Thomas Schiex reçoit le EurAI Fellows, pour ses travaux exceptionnels au service de l’Intelligence Artificielle

Publié par INRAE Occitanie-Toulouse, le 8 mars 2019   1.4k

Thomas Schiex, directeur de recherche à l’Inra de Toulouse, mène des travaux sur le front de la recherche en intelligence artificielle (IA) et en bioinformatique. Ses objectifs : améliorer les capacités de l’IA à résoudre des problèmes difficiles, en particulier en bioinformatique et mettre à la disposition de la communauté scientifique française et internationale l’ensemble des résultats produits par son équipe et ses collaborateurs. C’est à ce titre qu’il a reçu le EurAI Fellows, prix remis par l’European Association for Artificial Intelligence.

L'intelligence artificielle est perçue comme un mythe, de la science fiction ou une véritable révolution. Pouvez-vous nous dire pourquoi et comment ce domaine a évolué depuis le début de votre carrière ?

Quand j’ai débuté ma carrière, la victoire d’un ordinateur sur un joueur d’échecs était considérée comme un Graal, une des cibles identifiées par les pionniers, John Mc Carthy puis J.A. Robinson. L’IA était perçue très positivement. Puis, elle a promis beaucoup et ses réponses n’ont pas toujours été à la hauteur. Nous avons donc traversé un hiver rigoureux. Le développement d’algorithmes plus puissants, de l’apprentissage automatique, la croissance des moyens de calculs et l’accès à de grandes quantités de données ont changé la donne. La bibliothèque des algorithmes de l’IA s'élargit, s’affirme : jeu d’échecs, jeu de Go, conduite de véhicules routiers autonomes. L’automatisation de plus en plus de tâches devient possible. Cela pourrait rendre le travail plus rare (ou nous libérer du travail, si notre organisation sociale évolue). Les questions socio-politiques que cela soulève me semblent peu discutées par nos hommes politiques. Le livre d’E. Brynjolfsson & A. McAffee, « The second Machine Age » est très intéressant sur ce sujet.

Quels sont les domaines d'application de vos travaux ?

Nos travaux dans l’équipe sont assez « fondamentaux » pour s’appliquer dans beaucoup de domaines. Notre outil « toulbar2 » est d’ailleurs mobilisé par d’autres sur des domaines que nous méconnaissons complètement. Ce positionnement peut surprendre pour une équipe INRA, finalisée. Notre engagement est d’aller plus loin et de mobiliser ces outils sur des problèmes issus de la biologie et de l’agronomie. Nous avons ainsi produit des outils d’analyse de données génétiques massives ou contribué au décryptage de génomes de plantes et de bactéries. Nous nous intéressons aujourd'hui à la conception assistée de vergers-maraîchers, en lien avec le développement durable. En biologie synthétique, nous tentons également d’accélérer la conception de nouvelles protéines.

Sortir de son domaine d’hyper-spécialisation, interagir avec des chercheurs issus d’autres disciplines est très enrichissant. Cela nous ramène à une époque où les scientifiques étaient des touche-à-tout. Pour cela, l’Inra est un endroit idéal pour une personne bien formée dans les sciences du numérique.

L'armée, Facebook, Toyota, la médecine... tout le monde mise sur l'IA. Selon vous, que peut apporter l'intelligence artificielle à l'agronomie ? Et quelles sont les forces de l'Inra dans ce domaine ?

La loi d’Amara affirme qu’en général, on surestime les effets d’une technologie sur le court terme et qu’on les sous-estime sur le long terme. Je ne pense pas que nous allons, même à moyen terme, vers une super IA qui supplantera l’Homme. Je crois par contre qu’IA, automatique, robotique, statistiques vont permettre d’automatiser de nombreuses tâches, dans le monde réel (et non sur un échiquier ou un goban) dans l’industrie, les services et l’agriculture. Des engins agricoles vont devenir autonomes. Cela va faciliter le développement de l’agriculture de précision, libérer le cultivateur d’une partie de son travail. Il va aussi devenir de plus en plus aisé de confronter des données issues de l’agronomie, de la biologie ou de faire des “pilotes automatiques” pour micro-organismes.

A l’Inra, des départements comme MIA ou CEPIA, hébergent des chercheurs en IA, en automatique et en statistiques. Mais la concentration dans ces disciplines du numérique reste faible. Elle n’est pas, à mon avis, à la hauteur des enjeux accrus du numérique dans tous les domaines scientifiques. Les collaborations directes avec des instituts comme l’INRIA ou les universités peuvent combler ce manque. L’environnement de travail de l’Inra, en proximité avec les problèmes finaux, est assez idéal pour développer des travaux aboutis, allant de la théorie à la mise en œuvre finale