Plonger dans le noir pour éclairer le vivant

Publié par Seaquarium Institut Marin, le 12 août 2025   41

Plonger dans le noir pour éclairer le vivant

Immersion en Black Water dans la baie des Anges

Chaque nuit, loin des regards, un ballet microscopique se joue dans les profondeurs des océans. Le zooplancton, base vivante de la chaîne alimentaire, remonte vers la surface pour s’alimenter. Pour mieux comprendre ce phénomène, une partie de l’équipe du Seaquarium s’est formée à une pratique engagée et technique : la plongée en Black Water. Une exploration nocturne, en étant immergé dans l’obscurité, à la rencontre d’un monde invisible.

Une plongée inédite

Stéphane Jamme


Le projet a germé d’un vrai désir : se former, évoluer techniquement, et se perfectionner dans le milieu scientifique et photographique pour porter de nouveaux projets.

« Avant de plonger, il faut savoir ce que tu cherches. Nous, on va chercher la petite bête », nous partage Cannelle, médiatrice scientifique et plongeuse.

Cette “petite bête”, c’est le zooplancton — mais aussi toute une multitude d’organismes planctoniques animaux qui, chaque nuit, quittent les canyons et les grandes profondeurs pour se rapprocher de la lumière lunaire entre 10 et 15m sous la surface.

Pour observer ce phénomène, il fallait quitter les côtes camarguaises. Direction Antibes et le canyon du Var, au large de la baie des Anges. Là-bas, les fonds tombent à pic et permettent un accès rapide à des zones riches en biodiversité. C’est ici que Rémi Dubas, photographe et biologiste marin, ou encore, Antony Berberian, photographe sous-marin spécialiste des profondeurs abyssales, on fait leurs preuves et connus leur succès par leurs célèbres images en Black Water.
Cannelle, Anne et d’autres membres de l’équipe ont vécu leur première immersion en Black Water, encadrés par Stéphane Jamme, fondateur de Les Aquanautes et expert de cette pratique.

Black Water : plongée dans l’immensité

Contrairement aux plongées classiques, les plongées Black Water se déroulent de nuit, en pleine mer, sans repères fixes, ni fond ni parois. Le plongeur est comme suspendu dans un volume noir, uniquement guidé par la lumière des phares des autres plongeurs et l’éclairage fixé sous le bateau.

Objectif : capter ce qui remonte, ce qui vibre, ce qui clignote.

« On était vraiment dans l’immensité du grand bleu, mais dans le noir, c’était pour nous quelque chose d’inédit », confie Anne.
L’immersion s’est faite à 23 heures, à environ 15 mètres de profondeur, pour une durée de 1h30. La température de l’eau : 23°C. La sensation : hors du temps.

« La veille, je n’arrivais pas à dormir. Ça faisait deux ans que je rêvais de faire une plongée en Black Water… On se fait plein de scénarios, mais une fois dans l’eau, aucun ne colle à la réalité. »

Bolinopsis – Stéphane Jamme

Technique et éveil des sens


Pas de sol, pas de mur, pas de vision du fond pour s’orienter.

« Le plus étrange, c’est qu’on n’avait aucune notion de temps ni d’espace. Quand j’ai regardé mon ordinateur, ça faisait déjà 69 minutes qu’on était là, j’avais l’impression que ça faisait moins de 20 minutes. »

Les plongeurs s’appuient uniquement sur leur repère : un phare en pleine eau sous l’eau, accroché au bateau, pour garder leurs repères. Ils doivent aussi gérer un environnement très peu lumineux, des espèces minuscules et justement, chercher celles bioluminescentes.

« On se croit dans l’espace : tout est noir, et il y a des points lumineux partout. »
La prise de vue elle-même est un exercice d’équilibriste.

« Il faut du calme, de la stabilité, et une vraie maîtrise de la mise au point. On travaille avec des objectifs macro sur Olympus ou Nikon, dans des caissons étanches, avec des poignées, des phares. Tout est lent, précis. » partagent Anne et Cannelle.

Des images au service de la connaissance


Une fois remontés à bord, les plongeurs ne rangent pas leurs appareils, l’excitation de voir le résultat est trop forte.
Commence alors le travail d’identification, de documentation, presque d’autoformation qui se poursuivre les jours d’après, avec les images sur grands écrans.

« Ce que j’aime, c’est que cette plongée attise encore plus notre curiosité. On veut savoir ce qu’on a vu, ce qu’on a photographié, ou ce dont on garde un souvenir. »


Ces photographies, souvent magnifiques quand elles sont nettes deviennent aussi des données pour documenter le zooplancton. Elles peuvent alimenter les banques d’images scientifiques, appuyer des recherches sur la chaîne trophique marine, contribuer aux sites de recensement des espèces (fédération de plongée, BiObs, Doris, BioLit, INaturalit) et contribuer à une meilleure compréhension de cette colonne d’eau.

Pyrosome – Cannelle Denaes

Carnet de plongée – témoignages


« Superbe expérience. Merci à Stéphane pour son calme, sa pédagogie, sa gentillesse. »
« Le plus difficile, c’est la notion de distance au bateau. Tout paraît immense. C’est troublant. »
« On était et on se sentait en totale sécurité grâce à toute la logistique en amont. »
« On ne savait plus où on se trouvait. C’est une plongée qui déconnecte complètement. »
« Ce qui m’a marqué ? Les microformes lumineuses. Tout était minuscule, et pourtant tellement vivant. »

Et après ? Vers de nouvelles plongées sur notre littoral


Riche de cette première formation, l’équipe envisage désormais de reproduire l’expérience dans le Golfe du Lion, à des profondeurs plus accessibles (entre 10 et 15 mètres).

« Cela permettrait de documenter la faune planctonique locale, et de créer un référentiel visuel. C’est possible chez nous, à condition d’avoir une météo très calme. »


Avec cette approche, le Seaquarium affirme sa volonté d’allier pratique de terrain, photographie naturaliste et technique macro, observation scientifique et médiation. Un cercle vertueux nourrit par la curiosité, la rigueur, et l’envie de transmettre de nos équipes.

Idotée métallique – Anne Pechmeja

Encadré technique : la plongée en chiffres


Lieu : au large d’Antibes, Canyon du Var
Point d’entrée : Profondeur : -1025 m
Point de sortie : Profondeur : -915 m
Durée de plongée : 1h30
Température : 23°C
Matériel : Nikon & Olympus en caisson étanche, objectif macro, phares, poignées
Encadrant : Stéphane Jamme (Les Aquanautes)

Heure d’immersion : 23h
Profondeur d’observation : 15 m


Ce type de plongée ouvre un monde nouveau, invisible à l’œil nu, mais c’est une nouvelle source de connaissance de cette base de la chaîne alimentaire de nos mers et océans. En s’y formant, les équipes du Seaquarium prolongent leur engagement : comprendre et documenter le vivant pour mieux le transmettre.