Vaccinologie et « vaccinosophie »

Publié par Max LAFONTAN, le 6 octobre 2020   960

Article rédigé en août 2020. 

L’entendement humain n’est pas une lumière froide, il est soumis à l’influence de la volonté et des émotions, ce qui engendre un savoir fantaisiste: l’homme croit de préférence ce qu’il désire être vrai.
Francis BACON – Novum organum, Aphorisme49.

En ce début août2020, alors que des foyers infectieux (les fameux «clusters») de SARS-CoV-2 bourgeonnent en divers points de l’hexagone et de l’Europe et que l’épidémie reste mal gérée, voire incontrôlée,dans de nombreux autres États de la planète. Depuis quelque temps, il est clair que les indicateurs clés de suivi de l’épidémie de la COVID-19 se dégradent. Les déconfinés en vacances ont évacué le virus et les mesures protectrices usuelles matraquées chaque jour. Chaque micro-trottoir nous révèle des penseurs improvisés clamant des inepties sur le port du masque de protection. Face à ce désordre ambiant, les États et les politiques qui ne savent plus à quel saint se vouer, évoquent des possibilités de re-confinement. En fait, face à ces multiples dérapages, nous assistons à une course accélérée de nombreux États riches vers l’hypothétique vaccin. Essayons de faire un difficile bilan d’une situation en évolution permanente.

Les spécialistes sont unanimes, seul un vaccin pourra éventuellement diminuer le risque de maintien de la pandémie et offrir une protection, du moins chez ceux qui ont un système immunitaire bien fonctionnel.L’histoire des vaccinations nous révèle que le développement de vaccins efficaces et sûrs est la meilleure stratégie pour protéger les populations. Pourquoi une telle précipitation? Selon les expériences antérieures, il faut généralement au moins 10 ans à un vaccin pour terminer les trois phases consécutives du pipeline de recherche clinique (1). Avec cette pandémie, tout le monde semble vouloir accélérer et veut même brûler les étapes! Des chercheurs du monde entier développent plus de 165 vaccins contre le coronavirus, et 27 vaccins sont déjà en cours d'essais sur l'homme. Des interrogations subsistent, parfois, il est impossible de déboucher sur un vaccin efficace pour certains virus et tout vaccin nécessite des tests d’efficacité très rigoureux avant d’être proposé à la population. Curieusement, changement de paradigme, les scientifiques se précipitent pour produire un vaccin sûr et efficace d'ici l'année prochaine.Reconnaissons que pour certains l’horizon reste encore lointain.Tant que des essais cliniques de phase III sur un vaccin n’ont pas été menés sur un effectif suffisant, il est absolument impossible de trancher s’il est efficace ou pas, s’il est sûr ou non. Prudence vis-à-vis des déclarations qui fusent de toutes parts! Dans la course actuelle au vaccin, on peut regretter que la première partie concernant la recherche cognitive soit trop précipitée, partiellement sacrifiée ou escamotée au profit d’effets d’annonce alléchants qui ont une répercussion directe sur les cours boursiers ou gratifient les glorioles nationalistes de certains pays en compétition (États-Unis, Chine, Russie et Inde) (2).

Il est important de se rappeler que pour un vaccin, comme beaucoup d'autres médicaments,ce qui compte, ce n'est pas seulement que le produit soit disponible, mais aussi son efficacité et surtout son absence de nocivité.Des chercheurs pensent que vacciner à la fin d'une pandémie, lorsque l'incidence de la maladie est très faible et en baisse, sera d’une moindre utilité, d'où la course au développement d'un vaccin. Si l'un d'entre eux n'est pas largement utilisé au cours du premier semestre 2021, il sera probablement trop tard pour avoir un impact significatif sur le contrôle de la COVID-19dans la mesure où la progression de l’immunité collective des populations au fil du temps sera efficace et durable.Les laboratoires se livrent à une guerre technologique acharnée. Cette compétition technologique sans merci se double d’une bataille pour les financements qui épouse largement les frontières géopolitiques.Comme mentionné dans mon précédent mémoire (3), de nombreux laboratoires ont investi dans des démarches pour la réalisation de vaccins standards. Certains ont misé cependant sur de nouvelles technologies vaccinales.Elles sont récapitulées dans des diagrammes simplifiés d’un article de Nature (4).Dans cette course à la vaccination, une étape préliminaire mais essentielle semble être omise ou pour le moins négligée: c’est l’exploration approfondie de la réponse immunitaire, de sa cinétique, de sa durée et de son importance. Il subsiste des zones d’ombre peu explorées.

Remarques sur l’immunité passive et l’immunité active. Quelques rappels sur les procédures vaccinales.

Les vaccins exposent le corps à une partie sélectionnée de l'agent pathogène(les antigènes, des éléments aptes à engendrer la réponse immunitaire). Les vaccins conduisent à l’installation d’une « immunité active ». Lors de l’administration d’un vaccin, notre corps apprend à fabriquer ses propres anticorps dirigés contre l’agent infectieux pour nous immuniser sans nous rendre malades. À l’opposé des anticorps de synthèse produits en laboratoires ou issus de plasmas de patients ayant survécu à la COVID-19peuvent être administrés directement par voie intraveineuse pour stopper l’infection. Des anticorps dits «monoclonaux (5)» peuvent être produits en laboratoire et utilisés pour des traitements. Ces anticorps vont être responsables d’une protection immunitaire que l’on nomme«immunité passive». Cette forme d’immunité est transitoire et ne peut se prolonger qu’en fonction de la durée de vie des anticorps administrés. Elle représente une option prophylactique très utile en l’absence de vaccins efficaces. L’importance relative de ces deux types d’immunités sera illustrée dans les paragraphes suivants.

Il va falloir affronter divers gros obstacles techniques importants pour espérer arriver à la production d’un vaccin efficace engendrant une «immunité active». Un des gros problèmes est qu’il n’y a pas aujourd’hui de vaccin contre les autres familles de coronavirus. Quelle en est l’explication ? Un désintérêt probable pour des coronavirus induisant des maladies bénignes comme des rhumes ou des pneumopathies peu étendues comme celle qui a été induite parle SARS-CoV-1peut expliquer un tel désintérêt? Vaccins non rentables! On doit s’interroger sérieusement à ce stade des connaissances sur les chances d’accéder à un bon vaccin pour ce type de virus. Pourra-t-on fabriquer un vaccin contre le SARS-CoV-2dans des délais raisonnables? À ce jour il est difficile de savoir si les anticorps produits en réponse à l’infection par le SARS-CoV-2 sont tous protecteurs et à quel degré. On trouve dans la bibliographie vétérinaire de nombreux travaux concernant des «candidats vaccins»pour diverses zoonoses. Au départ, ce sont souvent des protéines qui ont été isolées d’un virus ou d’une bactérie et qui sont susceptibles de stimuler une réaction anticorps quelconque. Hélas la quasi-totalité de ces candidats restent sans application pratiques par la suite. Actuellement, pour SARS-CoV-2 tout ce qui peut avoir une capacité antigénique est très probablement exploré mais c’est peut-être la sérendipité qui révélera le lauréat qui conduira au meilleur vaccin.

La durée de la protection induite par de tels anticorps est également importante à connaître.Après avoir tranché sur l’intérêt et les limites des anticorps on doit aussi s’interroger sur la qualité et la durabilité de la réponse immunitaire qui sera la plus efficace pour pouvoir contrôler l’infection dans la durée. Il est raisonnable de penser que l’installation d’une réponse cellulaire (6), impliquant les lymphocytes T,serait probablement plus efficace, en arrêtant très tôt la réplication virale par l’élimination rapide des cellules infectées?

Le virus SARS-CoV-2 utilise les protéines de pointe (protéine spike (S)ornant sa surface externe pour envahir les cellules humaines.Techniquement, les éléments viraux à cibler pour obtenir un vaccin efficace restent à préciser,même si la «protéine spike» semble être une cible préférentielle et faire l’objet de nombreux travaux.Des chercheurs considèrent que la meilleure façon d'arrêter une maladie virale est d'empêcher le virus de pénétrer dans les cellules en aidant l’organisme à fabriquer des anticorps pour neutraliser le virus.

Pour le moment, de nombreuses inconnues existent sur les réponses immunitaires humaines au virus SARS-CoV-2. Des lymphocytes T CD4+(7) réactifs au SARS-CoV-2 ont été rapportés chez des individus non exposés. Un tel résultat suggère l’existence d’une mémoire croisée préexistante des lymphocytes T réactifs chez 20 à 50% des personnes. Il a été spéculé que les coronavirus du rhume commun (tels que HCoV-OC43, HCoV-HKU1, HCoV-229E et HCoV-NL63) largement répandus et responsables de problèmes respiratoires mineurs pourraient posséder des homologies de séquences avec SARS-CoV-2. Cependant, la source de ces cellules T était restée spéculative. Dans un article publié le 4 aout 2020 dans Science, des chercheurs ont approfondi la question en utilisant des échantillons de sang humain collectés avant la découverte du virus SARS-CoV-2 en 2019, ils ont cartographié 142 épitopes de cellules T (8) en parcourant le génome du SARS-CoV-2 afin de faciliter l'identification précise du répertoire de cellules TCD4 + spécifiques du SARS-CoV-2. Ils ont démontré qu’une gamme de cellules TCD4+ mémoires préexistants présentent une réactivité croisée avec une affinité comparable pour le SARS-CoV-2 et les coronavirus communs des rhumes bien connus tels que HCoV-OC43, HCoV-229E, HCoV-NL63 ou HCoV-HKU1. Ainsi, le panachage des caractéristiques des lymphocytes T mémoire spécifiques du SARS-CoV-2 avec celle des coronavirus qui causent le rhume pourrait sous-tendre, au moins en partie, de l'hétérogénéité étendue observée dans la maladie COVID-19. La faible infectiosité des enfants et l’existence de populations asymptomatiques, qui une fois contaminées transmettent le virus, sans développer de signes cliniques de l’infection, pourraient être liées à une défense immunitaire très efficace via les lymphocytes TCD4+ répertoriés dans cette étude et opérationnels.Une étude récente réalisée par des scientifiques de l'Institut Pasteur, de l'Inserm, du Réseau des hôpitaux publics de Paris (AP-HP) et de l'Université de Paris sur des enfants, a démontré qu'une infection fréquente aux coronavirus saisonniers chez les enfants n'offre aucune protection contre l'infection par le virus SARS-CoV-2 qui provoque la COVID-19 ou les formes sévères ressemblant à la maladie de Kawasaki.Ces travaux, prépubliés dans MedRviv doivent être confirmés et approfondis afin de clarifier l’existence réelle ou fictive d’une immunité croisée.

Au début de la pandémie de coronavirus, la piste des anticorps en dehors d’une approche vaccinale, a été abordée par de nombreuses équipes. Certains patients ayant eu tous les symptômes de la COVID-19 ont des taux d’anticorps très bas (déterminés par les analyses sérologiques). Seront-ils durablement protégés? Des laboratoires et des entreprises ont recherché dans le sang des survivants de laCOVID-19des anticorps puissants capables de faire reculer la maladie. Mais pourront-ils en fabriquer suffisamment pour tout le monde et à quel prix?L’objectif des nombreuses sociétés qui recherchent des anticorps -qui incluent aux États-Unis AbCellera, Berkeley Lights, GenScript, Regeneron Pharmaceuticals et VIR Biotechnology -est de transformer la solution de défense individuelle contre la COVID-19 en un médicament qui pourra profiter à tous. Un impératif: les anticorps doivent se verrouiller sur le virus et le neutraliser.Les scientifiques de la société AbCellera ont rapidement collecté et traité le sang d’un patient ayant survécu à la COVID-19 pour réaliser son analyse sur une puce microfluidique sur laquelle les cellules immunitaires individuelles peuvent être isolées afin d’étudier les anticorps produits. En trois jours, Carl Hansen, PDG d'AbCellera, a déclaré que la société avait inspecté 5millions de cellules et trouvé 500 anticorps différents excrétés qui se fixaient à la protéine «spike»du virus, en la bloquant potentiellement. N'importe lequel de ces anticorps pourrait-ilêtre un remède potentiel pour d'autres personnes infectées? À la suite de cette première observation, les chercheurs doivent ensuite sélectionner «l’anticorps monoclonal»le plus efficace.De nombreuses questions subsistent autour de cette démarche thérapeutique qui ne pourra probablement pas éviter la création d’un vaccin. Il faut évoquer, les capacités de production industrielle à une grande échelle, le prix de revient d’obtention de l’anticorps, le type de patients à traiter en priorité(populations les plus exposées ou les plus vulnérables). La firme américaine Eli Lilly, propose(le 3août 2020)de tester un anticorps monoclonal original produit en grandes quantités.Le projet ne s’adresse pas à tous mais à une population sélectionnée pour être soumise à une telle expérience d’«immunité passive». Comme chez nous, dans certaines régions des États-Unis, les résidents âgés des maisons de soins infirmiers constituent la majorité des décès liés à la CODID-19.Les infirmières et les patients de certains centres de vie assistée aux États-Unis recevront donc le«médicament anticorps»pour prévenir l'infection. Le but de l’étude est de prévenir l'infection en administrant l’anticorps au plus tôt. La prévention d’infections avec des anticorps monoclonaux est connue pour avoir fait ses preuves. Une injection d'anticorps administrée aux bébés prévient une infection pulmonaire par le virus respiratoire syncitial (VRS) qui frappe les nouveau-nés.Des résultats positifs ont été également obtenus pour traiter l’infection par le virus Ebola. Pour mener à bien cette étude, qui impliquera 2400 personnes, Eli Lilly travaillera avec les National Institutes of Healthpour cibler les foyers de soins avec des épidémies de COVID-19. Quel que soit l’intérêt thérapeutique de la démarche, l'ajout d'anticorps génère artificiellement une «immunité passive»qui ne persiste que le temps de durée de vie des anticorps. Les chercheurs affirment que les anticorps, généralement administrés par voie intraveineuse, peuvent rester dans la circulation sanguine pendant des semaines ou des mois.Ils doivent être produits en quantité et les coûts importants d’une telle prophylaxie sont rarement évoqués.

On peut penser que les connaissances acquises lors de ces travaux sur «l’immunité passive»permettront de mieux caractériser les antigènes et les anticorps et cerner les spécificités de la réponse immunitaire au virus. Il ne semble pas que les tentatives d’immunisation passive aient permis une exploration plus poussée de la réaction immunitaire induite par SARS-CoV-2pour le moment mais elles devraient permettre à terme un développement de vaccins plus efficaces.Les vaccins entraînent le corps à identifier et à attaquer le virus avant qu'il ne puisse infecter des cellules humaines saines.Un vaccin«classique»est essentiellement une préparation purifiée d'un ou plusieurs composants clés du virus -tels que l'enveloppe, la protéine spike(S), une autre protéine membranaire ou des protéines néosynthétisées après étude optimisée des éléments structuraux antigéniques -qui sont injectés dans le corps pour fournir au système immunitaire un «aperçu du virus»sans provoquer la maladie. Cet «aperçu du virus»indique au système immunitaire de rechercher et d'attaquer le virus contenant ces protéines spécifiques si le vrai virus apparaît un jour.Les équipes de recherche ont des stratégies vaccinales très diversifiées pour présenter des antigènes. À titre d’exemple, à l’Institut Pasteur de Paris (9), le vaccin atténué de la rougeole est utilisé comme vecteur (10) pour présenter des antigènes de SARS-CoV-2. D’autres équipes françaises de l’Inserm optent pour des vecteurs de présentation différents tels que le vaccin contre la coqueluche, des anticorps monoclonaux ou même des gouttelettes lipidiques de la taille d’un virus porteuses de l’antigène (11). La réponse à une vaccination est variable selon l’efficacité du vaccin et les capacités de réponse immunitaire des sujets. L’âge a plutôt tendance à diminuer les capacités de la réponse vaccinale.

On voit poindre des technologies vaccinales émergentes qui n’utilisent pas directement des protéines virales comme antigènes.Cette nouvelle génération de vaccins est regroupée sous le terme de vaccins à ARNm. Ainsi, plutôt que de produire un vaccin de nature protéique, les scientifiques de la firme américaine Moderna, en pointe sur le sujet,donnent aux patients l’ARNm (le vaccin) qui permet au corps de l’individu de fabriquer lui-même les protéines du vaccin.Un article récemment publié dans le New England Journal of Medicine rapporte les premiers résultats de Phase I obtenus avec ce type de vaccin. L’étude de faible ampleur a été réalisée sur 45 patients jeunes et non obèses. Le vaccin baptisé mRNA-1273 a été plutôt bien toléré. Des 3 doses testées, la dose de 100 μg produit les meilleurs résultats sur le taux d'anticorps neutralisants et la réponseimmunitaireTh1 LTCD4 (12). Aucun effet secondaire grave nécessitant l'arrêt du développement n'a été rapporté sur l’ensemble des sujets. Le suivi des patients de l'étude rapportée n’est que de 57 jours. Les patients seront suivis pendant un an pour attester de la persistance d'une immunité cellulaire.Ne nous emballons pas, pour le moment, ces résultats très préliminaires doivent passer les épreuves cliniques des phases II et III avec des panels de patients diversifiés et bien plus nombreux.Selon les déclarations de Moderna, le vaccin mRNA-1273 va passer sous peu en phase III à la dose de 100 μg.Selon le docteur Anthony Fauci, directeur de l'Institut gérant l'essai clinique, on ne devrait pas savoir avant la fin de l'année au plus tôt si le vaccin Moderna/NIHest sûr et efficace, mais Donald Trump a dit espérer des résultats avant la présidentielle du 3 novembre (13).

Les principaux acteurs, la position des États.

Un panorama géopolitique mais non exhaustif des principaux laboratoires ayant des projets vaccinaux a été publié dans Le Monde (14). Cent cinquante projets vaccinaux sont encore en phase préclinique et reposent sur des travaux cellulaires «in vitro» ou sur l’utilisation de modèles animaux (rongeurs et primates essentiellement). Dix-neuf consortiums (associant des Instituts de Recherche académiques et de puissants géants pharmaceutiques, investisseurs privés et start-up subventionnées) déclarent avoir débuté leurs essais cliniques.

Face à une telle déferlante, des États se mettent déjà à passer des commandes colossales pour des millions de doses d’un vaccin encore hypothétique (15).Il faut reconnaître que les gesticulations et effets d’annonces (plus ou moins pipées)des laboratoires ne manquent pas afin de solliciter les chalands en quête de vaccin et drainer à l’occasion des financements considérables. Cet emballement repose sur la vision, peut-être un peu sommaire,que les premiers servis pourraient prendre une longueur d’avance au plan économique sur la concurrence. Les divers États se livrent à un calcul bénéfice risque face à l’ampleur de la crise sanitaire et l’incertitude totale sur sa durée. Acheter de l’espoir!

Remarquons que les attitudes diffèrent notablement selon les cultures et les conflits larvés existant entre les États. Les Américains ont choisi de faire cavalier seul. La«task force»proche du Président Trump (Operation Warp Speed»)a retenu cinq projets déclarés prioritaires, qui recevront des milliards de dollars de soutien: quatre Américains –Moderna, Johnson & Johnson, Merck, Pfizer –et l’anglo-suédois Astra Zenecaavec qui l’administration a également passé un accord garantissant la fourniture du vaccin. Dès que la firme AstraZeneca a promis de vendre son vaccin développé par l’université d’Oxford « à prix coûtant», c’est-à-dire environ 2 dollars la dose,les États-Unis ont immédiatement commandé (dès le mois de mai2020)400millions de doses pour un montant de1,2milliard de dollars.On ne peut que constater que les États-Unis sont, de très loin les plus pitoyables humanistes au niveau planétaire et veulent réserver égoïstement les premières doses aux citoyens américains. Peu brillants au niveau des bilans en pertes humaines provoquées parla COVID-19, ils mènent une politique agressive, nationaliste et largement protectionniste en phase avec la vision de l’Amérique selon Donald Trump («America first»). La hantise des États-Unis est de devoir dépendre de vaccins élaborés dans d’autres pays, Chine en particulier.Anthony Fauci, le directeur de l’Institut Américain des Maladies Infectieuses, qui a eu à subir les vexations à répétition et les rodomontades de D. Trump,a récemment émis des doutes et incité à la prudence sur les vaccins actuellement développés en Chine et en Russie (16).

Le bras de fer actuel auquel se livrent Xi Jinping et Donald Trump intensifie très probablement et de façon malsaine les enjeux planétaires autour du vaccin. La Chine, avec cinq projets de tests chez l’homme en phase 2 et des publications scientifiques visant à mieux définir la qualité des vaccins (17),tient la corde dans la course au développement d’un vaccin contre la COVID-19. Problème, la Chine, du fait de son efficacité dans la réduction de la diffusion de la COVID-19, manque de cobayes. Le déclin de l’épidémie complique la tâche et la Chine doit se tourner vers d’autres pays touchés par l’épidémie (des accords ont été noués avec le Brésil et le Canada). Le Brésil et son épidémie galopante devraient accueillir les premiers essais de phase III du chinois Sinovac. Le laboratoire chinois Sinovac Biotech fait partie des plus avancés dans la course aux vaccins contre le SARS-CoV-2.Avec quatre vaccins en phase préclinique, l’Inde est elle aussi rentrée de plain-pied dans la course au vaccin. Deux vaccins (Covaxin et ZyCov-D), respectivement développés par les entreprises pharmaceutiques indiennes Bharat Biotech et Zydus Cadila sont actuellement testés sur les humains.La Russie ne tient pas à rester à la traîne et envisage une production industrielle de deux vaccins contre le coronavirus, respectivement en septembre et en octobre2020.Les informations sont assez sommaires: tous les volontaires ayant participé aux tests du vaccin russe contre laCOVID-19 auraient développé une immunité.Le vaccin serait un produit efficace et donnerait une immunité durable selon Poutine!Aucune indication sur les essais cliniques de phase III.

Aux antipodes de la position chauvine américaine, notons la déclaration du Secrétaire Général des Nations Unies qui a déclaré en juin: «Un vaccin contre la COVID-19 doit être vu comme un bien public mondial, un vaccin pour les peuples». Le président Xi Jinping a assuré en mai dernier que les vaccins qui seront développés en Chine seraient considérés comme «un bien public mondial». Le directeur du Serum Institute of India, a déclaré qu’en cas de découverte d’un vaccin, il ne souhaite pas déposer de demande de brevet.Les entreprises indiennes insistent sur leur volonté de produire des vaccins accessibles aux plus démunis de la planète. De son côté, l’Europe semble se cantonner sur une position plus universaliste sans conditionner la destination des premières doses de vaccin(comme les Américains) mais en tentant de privilégier la recherche. Notons qu’elle pense tout de même à réserver des prédoses en établissant des partenariats avec les laboratoires le plus en pointe.La Commission européenne a organisé avec succès un «marathon d’engagements», le 4mai, en faisant appel à des donateurs étatiques ou privés qui ont annoncé des contributions de près de 10milliards d’euros.Au vu du niveau d’expertise de plusieurs Instituts académiques et des possibilités de partenariats avec des industriels européens, il serait judicieux de mettre en commun les ressources et les capacités de recherche des laboratoires européens en pointe dans la recherche d’un vaccin efficace validé. Des fonds d’une ONG internationale, lancée en 2017 au Forum de Davos, la CEPI (Coalition pour l’innovation en matière de préparation aux épidémies)devraient pouvoir soutenir les centres de recherche européens. La CEPI a pour mission d’aider au développement de vaccins contre plusieurs virus: MERS-CoV, Nipah, Ebola, Marburg, Zika et le virus de la fièvre de Lassa.

La prudence devrait être de mise.

Il va être essentiel de s’assurer que la course de vitesse engagée ne va pas sombrer dans une précipitation malsaine susceptible de déboucher sur des vaccins de mauvaise qualité. Le directeur scientifique de l’Institut Pasteur insiste sur un point essentiel: «L’urgence ne doit surtout pas nous faire jouer aux apprentis sorciers». La lecture des publications anglaises rapportant des résultats doit être prudente car deux termes sont utilisés pour préciser l’efficacité d’un vaccin. L'efficacité (efficacy) d’un vaccin est définie lorsqu'une étude est menée dans des conditions idéales, par exemple lors d'un essai clinique. L'efficacité (effectiveness) du vaccin est utilisée lorsqu'une étude est menée dans des conditions de terrain typiques (c'est-à-dire moins bien contrôlées).

Un débat développé dans un article récent, parcourt toute la communauté vaccinale et pose le dilemme de la mise en place d’une gouvernance vaccinale pour limiter des dérives. Le lecteur pourra y trouver de nombreux arguments et percevoir toute la complexité des questionnements éthiques. Face à la profusion de projets de vaccins contre SARS-CoV-2 qui arrivent en phase de tests chez l’homme, quelles devraient être les mesures les plus efficaces à mettre en place ? On pourrait penser qu’un conseil de surveillance de la sécurité des données d'un essai clinique (DSMB) pourrait être le premier à percevoir qu'un vaccin candidat est plus prometteur qu'un autre candidat. En effet, ces vaccins pourraient faire partie d’un seul essai, avec un seul DSMB, conformément à la proposition du groupe de recherche et développement (R&D) de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour un grand essai de plate-forme internationale de candidats vaccins contre le SARS-CoV-2 (18).Au stade actuel des travaux, personne ne sait encore quel vaccin, le cas échéant, serait le plus efficace, ou fonctionnera correctement.Les essais cliniques sont engagés dans un certain désordre.

Les chercheurs impliqués dans la recherche d’un vaccin, quoique confrontés à des problèmes éthiques complexes régissant la réalisation des essais cliniques,sont en cours de réalisation des premiers essais. Les laboratoires chinois (CanSino& Sinopharm), américains (Modernaet Novavax)et anglais (Astra Zeneca) ont rapporté des essais de phaseset annoncé leur engagement dans des Phases III. Une étude entreprise par Moderna recrutera jusqu'à 30000 participants, provenant de 89 sites à travers les États-Unis. La moitié des sujets recevra deux injections du vaccin à 28 jours d'intervalle, tandis que l'autre moitié recevra deux injections d'un placebo.Il s’agit d’une étude en double aveugle (ni les participants ni le personnel médical manipulant les injections ne sauront qui reçoit le vaccin et qui reçoit le placebo). Les chercheurs souhaitent voir non seulement dans quelle mesure le vaccin prévient l'infection, mais aussi s'il peut limiter la gravité de la maladie lorsque des infections surviennent encore.Il subsiste encore beaucoup de choses que nous ignorons sur le fonctionnement de l'immunité contre la COVID-19 et sa durée -et la réponse à ces questions indiquera si nous pouvons compter sur un vaccin pour mettre fin à la pandémie. L'essai de phase III sera essentiel pour faire la lumière sur ces questions.Moderna a déclaré que si le vaccin s'avérait efficace, il serait capable de délivrer entre 500millions de doses par an, et peut-être même jusqu'à un milliard à partir de 2021.

Selon le suivi des vaccins du New York Times, quatre autres vaccins sont en cours d'essais de phase III-l'un dirigé par des chercheurs de l'Université d'Oxford et d'AstraZeneca (qui teste des personnes de plusieurs pays dans le plus grand essai au monde), et trois des groupes chinois. Le Brésil devrait accueillir les premiers essais de phase III du chinois Sinovac.Pfizer et une société allemande appelée BioNTech travaillent également sur un vaccin à ARNm qui devrait démarrer un essai de phase III d'ici la fin du mois de juillet.La Russie, très affectée par la COVID-19 s’est manifestée récemment et envisage une production industrielle de deux vaccins contre le coronavirus, respectivement en septembre et en octobre2020, a annoncé, le 11août, la vice-Première ministre russe, Tatiana Golikova. Deux vaccins conçus par des chercheurs russes «sont aujourd'hui les plus prometteurs», a-t-elle déclaré au cours d'une réunion par visioconférence consacrée à la pandémie de Covid-19 avec le président Vladimir Poutine.Elle a tout de même remarqué que «le lancement de sa production industrielle est envisagé pour septembre2020», après une certification et des essais cliniques supplémentaires sur 1600 personnes(une phase III allégée!)...Attention à la précipitation!De son côté, le Président V. Poutine a affirmé qu’il y avait actuellement «beaucoup plus» de vaccins russes en cours de mise au point. Il a tout de même souligné que «la certitude de leur efficacité devait être «absolue» avant de procéder aux vaccinations».

Face à l’urgence et à la farouche compétition, certains laboratoires comme l’américain Johnson & Johnson songent aussi à réaliser des travaux en Amérique du Sud ou envisagent même une mise sur le marché d’un vaccin sur la base de résultats obtenus sur l’animal. Le recours à ce qui est décrit comme l’«animal rule» semble être accepté aux États-Unis. Enfin, d’autres laboratoires envisagent de tester l’efficacité des vaccins en injectant le virus à des sujets vaccinés. Le recours à des volontaires sains vaccinés, infectés parle virus afin d’évaluer le niveau de production d’anticorps dirigés contre le virus et l’évolution de la virémie et/ou de la maladie. C’est une approche risquée qui n’a droit à aucune erreur.

Parallèlement à ces essais cliniques, les industriels et les États se livrent déjà au recensement des capacités de production du vaccin afin d’éviter une foire d’empoigne pour les premières doses efficaces du vaccin et établissent déjà des accords de partenariat. Pour le moment, les laboratoires font des promesses et les États achètent de l’espoir pour leurs citoyens. L’Inde a des capacités de production de vaccins très importantes. La mondialisation est à ses sommets dans le domaine. L’entreprise indienne Serum Institute of India devrait produire le vaccin de la firme anglo-suédoise AstraZeneca, déjà bien engagée dans la phase III des essais cliniques et dont le lancement est prévu dans 6mois.En fait, notons que la R&D indienne s’est historiquement distinguée par d’importantes capacités à réduire le coût des médicaments. Jusqu’en 2005, le brevet pharmaceutique était axé sur les processus de fabrication et non sur les produits. Astucieusement, les entreprises indiennes se sont immiscées dans la faille et ont révolutionné l’art de copier les médicaments brevetés en en modifiant simplement les processus de fabrication.Aujourd’hui les entreprises indiennes sont capables de réaliser des productions massives de médicaments à des coûts de fabrication en moyenne 50% inférieurs à ceux des pays à plus haut revenu.L’Inde est très bien placée pour la fabrication du vaccin tant attendu. Il faut savoir que l’Inde répond déjà à 65% des besoins de l’OMS pour divers vaccins contre la diphtérie, la coqueluche, le tétanos et la tuberculose, et 90% des vaccins contre la rougeole.D’après les dernières données de l’Organisation des Nations unies (Comtrade),en 2019, les entreprises indiennes seront appelées à jouer un rôle probablement crucial dans la vaccination des pays du Sudcar, seul un quart des produits pharmaceutiques indiens sont vendus dans les pays à haut revenu.L’Inde a un problème de crédibilité à résoudre afin de limiter les doutes qui subsistent sur la capacité de ses firmes à produire des vaccins de qualité. Cette mauvaise réputation est-elle justifiée ou instrumentalisée et due à la guerre économique imposée par les multinationales du médicament?On doit savoir que l’Inde, en 2019,ne comptait pas moins de 2006unités de production, toutes certifiées par l’OMS. L’Inde accueille également le plus grand nombre d’unités approuvées par la Food and Drug Administration (FDA) américaine en dehors des États-Unis.Il est vrai que les entreprises pharmaceutiques indiennes reçoivent régulièrement des lettres d’avertissement de la part de la FDA (16 en 2019), elles ne sont pas les seules. Les entreprises chinoises en reçoivent moins(12), mais Inde et Chine sont beaucoup moins concernées par des avertissements de la FDA que les entreprises américaines (38). La situation devrait se pacifier. Retenons que les grandes multinationales du médicament, les fameuses «Big Pharma», issues des pays à hauts revenus, ont été à l’origine de nombreux scandales sanitaires au cours de ces dernières années et doivent éviter de donner des leçons. Fait à noter et en totale opposition avec la politique américaine, selon le directeur du directeur du Serum Institute of India, les entreprises indiennes insistent sur leur volonté de produire pour les plus démunis et affirment en outre ne pas souhaiter déposer une demande de brevet dans le cas où ils déboucheraient sur un vaccin. Ces logiques d’action des firmes indiennes diffèrent notablement de leurs homologues européennes ou américaines.

Un des effets pervers de l’ambiance mercantile actuelle en vaccinologie débouche sur une possibilité d’incitations à accélérer la recherche par des voies non orthodoxes:l'auto-expérimentation devient tentante. En effet, ce qui semble être la première initiative de vaccin issu de la «science citoyenne»(i.e.production de vaccins dits : «do it yourself») a été proposé par Preston Estep et au moins 20 autres chercheurs, technologues ou passionnés de science, dont beaucoup sont liés à l'Université de Harvard et au MIT.Début Juillet 2020, la société RaDVaC (Rapid Deployment Vaccine Collaborative) a déposé un article détaillant les procédures utiliséespour préparer le vaccin et accessibles à tous.Les chercheurs et des sujets mobilisés en dehors de toute procédure éthique, se sont portés volontaires pour se transformer en «rats de laboratoire»pour une inoculation nasale à faire soi-même de ce vaccin contre le coronavirus. Ils clament que c'est leur seule chance de devenir immunisés sans attendre un an ou plus pour qu'un vaccin soit officiellement approuvé.La Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis exige une autorisation pour tester de nouveaux médicaments et vaccins et l’approbation d’un nouveau médicament expérimental. Curieusement le groupe RaDVaC n’a pas demandé l’autorisation de l’agence et n’a pas non plus demandé à un comité d’éthique de signer ses protocoles de traitement! Cette démarche du vaccin «do it yourself» et ses conséquences sociétales a été récemment très critiquée dans un éditorial du journal Science par des chercheurs de départements d’éthique médicale (19). En Chine, il y aurait eu des rapports de divers scientifiques chinois ayant déclaré utiliser leurs propres vaccins artisanaux contre la COVID-19 !

