Précieuses eaux usées

Publié par Université de Montpellier UM, le 15 janvier 2021   590

Suivre l’épidémie de Covid-19 grâce… aux eaux usées. Un indicateur précieux qui renseigne sur le niveau de circulation du virus mais pourrait bien aussi permettre  d’anticiper un éventuel rebond de l’épidémie.

Surveiller le niveau de circulation du coronavirus pour mieux anticiper d’éventuelles résurgences. C’est un enjeu majeur dans la gestion de la pandémie de Covid-19. Nombre de tests positifs, passages aux urgences pour suspicion de Covid-19, nombre de patients en réanimation… des indicateurs suivis de très près pour évaluer la circulation du coronavirus. Mais il en existe un autre, peut-être moins connu mais non moins précieux : la présence de résidus du virus dans les eaux usées.

« La détection du SARS-Cov-2 dans les eaux usées se fait dans de nombreux pays, elle a notamment été mise en place à Paris au début de l’épidémie, alors pourquoi pas ici ? » Pour combler ce vide, Franz Durandet, président de la start-up IAGE spécialisée dans l’analyse biologique environnementale, et Pierre Becquart, chercheur au laboratoire Mivegec*, se sont rapprochés du syndicat mixte du bassin de Thau. Objectif : mettre en place ces analyses microbiologiques des eaux usées dans la région. Le principe ? Collecter des eaux usées en amont des stations d’épuration pour y traquer le coronavirus. « Nous mesurons en fait la quantité d’acides nucléiques inactivés du SARS-Cov-2 en utilisant une technologie extrêmement fiable : la digital PCR », précise Franz Durandet.

Dépistage collectif

Comment le coronavirus parvient-il dans les eaux usées ? « Il est excrété dans les matières fécales des patients qui sont infectés. Sa présence dans les eaux usées est donc corrélée au niveau de circulation du virus dans la population », précise Pierre Becquart. Une mesure d’autant plus intéressante qu’elle concerne toute la population sur la zone concernée. « Même si on pratique des tests pour identifier les porteurs du virus, on ne peut pas tester tout le monde, et on dépiste surtout ceux qui ont des symptômes. En revanche tout le monde va aux toilettes, donc les eaux usées reflètent en partie l’état de santé de l’ensemble de la population, c’est une sorte de dépistage massif collectif », image le chercheur.

La quantité de résidus de coronavirus dans les eaux usées permettrait-elle de déterminer le nombre de personnes infectées dans la population ? « Nous ne pouvons pas faire cette extrapolation, répond Franz Durandet, en revanche l’évolution de la quantité de coronavirus détectée est très bien corrélée à l’évolution de l’épidémie, par exemple fin mai nous ne détections quasiment plus de résidus dans nos prélèvements, cette mesure représente donc un indicateur fiable qui donne une tendance de la situation.»

Anticiper

Un indicateur fiable qui possède un autre atout majeur : sa précocité. « Le virus est excrété avant même l’apparition des premiers symptômes, souligne Pierre Becquart, si l’on constate une hausse des résidus de virus dans les eaux usées, on peut donc alerter sur une éventuelle hausse à venir du nombre de cas qui vont devoir être pris en charge par le système de santé. »

Mieux prédire pour permettre d’anticiper, un enjeu majeur de la gestion de la pandémie de Covid-19. Dans un communiqué daté du 7 juillet, l’Académie nationale de médecine souligne ainsi que l’analyse microbiologique des eaux usées peut jouer un rôle stratégique dans la surveillance prospective et régulière de la circulation du virus et recommande même de rendre cette surveillance systématique tant que le virus circulera dans la population.

Une technique qui pourrait d’ailleurs devenir un outil de surveillance épidémiologique étendu : « sur un seul prélèvement nous pouvons détecter plusieurs types de virus différents, nous pourrions donc surveiller simultanément l’évolution de plusieurs épidémies », explique Franz Durandet. Une idée partagée par l’Académie nationale de médecine qui recommande désormais d’étendre cette surveillance systématique à d’autres virus tels que le myxovirus, le rotavirus ou encore le virus respiratoire syncitial. Du neuf en perspective dans les eaux usées.


Du liquide en banque

Quand le coronavirus a-t-il fait son apparition ? La réponse à cette question peut elle aussi être apportée par les eaux usées. « Certains pays comme les États-Unis, l’Espagne ou l’Italie ont des banques d’eaux usées : des prélèvements sont effectués chaque mois et sont congelés, ce qui permet de les analyser ultérieurement », explique Franz Durandet. En se penchant sur les échantillons de cette collection on s’est ainsi aperçu que les résidus du SARS-Cov-2 étaient présents à Barcelone dès le mois de mars 2019. L’Académie nationale de médecine recommande d’ailleurs à son tour de constituer une banque de prélèvement permettant rétrospectivement de détecter tout nouveau virus ou agent pathogène qui apparaitrait dans la population, en fixant ainsi le début de l’épidémie.

* Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle (UM –CNRS – IRD)