« Si on ne change pas, ça recommencera »

Publié par Université de Montpellier UM, le 15 janvier 2021   530

Paysage de savane près de Tontouta. La savane est une formation végétale de substitution car elle provient souvent de la déforestation, du défrichement, et elle est entretenue par les feux. © IRD – Jean-Christophe Gay.

« Totalement prévisible ». C’est ainsi que Serge Morand* caractérise la pandémie de Covid-19. Et c’est une bonne nouvelle : cela signifie que l’on sait comment limiter le risque d’épidémies futures. Explications de l’écologue et biologiste de l’évolution de l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier.

Vous évoquez un lien direct entre la baisse de la biodiversité et l’augmentation des épidémies, comment l’expliquer ? On considère souvent la baisse de biodiversité comme une crise écologique, mais en réalité c’est également une crise sanitaire. En effet, quand la biodiversité est importante, il y a une grande diversité de pathogènes potentiels comme les virus, mais ils circulent à bas bruit, cela signifie qu’ils se transmettent d’une façon moyennent efficace et ont peu de probabilité de finir par infecter l’Homme. En revanche lorsque la biodiversité chute, cela favorise les contacts entre les virus de la faune sauvage et l’être humain, augmentant ainsi le risque de transmission de maladies.

Comment ces contacts ont-ils lieu ? La baisse de biodiversité est imputable aux activités humaines : urbanisation, exploitation des ressources et surtout agriculture et élevage industriels sont responsables de déforestation et de destruction d’habitats naturels. Des prédateurs peuvent disparaître, ce qui dérégule tout l’équilibre des écosystèmes et peut favoriser l’émergence de pathogènes. Mais surtout ces activités provoquent un rapprochement entre des espèces qui ne se seraient jamais croisées dans la nature : les animaux sauvages et les animaux domestiques ou d’élevage. Nous créons ainsi de nouvelles interfaces propices à la propagation de virus. Un exemple emblématique est celui du virus Nipah qui a frappé la Malaisie en 1998. Il est apparu quand des chauves-souris, chassées de leur habitat par l’exploitation de l’huile de palme, se sont mises à côtoyer des élevages de cochons qui, une fois infectés ont été consommés par l’homme. S’agissant du coronavirus nous sommes certains désormais qu’il vient lui aussi d’une chauve-souris, mais l’hôte dit « intermédiaire », celui qui a permis au virus d’acquérir les déterminants génétiques nécessaires pour pouvoir infecter l’homme, n’est pas encore connu.

Est-ce qu’il y a de plus en plus d’épidémies nouvelles ? Oui, au niveau mondial, le nombre d’épidémies a été multiplié par plus de dix entre 1940 et aujourd’hui. Non seulement il y en a davantage, mais surtout elles se globalisent et ne reste plus cantonnées dans le pays où elles ont émergé. Depuis les années 1960 nous sommes face à une grande accélération. En cause :  l’intensification des échanges. En cinquante ans le trafic aérien a augmenté de 1 300 % !

Et dans le même temps le tourisme a flambé, + 5 600 %. La Covid-19 est une maladie propagée par les voyages internationaux. Cette pandémie était totalement prévisible, toutes les conditions étaient réunies pour qu’une maladie infectieuse émergente de ce type se propage à grande vitesse sur la planète.

Si nous pouvions prévoir cette pandémie, comment se prémunir des suivantes ? C’est toute notre manière d’appréhender les écosystèmes qui doit être modifiée, à commencer par notre système agro-alimentaire global. L’élevage intensif est emblématique : le poids total des bovins sur la planète est plus élevé que le poids total des humains ! Pour nourrir tous ces animaux on déforeste des régions immenses afin de produire du soja ou du maïs ce qui détruit des habitats naturels et encourage les monocultures intensives. Or justement il faudrait renoncer à ces paysages unifonctionnels au profit d’environnement mosaïques non spécialisés. Il faut recréer des territoires multifonctionnels. Il faut aller vers une agroécologie et une agronomie plus territorialisées, ce qui implique également de redonner une autonomie aux territoires. Pour y parvenir c’est toute la politique agricole commune qui doit être refondue, il faudrait commencer par renégocier la dette des agricultures pour repartir vers de l’agroécologie.

Il faudrait donc transformer en profondeur notre système agro-alimentaire ? Oui, mais pas uniquement. Il y a vraiment des changements forts à faire : il faut démondialiser nos économies, réduire la mobilité, relocaliser les activités économiques. Il faut aller vers moins de tourisme et du tourisme plus durable, il faut consommer local. La crise du coronavirus a entraîné une vraie prise de conscience de la nécessité de changer, c’est un moment vraiment intéressant pour tous les acteurs de l’agronomie, l’écologie forestière, l’agroécologie, l’économie locale et circulaire. C’est un véritable défi pour les nouvelles générations d’étudiants, et il faut leur laisser les coudées franches pour le relever et leur faire confiance. Ces changements, tout le monde va y gagner : la biodiversité, le climat, les agriculteurs, mais aussi notre santé et notre bien-être. De toute façon nous n’avons pas d’autre choix que de prendre ce virage là : si on ne change pas, ça recommencera, inévitablement.

*Isem (UM – CNRS – IRD – EPHE)