Tous les discours promotionnels des industriels oublient souvent de mentionner que les vaccins peuvent offrir des niveaux de protection très variables voire paradoxaux.Ainsi, certains vaccins induisent la production d’anticorps qui peuvent conduire à l’aggravation de la maladie en augmentant l’infectiosité. Le phénomène désigné parle terme anglais ADE (antibody-dependent enhancement)qui peut se traduire en français par «renforcement immunitaire». Un deuxième problème potentiel posé par certains vaccins est une réaction allergique qui provoque une inflammation des poumons, comme cela a été observé chez les personnes ayant reçu un vaccin contre le virus respiratoire syncytial (VRS) dans les années 1960. Cette réaction est dangereuse car l'inflammation des espaces aériens pulmonaires peut rendre la respiration très difficile. Cependant, les chercheurs ont maintenant appris à concevoir des vaccins pour éviter ou limiter cette réponse allergique. Alors qu'ils se précipitent pour concevoir un vaccin, les chercheurs doivent s’assurer que les nouveaux vaccins ne stimuleront pas cette réaction contre-productive, voire dangereuse, du système immunitaire.Depuis les années 1960, les tests de vaccins candidats pour des maladies infectieuses telles que la dengue, les troubles respiratoires provoqués parle virus respiratoire syncitial (VRS) et le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS)provoqué par SARS-CoV-1) ont révélé l’existence de ce phénomène paradoxal: certains animaux ou des personnes exposés au virus après avoir reçu le vaccin ont développé une maladie plus grave que ceux qui n'avaient pas été vaccinés20. Dans certains cas, la réponse immunitaire amorcée par l’administration du vaccin semble donc lancer une réponse de mauvaise qualité à l'infection.Le phénomène se produit lorsque les complexes immuns virus anticorps interagissent avec cellules porteuses de récepteurs Fc (21), favorisant de ce fait l'internalisation du virus et la gravité de l'infection. Souvent associé à une exacerbation de la maladie virale, l'ADE présente un obstacle majeur à la prévention des maladies virales par la vaccination et serait en partie responsable des effets indésirables de certains nouveaux médicaments antiviraux tels que les immunoglobulines intraveineuses. Pour le moment, on ignore si ce type de phénomène est susceptible de se produire lors de la préparation d’un vaccin contre SARS-CoV-2; l’expérience devrait apporter des réponses rapides.Les causes de ce double rôle de certains anticorps, protecteurs contre le virus et facilitateurs de l’infection de macrophages ou autres cellules présentant des récepteurs Fc𝛾doivent être mieux comprises.Un nouveau mécanisme a été récemment proposé pour expliquer l’ADE :un anticorps neutralisant qui se lie à la protéine «spike» de surface des coronavirus, déclenche un changement conformationnel de cette protéine. Cette modification va faciliter l'entrée du virus dans les cellules exprimant le récepteur Fc en utilisant les voies dépendant des récepteurs viraux (22).

Un des effets pervers de la pandémie de COVID-19 a été la suppression de nombreuses campagnes de vaccinations dans les pays où sévissent la plupart des maladies pour lesquelles les jeunes Français sont vaccinés (diphtérie, tétanos, coqueluche, rougeole, rubéole, poliomyélite...etc.). Selon l’OMS, 30 campagnes de vaccination contre la rougeole pourraient être annulées. Les déficits de vaccinations pourraient entraîner plus de décès que la COVID-19 selon le directeur de l’OMS. En ce qui concerne la pratique des essais cliniques, il est heureux que d’anciennes pratiques des pays riches ayant des recours abusifs aux populations des pays pauvres aient largement disparu (23). Ces essais sont menés un peu partout dans le monde (y compris les pays développés). Un seul est réalisé sur le continent africain actuellement (Afrique du Sud).

En supposant qu’un projet vaccinal efficace aboutisse dès l’année prochaine et que les questions de production et de distribution et de protocoles cliniques autour du vaccin soient résolues, les États vont être confrontés à un problème important qui est l’acceptation de la vaccination face aux délires complotistes des groupes antivaccins qui ont largement pignon sur rue dans la presse populaire et sur les réseaux sociaux et dont les discours sont repris par certains leaders politiques. Ces vieilles craintes ressassées à l’infini font oublier que toutes maladies confondues, l’ONU estime que la vaccination évite de 2 à 3millions de morts chaque année sur la planète. L’absence de vaccination est une maladie mortelle et représente la principale menace sur la santé humaine. Force est de constater qu’en France, le combat de Pasteur est oublié par une proportion importante de nos citoyens. La population française est-elle prête à accepter un vaccin bien validé contre le SARS-CoV-2? Une enquête réalisée fin mars sur un échantillon de 1012 adultes représentatifs de la population a tenté de répondre à cette question (24). Le bilan est inquiétant, 26%des Français refuseraient ce vaccin : « Cetteproportion monte à 37% parmi les classes sociales défavorisées, elles-mêmes plus exposées aux maladies infectieuses que le reste de la population». Cette population qui est la moins apte à comprendre les discoursscientifiquementrecevableset la plus perméable aux déclarations sommaires d’incompétents, experts improvisés,et aux discours complotisteset simplistes. L’enquête révèleaussi un clivage en fonction des lignes politiques (25). Des sondages réalisés dans de nombreux pays révèlent également des pourcentages élevés de défiance à l’égard des vaccins (près de 50%des sondés aux États-Unis et au Royaume-Uni). Ce scepticisme généralisé à l’égard d’un vaccin pour la COVID-19 a diverses origines qui vont de questionnements sur la véracité des déclarations d’innocuité faites par des gouvernants souvent contestés aux doutes sur l’indépendance desagencessanitaires vis-à-vis de pressions venant des politiques ou des industriels.Les conflits d’intérêts financiers de la part des producteurs de vaccins ne sont également pas propices à la sérénité d’une réflexion critique. Il faut rappeler que des essais cliniques soigneusement contrôléspar desexperts indépendants sontle seul moyen de cimenterla confiance.En France, l’état mental des citoyens manipulés par les lobbysantivaccinsdoit inciter les autorités publiques à rechercher l’adhésion d’un maximum de personnesen s’appuyant sur des données scientifiques validéeset d’éviter de sombrer dans des débats stériles qui ont entaché la campagne de vaccination de 2009 contre le virus grippal H1N1en France. Faire encore baisser l’adhésion de la société française à la vaccination auraitpour conséquences dramatiques d’introduire des perturbations dans la diffusion de la COVID-19, de maintenir plus durablement des foyers erratiques du virus et de différer le renforcement de l’immunité collective. La découverte des vaccinsa étéla plus grande réalisation de santé publiquedu XXesiècle, et leur utilisation doit continuer dans ceXXIesièclequi se caractérise par l’émergence régulière de nouvelles pandémies redoutablesque laplanète va devoir affronter.

En guise de conclusion sur un sujet en évolution constante gardons en mémoire quelques rappels essentielsdu physicien, professeur de physique,Alan SOKAL développés dans un ouvrage, salutaire en ces temps de complotisme et «fake news»: Pseudosciences & Postmodernisme(Éditions Odile Jacob, 2005).Le savoir scientifique est évolutif, la vérité scientifique d’aujourd’hui ne sera pas nécessairement celle de demain.

