Le Pirarucú introduit en Bolivie est-il un super-prédateur ?
Publié par IRD Occitanie, le 27 septembre 2023 590
Le poisson géant Arapaima gigas ne serait pas forcément en compétition avec les communautés piscicoles indigènes des lacs de l'Amazonie bolivienne. C’est la conclusion étonnante de l’étude menée par des chercheurs d’EDB et leurs collègues boliviens.
Les poissons introduits dans un écosystème peuvent générer des impacts écologiques sur les espèces indigènes. L’évaluation des compétitions pour la nourriture permet de vérifier l’ampleur de ces impacts.
Un géant des eaux douces amazoniennes
La répartition naturelle d'Arapaima gigas est vaste, comprenant des sous-bassins de fleuves qui traversent le Brésil, l'Équateur, la Colombie, la Guyane et le Pérou. Appelé Pirarucú au Brésil et Paiche en Bolivie, ce poisson atteint 3 mètres de longueur et pèse jusqu'à 200 kg, ce qui en fait le plus gros poisson d'eau douce d’Amérique du sud. Son introduction depuis les années 60 en Amazonie bolivienne suscite des craintes en raison de sa taille et de ses habitudes alimentaires qui feraient de lui un prédateur de premier plan. D’ailleurs les pêcheurs locaux accusent déjà A. gigas du déclin des captures d'espèces commerciales traditionnelles. Cependant, il n'existe pas encore de preuves scientifiques à l'appui de ces affirmations. L’étude financée par l'Agence suédoise de coopération internationale pour le développement visait à évaluer l'impact potentiel du Pirarucú sur les communautés de poissons indigènes dans deux lacs boliviens. « Déterminer les impacts écologiques des poissons introduits est particulièrement difficile pour les communautés de poissons amazoniens qui présentent généralement une grande diversité d'espèces et une complexité trophique élevée », avance Thierry Oberdorff, spécialiste en écologie aquatique à EDB.
Pister les comportements alimentaires via le carbone et l’azote
Afin de reconstituer la chaîne alimentaire qui va des ressources végétales aux prédateurs finaux, les scientifiques ont utilisé des indicateurs fiables : les isotopes stables de carbone (13 C) et d’azote (15 N), constituants chimiques retrouvés dans tous les éléments de cette chaîne. Mesurés dans des échantillons de poissons et de leurs aliments potentiels, les rapports d'isotopes stables renseignent sur les habitudes alimentaires des différentes espèces dans un écosystème donné. Etablir qui mange quoi ou qui permettra de savoir si le régime d’Arapaima gigas le met en compétition avec les espèces autochtones et si c’est lui qui se trouve au sommet de la chaîne. « Avec la coopération de pêcheurs locaux, nous avons capturé des poissons dans deux lacs - Mentiroso et Miraflores -, rapporte Danny Rejas, chercheur en écologie aquatique à l’université Mayor de San Simón (Cochabamba) et premier auteur de la publication. Puis nous avons analysé des échantillons de 158 poissons dont le Pirarucú et 31 sources de carbone. » Les poissons indigènes se sont révélés détritivores, herbivores, invertivores ou piscivores. Les analyses pratiquées vont conduire les scientifiques à la détermination de la position trophique des espèces et de chevauchements éventuels entre leurs niches isotopiques, et donc à l’identification d’interactions potentielles de prédation et de compétition.
Une espèce généraliste à tendance piscivore
En ce qui concerne les réseaux trophiques du lac Mentiroso, les résultats sont clairs et ne vont pas dans le sens d’un Pirarucú super prédateur. D’une part, la concurrence entre A. gigas et les espèces herbivores semble peu probable, d’autre part, même si les piscivores ont montré un chevauchement significatif des niches isotopiques avec le géant introduit, elles sont plus spécialistes. Une compétition éventuelle ne se produirait donc qu’en cas de ressources limitées. En fait, le Pirarucú occupe une position intermédiaire entre les herbivores et les piscivores, ce qui suggère fortement que d'autres sources que le poisson, telles que les plantes et les invertébrés, constituent une composante importante de son alimentation. Cette découverte est corroborée par certaines études antérieures analysant le contenu de son estomac. Ceci rejoint d’autres résultats indiquant que les espèces envahissantes ont le plus souvent un régime alimentaire flexible et généraliste. « Notre découverte selon laquelle A. gigas est un omnivore plutôt qu'un piscivore spécialisé suggère que l'impact de son introduction pourrait être plus faible que supposé jusqu’alors », concluent les chercheurs.
Publication : Rejas D., Oberdorff T., Declerck S. A. J., Winder M. 2023. The introduced Arapaima gigas in the Bolivian Amazon : trophic position and isotopic niche overlap with native species. Ecology of Freshwater Fish. http://dx.doi.org/10.1111/eff.12734
Contacts science : Thierry Oberdorff, IRD, EDB THIERRY.OBERDORFF@IRD.FR
Danny Rejas, Université Mayor de San Simón (Cochabamba, Bolivie) DANNY.REJAS@GMAIL.COM
Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR
Source : https://www.ird.fr/le-pirarucu...