Rencontre avec Catherine Jeandel, directrice de recherche et bénévole en médiation scientifique

Publié par Maitena Arrayet, le 17 décembre 2021   980

Nous nous retrouvons aujourd’hui pour découvrir le portrait de Catherine Jeandel, directrice de recherche au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), en océanographie et plus précisément en géochimie marine. Elle mène ses recherches au sein du LEGOS (Laboratoire d’Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiale), une des 6 unités de recherche de l’Observatoire Midi-Pyrénées à Toulouse.  

Une de ses passions ?  Partager ses savoirs et ses découvertes auprès de tous les publics. 


Catherine Jeandel, directrice du CNRS en géochimie marine 

Catherine Jeandel est rentrée à l’âge de 26 ans au CNRS tout en finissant son doctorat d’état, après un doctorat de 3eme cycle. C’est justement pendant ses deux thèses qu’elle s’est intéressée à la géochimie marine jusqu’alors peu explorée. En effet, lors de ses études les recherches menées en géochimie continentale et cosmochimie (pour l’étude des planètes et du système solaire) étaient beaucoup plus avancées que celles en géochimie marine. 

Mais la géochimie, qu’est-ce que c’est ? 

C’est une discipline des sciences de la terre qui utilise les propriétés des éléments chimiques de la classification périodique et leurs isotopes pour tracer des processus (datation, traçage de source, de mélange, de taux de sédimentation etc…) dans les milieux naturels. 

Le quotidien d’une océanographe en géochimie marine 

Quotidiennement, Catherine Jeandel réfléchit à des projets de recherche. Elle les écrit et pose des objectifs précis lui permettant de comprendre quels moyens sont nécessaires à la réalisation de ceux-ci. Un dossier est ensuite préparé et le projet passe devant un comité constitué de pairs qui l’évalue et, s’il est considéré de qualité et original, le finance. 

Une fois le financement obtenu et l’équipe formée, les travaux de recherches relatifs au projet et s’il y a lieu la (ou les) campagne (s) en mer peuvent débuter. 

Catherine Jeandel a ainsi participé à des campagnes en mer tous les 2-3 ans durant sa carrière. Ses explorations maritimes peuvent durer entre quelques jours ou jusqu’à 2 mois. 

« Je suis amoureuse de la mer, quand je suis en mer je suis heureuse, très heureuse » nous confie-t-elle. Ainsi, elle se sent extrêmement libre quand elle se retrouve en mer, sur un bateau, pour explorer les éléments qu’elle affectionne tant. Elle se souvient des paysages qu’elle a pu observer, particulièrement autour de l’antarctique, la mer des «Quarantièmes Rugissants» est, selon elle, un des plus beaux lieux en mer qui puisse exister. 

Elle souligne aussi le côté humain des explorations en mer, une grande colonie d’une quarantaine de personnes qui se retrouvent pour 2 mois sur un bateau (soit dans un milieu assez restreint !), au milieu de la mer avec un même objectif : faire des découvertes scientifiques en traversant les fascinants océans de notre planète. Ce qui veut dire beaucoup de travail, d’investissement en temps mais aussi de moments partagés, tristes comme gais.

© Catherine Jeandel

Les isotopes du néodyme, sa découverte, sa fierté

En réalisant ses recherches sur les fonds marins, Catherine Jeandel a développé, au fil des années, un traceur se nommant « les isotopes du Néodyme ». Celui-ci permet d’indiquer de quel endroit vient l’eau de mer et quel trajet elle a effectué entre le point de mesure et son origine. Ce traceur aide à reconstituer des circulations passées et des apports des matières d’origine continentale et arrivant à l’océan. 

Ainsi, à l’aide de cet outil, elle a pu proposer une révision des bilans d'éléments chimiques établis entre continents et océans. En effet, durant ses études, Catherine Jeandel avait appris que les éléments chimiques dans l’océan provenaient sous forme dissoute des rivières et d’une petite proportion des poussières atmosphériques se dissolvant à l’interface air-mer. En revanche, les sédiments déposés sur les marges qui font le pourtour des oéans n’étaient pas vraiment pris en considération. Aujourd’hui, grâce au traceur qu’elle a développé, on peut voir que ces sédiments contribuent de façon très importante à ces budgets.

Cette découverte est une grande satisfaction pour elle, car la vie d’un chercheur n’est pas tous les jours facile, « on se cogne, on essaie, on échoue et on ne trouve pas toujours les solutions sur ce que l’on explore » dit-elle. 

Catherine Jeandel, essaie de se restreindre, malgré une grande frustration, à ne pas se lancer dans de nouveaux projets scientifiques.  Âgée bientôt de 65 ans, il lui serait en effet compliqué de se lancer dans de nouveaux projets demandant des dizaines d’années de travail, au grand regret de ses collègues qui aiment sa motivation, son enthousiasme et sa capacité de travail. 