La «science» se caractérise avant toute chose par l’esprit critique, à savoirl’engagement à soumettre ses assertions à la discussion publique, à en tester systématiquement la validité par l’observation ou l’expérience, et à réviser ou abandonner les théories qui ne résistent pas à cet examen ou à ces tests. Les savoirs les mieux établis sont, en général étayés par un réseau de preuves issues d’un grand nombre de sources indépendantes. Ils ne reposent jamais sur une seule expérience cruciale ou sur une observation isolée. L’ensemble de notre savoir empirique est provisoire, incomplet et susceptible d’être révisé à la lumière de nouvelles preuves et de nouveaux arguments.Dans le même ordre d’idées, afin de distinguer la science des pseudo-sciences, l’épistémologue Karl POPPER affirme qu’une théorie est vraiment scientifique quand elle peut être falsifiée, c’est-à-dire réfutée par une expérience. A l’inverse, les pseudosciences ne se laissent jamais perturber par un fait et ont réponse à tout.

LAFONTAN Max
Directeur de recherches émérite Inserm
Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse
(version du 12août 2020, actualisée le 29août).


(1) Rappelons que les phases cliniques (avec des tests sur l’homme) comportent 3 phases bien distinctes. Phase I: des tests sur 10 à 100 personnes qui permettent de s’assurer de la production d’une réaction immunitaire et de définir le dosage optimal du candidat vaccin à administrer. Phase II: test sur un échantillon plus conséquent de 100 à 1000 sujets(pas suffisant). Phase III: réalisée sur 1000 à 10000 volontaires très différents (sexe, âge, traitements divers, pathologies annexes...etc.)au moins pour confirmer l’efficacité du vaccin candidat, rechercher les effets secondaires éventuels et préciser son champ d’utilisation sur les populations.

(2) Dernières communications strictement politiques de Poutine ou de Trump du 11 août 2020.

(3) « Stratégies médicales variées pour réduire ou stopper la progression de la maladie COVID-19 ?» publié le 28 avril: https://www.academie-sciences-...

(4) Callaway E.The race for coronavirus vaccines: a graphical guide-Eightways in which scientists hope to provide immunity to SARS-CoV-2, Nature (April 28, 2020).https://www.nature.com/article...

(5) Un anticorps monoclonal ne cible qu’une seule partie d’un antigène complexe.

(6) L'immunitécellulaire implique l'activation des cellules Tqui sont plusieurs catégories de leucocytes(globules blancs). Le lettre«T» est l'abréviation de thymus, l'organe dans lequel leur développement s'achève.On parle de cellules TCD4+et TCD8+en faisant référence aux antigènes caractéristiques localisés à la surface des différents sous-types de lymphocytes T. Les lymphocytes T cytotoxiques(TCD8 ou T killer) détruisent les cellules infectées. Ces cellules sont dites cytotoxiques car elles sont à elles-mêmes capables de détruire des cellules cibles qui présentent des antigènes spécifiques.Il existe plusieurs types de cellules T, chaque type exerçant des fonctions spécifiques.

(7) Leslymphocytes T auxiliaires(TCD4+ ou T helper) sont des intermédiaires de la réponse immunitaire qui vont proliférer pour activer d'autres types de cellules qui agiront de manière plus directe sur la réponse (ils régulent ou facilitent d'autres fonctions lymphocytaires. Ils sont appelés CD4+car ils expriment la glycoprotéine CD4 à leur surface. On sait qu'ils sont la cible de l'infection au VIH, qui entraîne la chute de leur population.

(8) Un épitope est la pièce spécifique de l'antigène auquel se lie un des anticorps. Le terme épitope (également défini par le terme de déterminant antigénique) est la partie d'un antigène qui est reconnu par le système immunitaire, en particulier par des anticorps, des lymphocytes B ou des lymphocytes T.

(9) Travaux coordonnés par Frédéric Tanguy.

(10) Virus inactivé qui va recevoir le gène médicament

(11) Voir le «Dossier spécial COVID-19-L’Inserm sur tous les fronts» publié dans le Magazine de l’Inserm de juillet 2020

(12) Parmi les lymphocytes T(ils en existent plusieurs types), les cellules T auxiliaires (qui peuvent être différenciées en différents sous-types tels que Th1, Th2) sont également appelées CD4+car elles expriment la glycoprotéine CD4 à leur surface et s'activent lorsque les antigènes peptidiques sont présentés par des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe II. Lors de l'activation, les cellules T auxiliaires se multiplient rapidement et sécrètent des cytokines et des facteurs de croissance qui assistent et régulent les autres cellules immunitaires.

(13) Le gouvernement Trump en est à au moins 10,9 milliards de dollars dépensés dans le développement et la production de vaccins. Il avait précédemment acheté 100 millions de doses à chacune des sociétés suivantes: Johnson & Johnson, Novavax, Pfizer et Sanofi, et 300 millions de doses à AstraZeneca, soit un total de 800 millions de doses à ce jour.Donald Trump a déclaré lors d'une conférence de presse à la Maison Blanchele 11 août 2020 (pour contrer celle de Poutine) : "Ce soir je suis heureux d'annoncer que nous avons conclu un accord avec Moderna pour la fabrication et la livraison de 100 millions de doses de leur vaccin candidat contre le coronavirus. Le gouvernement fédéral sera propriétaire de ces doses de vaccins, nous les achetons", a déclaré Donald Trump lors d'une conférence de presse à la Maison Blanche.

(14) Le Monde jeudi 25 juin 2020

(15) 400 millions de doses d’un vaccin, aux effets encore hypothétiques, sont garanties pas Astra Zeneca pour l’Union européenne. Un potentiel de 60 millions de doses est garanti par les firmes GSK et Sanofi au Royaume-Uni. Le firme Pfizer garantit de 100 à 600 millions de doses pour les Etats-Unis !

(16) Mentionnons le scoop de Poutine du 11 août 2020 qui annonce la disponibilité d’un vaccin élaboré par les chercheurs russes...le vaccin, nommé symboliquement Spoutnik, aurait passé avec succès tous les cribles de sécurité(en phase I, peut-être II) ...Poutine nous assène un sérieux argument: même sa fille a été vaccinée avec succès! (Un argument de choc!). Au niveau international l’emballement est moins spectaculaire. L’OMS pense qu’il est urgent d’attendre plus de détails cliniques. Attendons les détails des essais de phase III qui n’ont pas été faits pour le moment avec Spoutnik semble-t-il. Il parait sage de ne pas se limiter aux gesticulations chauvines d’un politique... La Russie va-t-elle vacciner après une phase I ou II pour tenter de gagner la course au vaccin? Ça serait prendre de gros risques!

(17) Zhu F.C. et al.Safety, tolerability, and immunogenicity of a recombinant adenovirus type-5 vectored COVID-19 vaccine: a dose-escalation, open-label, non-randomized, first-in-human trial. The LancetPublished OnlineMay 22, 2020.

