Prévention 2.0

Publié par Université de Montpellier UM, le 24 janvier 2020   580

Prévenir le risque de suicide… avec un téléphone portable. C’est le projet porté par le psychiatre Philippe Courtet qui s’est entouré d’une équipe d’informaticiens du Lirmm pour développer l’application Emma, destinée à détecter le risque suicidaire.

Avec plus de 9000 décès chaque année, la France présente un des taux de suicide parmi les plus élevés d’Europe. C’est même la première cause de mortalité chez les 25-34 ans. À l’échelle mondiale, toutes les 40 secondes une personne met fin à ses jours. Un véritable problème de santé publique et un défi pour les psychiatres confrontés à ce problème épineux : comment prévenir le risque de suicide ?

« Nous sommes démunis face à la prédiction du risque suicidaire, explique Philippe Courtet. Un patient ne se suicide jamais face à son psychiatre lors d’une consultation. Jusqu’à présent tout ce que nous pouvions faire c’est diagnostiquer le risque de suicide a posteriori, lorsque nous voyons un patient et discutons avec lui des moments qui ont précédé son passage à l’acte », souligne le chef du service d’urgences psychiatriques du CHU de Montpellier.

« Biais de remémoration »

Avec un obstacle majeur : lors de cette consultation le patient se souvient peu ou mal de ces instants. Pour éviter ce « biais de remémoration » et mieux comprendre le contexte de survenue du suicide, les spécialistes manquaient d’un « outil de monitoring constant pour déterminer en temps réel le risque de passage à l’acte », souligne Philippe Courtet.

C’est pour dépasser ce problème que le spécialiste a imaginé l’application Emma, entendez Ecological mental momentary assesment. Une auxiliaire nécessaire « pour suivre le patient à l’instant T, dans sa vie de tous les jours, dans son environnement quotidien, et non pas seulement en consultation une fois par mois ».

En pratique, l’application utilise deux types d’évaluations, passive et active. « L’évaluation passive analyse l’usage que fait le patient de son téléphone : les appels, les messages, les réseaux sociaux… », expliquent Jérôme Azé et Sandra Bringay du Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier. Si l’application ignore tout du contenu des échanges, le simple fait de savoir comment une personne utilise son téléphone est un indice précieux. « Si on constate qu’un patient se met à utiliser son téléphone toute la nuit, ou qu’il ne contacte plus ses amis, ou d’une manière générale qu’il change ses habitudes, c’est un indicateur que peut-être il va mal », souligne le psychiatre.

Précieux indices

Pour la partie active de l’évaluation, Emma va directement solliciter l’utilisateur via des « entretiens électroniques ». L’application propose au patient de répondre à des questions telles que « comment allez-vous ? », « êtes-vous anxieux ? » ou encore « avez-vous des idées noires ? ». Si les réponses laissent supposer une détresse, l’application déclenche ce qu’on appelle le module d’intervention. « C’est un plan de sécurité personnalisé qui a été construit en amont avec le patient et son psychiatre, explique Philippe Courtet. L’application lui propose ainsi d’accéder à un module de relaxation et de gestion du stress mis au point par un médecin du service. Il peut aussi écouter une musique, visionner des photos ou des vidéos choisies au préalable ».

En dernier recours, l’application peut proposer au patient de contacter des proches présélectionnés. « Avec ce dispositif, on recourt aux vertus protectrices de la connexion sociale dans la prévention du suicide », explique le spécialiste. Emma peut enfin lui suggérer d’appeler le 15 ou le centre VigilanS, un « programme de recontact » des personnes ayant fait une tentative de suicide. « L’objectif de ce plan de sécurité est de délayer le moment très court qui peut conduire à une tentative de suicide », explique le psychiatre.

Tendre la main

Dans un premier temps, l’application est expérimentée chez 100 patients, suivis pendant 6 mois. Une phase qui permet de tester l’usage que les patients font d’Emma, mais qui a également pour objectif de recueillir un maximum de données qui seront utilisées par l’équipe de Jérôme Azé et Sandra Bringay pour créer un algorithme permettant d’affiner le fonctionnement de l’application. « Nous avons recours à l’intelligence artificielle et plus précisément à ce qu’on appelle le deep-learning pour tenter de construire un algorithme de prédiction du risque suicidaire le plus précis possible qui sera utilisé dans une deuxième version de l’application », expliquent les informaticiens.

Soutenu par la fondation FondaMental, ce projet a déjà fait preuve de son intérêt. « Les premiers retours sont positifs, explique Philippe Courtet. Des patients rapportent que le fait que l’application suggère d’appeler un proche leur a permis de se rendre compte que des gens se soucient d’eux. Avec Emma, on propose de tendre la main aux gens plutôt que d’attendre qu’ils tendent la leur. »