Un travail passionnant où la compétition n’existe pas 

Elle souligne toujours la beauté de son travail car pour elle, travailler en océanographie c’est travailler au sein d’un collectif qui partage énormément ses informations. « Chacun dans son coin on n’arriverait pas à grand-chose, l’objet d’étude est bien trop vaste! C’est vrai dans une équipe ici au CNRS, mais c’est aussi vrai au niveau national et international ». 

De plus, il n'y a pas de compétition féroce entre océanographes, ils partagent dans le but de progresser collectivement, car il y a encore beaucoup de choses à comprendre sur les océans qui nous entourent.  

L’océan en perpétuel mouvement ces dernières années

« L’océan répond au stress humain et ce n’est vraiment pas bien, c’est très grave ». Catherine Jeandel, nous fait part de son inquiétude vis à vis de l’évolution de notre océan au cours des années. L’océan change, l’océan est pollué, l’océan va mal. La pollution terrestre ne cesse de croître et se répercute considérablement sur nos océans. 

Il y a de plus en plus de gaz à effet de serre (méthane, CO2, gaz réfrigérants…) dans l’atmosphère, ce qui augmente l’effet de serre et la réchauffe. Mais par contact, c’est l’océan qui “encaisse” à 90% cette énergie en trop émise par les activités humaines, car l’eau a une plus grande capacité à  stocker la chaleur que les sols. L’océan se réchauffe donc, en particulier sur les 1000 premiers mètres. Par ailleurs, la dissolution du CO2 dans l’eau génère une acidification des eaux de surface, ce qui est très impactant pour le développement des espèces calcaires qui vivent en surface (dont les huîtres, mais aussi les coraux, et tous les micro-organismes à la base de la chaîne alimentaire). L’océan est malade, il est urgent de se mettre à son chevet!

Catherine Jeandel nous fait part de ses précieux conseils pour protéger au mieux nos océans : « le meilleur atome de carbone est celui qui reste dans le sol », il faut arrêter d’émettre des gaz à effet de serre. Le gaz carbonique est l’ennemi numéro un de l’océan mais aussi de l’humanité. Il faudrait aussi arrêter l’utilisation des sacs plastiques et plus généralement réduire considérablement les déchets plastiques qui détruisent petit à petit notre terre et nos océans. 

Catherine Jeandel, très attachée à la diffusion de la culture scientifique  

Ainsi, pour sensibiliser le plus grand nombre, Catherine Jeandel s’investit dans de nombreux projets de médiation scientifique. Aujourd’hui une partie importante de son énergie est consacrée à des projets qui permettront au plus grand nombre d’entre nous d’avoir accès aux découvertes scientifiques les plus récentes sur climat, océan et biodiversité. 

Elle se rend par exemple régulièrement dans des lycées pour partager ses savoirs et discuter avec les élèves de l’évolution des océans. Elle participe aussi à des émissions radio et donne des interviews. L’association « Les étoiles brillent pour tous », qui amène la science devant des publics peu exposés, peut aussi compter sur la volonté et la motivation de Catherine Jeandel de partager son savoir. Elle participe ainsi à des échanges avec des personnes se trouvant dans des lieux fermés, pour donner accès à tous à des savoirs scientifiques. 

Enfin, elle a été à l’initiative du « Train du Climat » avec deux amis, Serge Planton et Christophe Cassou, qui ont construit avec elle et une médiatrice scientifique un incroyable projet : une exposition scientifique installée dans un ancien MISTRAL aménagé par SNCF. 

L’objectif ? Aller au plus près des territoires pour sensibiliser le public aux résultats de la COP21 de Paris en 2015. Ce train a ainsi sillonné les principales villes françaises, allant de Paris à Annecy puis jusqu’à Marseille, Toulouse mais aussi Lille ou encore Nancy, pour sensibiliser et échanger avec la population autour des problèmes climatiques auxquels nous devons faire face. Ainsi durant les arrêts en gare d’une journée, l’association des “Messagers du Climat” (que des chercheurs de tous âges embarqués pour dialoguer avec les citoyens) explique aux visiteurs du train le fonctionnement de notre climat, l’impact de l’humanité sur notre planète, et propose des pistes d’amélioration et des échanges pour trouver des solutions tous ensemble.  Au total, cette expérience a compté plus de 23000 visiteurs dans toutes les villes visitées et de nombreux dialogues ouverts autour de la préservation de notre planète. 

En conclusion, on peut dire que Catherine Jeandel, en cherchant à partager ses savoirs avec le plus grand nombre, œuvre pour un avenir meilleur de notre planète et de ses habitants…