Quand le numérique prend la clé des champs

Publié par Université de Montpellier UM, le 25 janvier 2018   1.1k

Le salut de l’agriculture passera-t-il par le numérique ? C’est le pari de l’institut #Digitag, structure de recherche pluridisciplinaire lancée à Montpellier en 2016. En point de mire : une production moins gourmande en énergie et des agriculteurs soulagés des tâches les plus ingrates. Une révolution en germe.

Une flopée de capteurs pour gérer l’apport en eau ou l’utilisation d’engrais, une batterie de pièges connectés diffusant des phéromones pour guider les nuisibles loin des cultures, une moisson de données partagées pour éclairer la prise de décision, le tout centralisé sur un smartphone devenu le premier auxiliaire de l’agriculteur… Bienvenue dans la ferme du futur, concentré de technologie au service d’une pratique mieux maîtrisée, plus respectueuse de l’environnement et moins contraignante pour les exploitants.

Vers une pratique choisie, non subie

« L’objectif est double : améliorer la production et mieux insérer l’agriculteur dans la société » explique Véronique Bellon-Maurel, directrice du département écotechnologies de l’Irstea. « L’agriculture est un métier très compliqué et qui le devient de plus en plus : complexité technique, réglementaire, administrative, commerciale… Ajoutez à cela un niveau d’incertitude qu’on ne retrouve dans aucun autre métier et qui va en se renforçant avec le changement climatique… ». Un bien sombre tableau, que le numérique pourrait contribuer à éclairer. « L’autoguidage des tracteurs a changé la vie de beaucoup d’agriculteurs relate la directrice de l’Institut #DigitAg. Quand vous n’êtes pas obligés de vous concentrer sur une ligne à suivre, vous pouvez penser à autre chose… ».  Idem pour les robots de traite, qui ont permis aux éleveurs de libérer un temps précieux pour mener des activités commerciales, prendre soin du troupeau… ou de sa vie familiale. En somme, pour Véronique Bellon-Maurel, il s’agit de permettre à l’agriculteur d’investir des activités « soit plus lucratives, soit plus épanouissantes, en tout cas choisies plutôt que subies ».

Ageekculteurs

Le numérique, planche de salut d’une profession en crise ? L’idée ne va pas forcément de soi, alors que l’automatisation renvoie davantage au modèle de l’agriculture intensive, largement contesté. Une idée fausse pour la chercheuse de l’IRSTEA, qui y voit au contraire une chance d’aller vers plus de frugalité : « Les agriculteurs bio, par exemple, sont ceux qui ont le plus besoin d’observation, car dans ce type d’agriculture les interventions sont rares et doivent être précises et anticipées ». L’objectif : produire mieux. « Limiter l’utilisation des produits phytosanitaires, cela veut dire économiser du temps, de la consommation tracteur, sans parler bien sûr des avantages en termes de pollution et de santé pour l’agriculteur… » résume la spécialiste.

Pour les petits exploitants, le numérique est aussi un puissant levier pour sortir de l’isolement. C’est ainsi que se multiplient les « ageekculteurs » cultivant blog et compte twitter, et fréquentant forums ou autres plateformes de financement participatif. En fin de chaine, le numérique bouleverse aussi la distribution en facilitant le lien entre producteur et consommateur : AMAP, circuits courts...  A la clé, un rééquilibrage du rapport de force imposé par les acteurs classiques de la distribution.  

Jeunes pousses et gros poissons

Conséquence de ce changement de paradigme, l’agriculture s’ouvre à un nouveau public, plus technophile, plus féminin aussi. « Une chance de voir arriver des gens qui ne viennent pas de l’agriculture et ont une autre manière de l’appréhender » se réjouit Véronique Bellon-Maurel. Alors que chaque jour ou presque voit la naissance d’une nouvelle application à destination des agriculteurs,  l’irruption du numérique ne va pas sans soulever des inquiétudes, relatives notamment à la montagne de données qui émergent de nos campagnes. «Des données sont aujourd’hui collectées avec une fréquence spatiale et temporelle jamais vue jusqu’à présent. Cela représente un gros espoir pour extraire, grâce au smart data, des modèles qui vont nous éclairer sur le fonctionnement des cultures et des élevages. Mais se pose aussi la question de leur sécurisation. Que se passera-t-il si ces données sont captées par des acteurs monopolistiques ? » s’interroge la directrice de #DigitAg.

Face au risque de voir agrochimistes ou autres semenciers truster ces bases de données pour leur seul profit, une planche de salut : ouvrir les données, et ainsi favoriser l’émergence d’une pluralité d’acteurs (start-ups, coopératives) plutôt que celle de quelques mastodontes. Une « open agriculture » qui pourrait permettre à chacun de trouver à nouveau, un jour, son bonheur dans le pré.