Un nouvel art : comment le cinéma peut devenir interactif ?

Publié par Nikita Goncharenko, le 2 décembre 2018   2.1k

À l’instar de si populaires jeux vidéo, de plus en plus de formes de divertissement commencent à proposer une expérience interactive à leurs consommateurs – et le cinéma aussi. Les créateurs cherchent à impliquer des spectateurs dans l’histoire et dans l’action-même du film. Dans cet article, on va essayer de s’orienter dans le genre qui vient de naître à la croisée de la forme classique du cinéma et des technologies dernier cri : le cinéma interactif.

En novembre dernier, Steven Soderbergh, lauréat de la Palme d’or 1989, a sorti sa série interactive appelée « Mosaic ». Au lieu d’enchaîner des épisodes comme d'habitude, les utilisateurs de l'application gratuite pour iOS et Android ont été invités à déterminer eux-mêmes la marche à suivre. En choisissant des scénarios différents, le spectateur peut observer le déroulement de l'action de la part de l'un ou l'autre personnage, et le choix lui-même influence les événements et leur interprétation. À la fin de la série, on est amené à choisir l’une des deux options prévues pour la finale. En janvier, Mosaic est sorti sur la chaîne HBO sous la forme d’une série traditionnelle à six épisodes - mais ce n’était plus aussi intéressant. C’était certainement la version interactive qui a été la plus discutée.


Il ne faut pas chercher longtemps pour comprendre la raison de la popularité croissante du cinéma interactif. Le monde, lui aussi, devient plus interactif de l’année à l’année. À la fin de 2017, Forbes a publié les statistiques montrant une croissance extensive de l’industrie de l’Internet des objets connectés. D’après cette information, elle a augmenté par deux fois par rapport à 2016. Des jeux mobiles basés sur la réalité augmentée, tels que le fameux Pokémon Go sorti il y a quelques années, occupent une place importante dans le marché des produits de jeux. Il est tout à fait logique qu'avec la croissance de l'interactivité des communications avec les technologies, la demande pour de l’art interactif augmente également.

« Mosaic » semble être l’exemple le plus connu à ce jour de ce nouveau type du cinéma interactif tourné par un réalisateur du métier avec de vrais acteurs qui interprètent l’histoire devant des caméras. Pourtant, des films nécessitant l’intervention du spectateur pour faire avancer la trame existent depuis un moment (« Kinoautomat », 1967, qui est l’un des premiers films de ce genre à être projeté au public), et l’industrie des jeux vidéo a déjà produit quelques réalisations marquantes qui appartiennent plutôt à l’univers du cinéma qu’à celui des jeux « classiques » qu’on va vous citer ici.

Heavy Rain, 2010

Capture d'écran du jeu vidéo "Heavy Rain", Sony Computer Entertainment, 2010

Après avoir un succès modéré avec « Fahrenheit » en 2005, le studio français Quantic Dream aurait donné un nouvel élan à l’art des films interactifs avec « Heavy Rain ». À son cœur, une histoire d'un enfant kidnappé par un criminel inconnu que les joueurs sont invités à retrouver à l'aide de plusieurs protagonistes. Les joueurs devaient effectuer certaines actions, qui étaient basées sur un choix moral, et l'action se développait selon ce choix. Certains personnages pourraient mourir, par la volonté du joueur ou par négligence, et dans ce cas, l'intrigue de « Heavy Rain » changeait considérablement. Le jeu s’est avéré être incroyablement populaire : au cours du premier mois suivant la sortie, 1,5 millions de copies de « Heavy Rain » ont été vendues.

Life Is Strange, 2015

Capture d'écran du jeu "Life is Strange", Square Enix, 2015 par M2 Gaming Canada

Encore un jeu vidéo à succès important dans ce genre qui est pour autant très différent de « Heavy Rain ». « Life Is Strange » est beaucoup plus linéaire au niveau narratif et beaucoup plus profond au niveau dramatique. Peut-être cette profondeur d'action s'explique par les capacités du personnage principal de ce jeu de science-fiction pour ados. Dans « Life Is Strange », les joueurs jouent le rôle d’une lycéenne Maxine Caulfield, qui est capable de prédire les catastrophes et les accidents – et, si nécessaire, de remonter le temps et de conjurer des malheurs.

Late Shift, 2016

Capture d'écran du jeu-film "Late Shift", CtrlMovie, 2016 par France Inter

Le cinéaste suisse Tobias Weber a conçu « Late Shift » à la fois en format de jeu vidéo et en format de film qu’on peut voir dans les salles du cinéma. Dans le second cas, il a été demandé aux spectateurs d’agir sur l’histoire par le biais d’une application sur leurs smartphones. « Late Shift », sorti en 2016, était loin d’être le jeu le plus vendu de l’année, et sa version cinéma a été jugée trop difficile à suivre du point de vue technique. Néanmoins, Weber a pu réussir, comme Soderbergh, à créer une expérience interactive dans le cadre du cinéma avec de vrais acteurs.

L’avenir de la forme

Comme on peut voir dans ces exemples, le film interactif reste encore approprié par l’univers du jeu vidéo. Mais ce sont des signes d'un avenir qui nous approche rapidement, où les formats de jeu et de film fusionnent pour résulter à une nouvelle forme d'art. Comme d’autres créations technologiques, les formes habituelles de divertissement tendent vers de l'interactivité, et les artistes de l’audiovisuel vont s’y intéresser de plus en plus.

Image en une : par when i was a bird sur Flickr. Licence CC BY-NC-ND 2.0.