussi être pris en compte afin de favoriser un projet de NAP à la fois durable et juste.
Comprendre les perceptions des parties-prenantes
Les NAP sont des systèmes socio-écologiques complexes dans lesquels le défi principal est de concilier protection de la biodiversité et développement local. Or souvent les plans de gestion de ces aires sont conçus sans réelle prise en compte de l’ensemble des parties prenantes, ce qui conduit ensuite à des points de blocage. L’objet de cette étude était donc de mettre au jour ces différents regards. Des enquêtes ont été menées auprès de 32 personnes : scientifiques de diverses disciplines, ONG locales, voyagistes. « Notre évaluation mettait en œuvre deux outils complémentaires, explique Céline Fromont qui a conduit cette étude pour son mémoire de fin d’études. D’abord, la construction de cartes mentales a permis de représenter la façon dont les personnes voient le Makay ; puis l’analyse structurale des cartes a permis de discriminer les éléments centraux des représentations (les plus partagés par les acteurs) et ceux périphériques (sources potentielles de désaccord). »
Recommandations basées sur une évaluation approfondie
Cette analyse mixte, qualitative et quantitative, a révélé deux groupes avec des visions contrastées. Le premier, qualifié d’éco-centrique, est composé de personnes qui décrivent le Makay surtout via des composants biophysiques et tendent à insister sur les effets négatifs des pratiques humaines sur les écosystèmes ; la seconde vision, qualifiée de socio-écologique, est partagée par des personnes qui mettent davantage en avant les composants socio-culturels et la complexité des interactions entre composants. Bien que ces deux groupes reconnaissent les mêmes défis environnementaux – comme par exemple les feux agricoles et pastoraux – leurs avis sur les solutions à mettre en œuvre diffèrent. De plus, les personnes des deux groupes n’accordent pas la même importance à certaines problématiques, liées notamment aux vols de zébus, aux activités minières ou encore au commerce d’animaux sauvages. L’analyse des auteurs suggère que certaines divergences proviennent de niveaux inégaux de connaissances tandis que d’autres témoignent d’une différence d’opinions et de valeurs. A ce stade, quelques recommandations sont possibles : accroître les efforts de recherche dans la région pour combler les lacunes ; documenter les perceptions des populations locales ; promouvoir le dialogue et l’apprentissage social entre les parties prenantes ; impliquer les autorités locales dans la création et la gestion de la NAP car c’est essentiel pour l’appropriation et la pérennisation de l’aire protégée. « S’appuyer sur les points communs et les éléments négociables devrait favoriser un processus plus inclusif, gage d’un projet plus juste et sans doute plus efficace pour la conservation de la biodiversité », lance Stéphanie Carrière, responsable du projet Makay-Mada financé par la MSH-Sud.
Publication : Fromont C., Blanco J., Culas C., Pannier E., Razafindrakoto M., Roubaud F., Carrière S. M. 2022. Towards an inclusive nature conservation initiative : preliminary assessment of stakeholders' representations about the Makay region, Madagascar. PLoS One, 17 (8), https://doi.org/10.1371/journal.pone.0272223
Contact science : Julien Blanco, IRD, UMR SENS JULIEN.BLANCO@IRD.FR
Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR