Un musée pour aimer les maths

Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 18 avril 2023   880

En cette période où l’équipe de Fermat, personnel et bénévoles confondus, met en place les futures activités du Musée Fermat, il nous a paru opportun d’interroger Maryvonne Spiesser, co-fondatrice et vice-présidente de Fermat Science, garante de la validité mathématique des produits créés par l’association.

Claire Montiel :
Ne craignez vous pas que le terme de musée, qui peut faire penser à un équipement un peu rébarbatif et quelque peu didactique, destiné aux seuls spécialistes, soit de nature à rebuter les éventuels visiteurs non mathématiciens ?

Maryvonne Spiesser :
L’expérience de l’équipe et des bénévoles de Fermat Science permet de n’avoir pas de craintes à cet égard. Depuis une vingtaine d’années au moins, une réflexion collective a été menée sur la manière de présenter les mathématiques de sorte qu’elles soient à la fois attrayantes et accessibles à tous ainsi qu’au public scolaire, sachant que les attendus ne sont pas nécessairement les mêmes pour ces deux catégories.
Le défi a été de trouver d’autres voies d’accès à la connaissance mathématique que celles de l’école. L’entrée via l’histoire a paru un bon moyen de rendre de l’humanité à une discipline souvent mal perçue car considérée comme abstraite, manquant d’âme.
Montrer les mathématiques dans leur contexte historique, philosophique, sociologique, faire comprendre comment se construisent les nouvelles notions et les nouveaux objets, mettre en avant le travail humain, la confrontation des idées, les erreurs et les impasses tout autant que les réussites sont autant de moyens de donner du corps et du sens aux notions présentées.
Ainsi l’une des productions de l’association, Voyage en mathématique, montre-t-elle douze mathématiciennes et mathématiciens qui ont vécu entre l'antiquité grecque et le XXe siècle. Prendre appui sur cette exposition permet d’aborder les notions mathématiques sous-jacentes, de les situer dans leurs époques et dans des domaines de la connaissance qui débordent des mathématiques.


Une autre approche consiste à proposer à ces mêmes publics des questions à résoudre de manière active avec des expérimentations quand le sujet s’y prête. C’est le cas par exemple pour la mallette Festimaths en direction des jeunes. Chaque planche propose des éléments d’histoire, développe l’origine des notions abordées, provoque une rencontre avec le ou la mathématicien.ne concerné.e, établit un lien avec d’autres disciplines, et débouche, à l’occasion, sur des applications pratiques.

CM : L’approche mathématique n’est pas le seul thème développé dans le musée. La scénographie fait une large place à Fermat lui-même. Pouvez-vous expliquer ce choix ? 

MS :
  Il n’y a rien là que de très normal. Le musée se situe dans la maison natale du mathématicien dans la bastide de Beaumont-de-Lomagne où il revenait très régulièrement. De ce fait, certains thèmes se sont imposés tout naturellement.


Pierre de Fermat est un homme du XVIIe siècle, un personnage important de Beaumont, un magistrat qui a eu à traiter des affaires concernant les conflits religieux entre catholiques et protestants, qui a été confronté à la politique. Si ce sont les mathématiques qui lui ont permis de passer à la postérité, il serait réducteur de se limiter à cet aspect de sa personnalité.
Il a exercé la profession de magistrat, il s'est impliqué dans les affaires de sa ville. Il avait une très solide culture classique, s'intéressait aux Belles Lettres et aux langues, et au vu de ses très nombreux courriers dont plus d’une centaine nous sont parvenus, on peut à juste titre le qualifier de savant.

Ce sont tous ces aspects qui contribuent à en faire un personnage remarquable. La promesse que l’on fait aux visiteurs, c’est de leur permettre de rencontrer cet « honnête homme du XVIIe siècle dans le lieu où il a vécu, un bel hôtel du XVIe siècle rénové par des architectes de talent qui, à lui seul, vaudrait le déplacement.


CM :
Revenons aux mathématiques. Comment cette équipe que vous dites performante a-t-elle procédé pour les rendre accessibles à un public de non spécialistes ?

MS :
Certains thèmes sont moins accessibles que d'autres, il faut bien le reconnaître. Des moyens variés ont été imaginés, en usant des techniques actuelles de communication, en impliquant le visiteur dans des jeux, dans des expériences, dans la résolution de problèmes, en essayant de présenter les notions abstraites de la manière la plus accessible et la plus active possible.
L’utilisation de media comme la BD, ou le jeu d’énigmes (escape game), permet une entrée inhabituelle dans la connaissance scientifique. L’interview de professionnels des mathématiques est un autre moyen vivant de présenter un personnage et son œuvre ou d’introduire une notion réputée difficile.


Fermat Science a développé au fil des ans un service recherche et développement, doté de matériel comme une découpe laser ou une imprimante 3D, qui permet de tester des outils de médiation comme le jeu de Nim ou de créer des objets pour illustrer une notion abstraite. Quant aux nouvelles techniques de communication, numériques ou autres, elles permettent, si elles sont bien utilisées, de présenter de manière claire et active des concepts parfois difficiles.


La cycloïde, par exemple est une courbe en faveur au XVIIe siècle, que l’on peut aujourd’hui concrétiser par le mouvement de la valve d’une roue de bicyclette lorsque celle-ci roule sans glisser sur une droite. C’est la courbe de plus rapide descente. Autrement dit, une balle soumise uniquement à la pesanteur allant d’un point A à un point B situé plus bas arrivera en B plus rapidement si sa trajectoire suit une arche de cycloïde que si elle suit une droite ou n’importe quelle autre courbe. Des expériences mécaniques ou numériques, permettent de le conjecturer et de l’illustrer.


CM :
Une dernière question avant de nous quitter. N’y a t-t-il pas un risque que les personnes férues de mathématique et de sciences, attirées par le grand nom de Fermat, repartent déçues après une visite qui est manifestement destinée au grand public ?


MS :
Le plus difficile est de mettre les mathématiques à la portée de tous et notamment des jeunes. Quant aux spécialistes, on peut penser qu’ils ne viendront pas visiter le musée Fermat dans l'intention de mettre à l'épreuve leurs connaissances, mais dans la perspective de découvrir l'environnement d'un homme apparemment connu de tous mais dont ils ignorent certaines facettes. En cela ils ne seront pas déçus.


D’autre part, il est assez simple de proposer à ce type de public une information plus précise ou plus approfondie sur certains sujets à l'aide de QR-code ou de fiches papier mis à leur disposition. C’est à quoi nous nous employons dans cet espace muséal destiné à faire aimer les maths.