(18) WHO R&D Blueprint, An international randomizedtrial of candidate vaccines against COVID-19-Outline of solidarity vaccine trial(draft) (WHO, Geneva, 2020).

(19) Arthur L. Caplanand Alison Bateman-House. The danger of DIY vaccines.Science (28 Aug 2020):Vol. 369, Issue 6507, pp. 1035 DOI: 10.1126/science.abe4440

(20) S. M. Tirado, K. J. Yoon, Antibody-dependent enhancement of virus infection and disease. Viral Immunol.16, 69–86 (2003) & Peeples L.Avoiding pitfalls in the pursuit of a COVID-19 vaccine. PNAS, 2020, 117(15): 8218-8221.

(21) Lesrécepteurs Fc (Fc en particulier) appartiennent à la superfamille des immunoglobulines. Le récepteur est une protéine transmembranaire présente à la surface de certaines cellules incluant les lymphocytes B, les cellules dendritiques, les lymphocytes NK, les macrophages, les neutrophiles, les éosinophiles, les basophiles, les thrombocytes et les mastocytes. Toutes ces cellules interviennent à divers niveaux pour assumer les fonctions protectrices dusystème immunitaire.

(22) Wan Y. et al.Molecular Mechanism for Antibody-Dependent Enhancement of Coronavirus Entry. J Virol.2020 Feb 14 ;94(5) : e02015-19.

(23) Utilisation de patients de pays en cours de développement, africains en particulier, comme terrain d’essai pour un vaccin ou des essais de médicaments.

(24) Enquête coordonnée par le sociologue de l’Inserm Patrick Peretti-Watel–Equipe Vecteurs-Infections tropicales et méditerranéennes -Unité 257 de l’Inserm/IRD/IHU Méditerranée Infections/Université Aix-Marseille.

(25) On retrouve parmi les détracteurs de la vaccination desgens de l’extrême droite ainsi que des leaders du parti écologiste français EELVqui se reconnaitront et des intégristes religieux.

APPENDICE-1-Anticorps

Il est bien établi que le virus a besoin de sa protéine de pointe (spike protein)pour se fixerà des structures réceptrices de sa cellule hôteet entrer dans les cellules humaines dans lesquelles il va se reproduire(voir mes articles précédents insérés sur le site de l’Académie des Sciences Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse https://www.academie-sciences-...

De nombreux élémentsstructurauxde la protéine de pointe peuvent représenter des sites de liaison potentiels pour des anticorps. C’estune bonne nouvelle car avec autant de points de vulnérabilité(épitopes), il sera difficile pour le virus de muter pour contrecarrer l’élaborationd’un vaccin. Plusieurs parties de la protéine de pointe devraient muter pour échapper aux anticorps neutralisants. Les chercheurs ont déjà montré que des anticorps, fabriqués par le système immunitaire humain, peuvent se lier à la protéine de pointe, la neutralisent et empêchent le coronavirus d'infecter des cellulescibles. Petit rappel, un épitope est la piècespécifique de l'antigène auquel se lie un des anticorps. Le termeépitope (également défini par leterme de déterminant antigénique) est la partie d'unantigènequi est reconnu par lesystème immunitaire, en particulier par desanticorps, deslymphocytes Bou deslymphocytes T. Il a été bien démontré que des vaccins utilisés dans les essais cliniques entraînent la formation d’anticorps anti-spike qui bloquent l'infection virale lors de tests sur des cellules en laboratoire. Il restera à démontrer qu’ils sont bien opérationnels in vivo. Option optimiste, on peut penser que dans l’évolution virale, un excès de mutations de la protéine de pointe pourraitconduire à detellesmodifications de sa structure qu’ils la rendraient de ce fait incapable de se lier à ACE2, son récepteur, qui est la clé de l'infection des cellules humaines... De ce fait, le virus deviendrait inopérant !

Lorsqu'un anticorps en forme de Y (vert) se lie à des épitopes de la protéine de pointe (bleue et brune) du SARS-CoV-2, le coronavirusest neutralisé etdevient incapable d'infecter les cellules.

APPENDICE-2–Immunité cellulaire–Lymphocytes.

L'immunité cellulaire (ou immunité à médiation cellulaire), est l'immunité adaptativedans laquelle leslymphocytes Tcytotoxiquesjouent un rôle central. L'immunité cellulaire implique l'activation des cellules Tqui sont plusieurs catégories de leucocytes( globules blancs) (6 types différents). La lettre«T» est l'abréviation de thymus, l'organe dans lequel s’élabore et s’achève leur développement. On parle de cellules TCD4+et TCD8+en faisant référence aux antigènes caractéristiques localisés à la surface des différents sous-types de lymphocytes T.

Les lymphocytes T cytotoxiques (TCD8 ou T killer) détruisent les cellules infectées. Ces cellules sont dites cytotoxiques car elles sont à elles-mêmes capables de détruire des cellules cibles qui présentent des antigènes spécifiques.Il existe plusieurs types de cellules T,chaque type exerçant des fonctions spécifiques.

Les lymphocytes T auxiliaires(TCD4+ ou T helper) sont des intermédiaires de la réponse immunitaire qui vontproliférer pour activer d'autres types de cellules qui agiront de manière plus directe sur la réponse (ils régulent ou facilitent d'autres fonctions lymphocytaires. Ils sont appelés CD4+car ils exprimentla glycoprotéine CD4 à leur surface. On sait qu'ils sont la cible de l'infection auVIH, qui entraîne la chute de leur population.

Les lymphocytes T régulateurs (Treg) préviennent l'activation des lymphocytes auto-immuns (qui détruisent les cellules de leur propre organisme). Auparavant appelés «T suppresseurs», ils sont très importants pour le maintien de l'homéostasie immunitaire. Leur rôle principal est de réprimer l’activité des cellules de l’immunité (soit lors d’une réaction auto-immune, soit en fin de réaction immunitaire). Ils se distinguent facilement des autres lymphocytes T par les marqueurs à leur surface (CD4 et CD25 à leur état basal).

APPENDICE-3: Efficacité vaccinale

L'efficacité (efficacy) d’un vaccin est définie lorsqu'une étude est menée dans des conditions idéales, lors d'essais cliniques de phase III et qu’ils sont soigneusement contrôlés par des experts indépendants. Comme pour les vaccins de la grippe qui présentent une efficacité allant de 60% à 80% selon les souches virales et la réactivité des patients, on peut postuler que les vaccins préparés pour lutter contre la CODID-19 auront également une efficacité variable selon la nature des antigènes utilisés pour les créer et divers paramètres inhérents aux sujets traités (âge, sexe, caractéristiques ethniques, état fonctionnel de leursystème immunitaire, pathologies préexistantes...). Trouvera-t-on le vaccin idéal possédant une efficacité optimale et des actions protectrices prolongées? La lutte finale pour promouvoir le meilleur vaccin va être acharnée et des choix diversifiés vont vraisemblablement être offerts aux populations. Remarquons quedans l’urgence et bien que sans être idéal, un vaccin qui réduirait de 80% les hospitalisations mériteraitdéjà toute l’attention