Pandémie plastique, un faux pas en arrière

Publié par Université de Montpellier UM, le 8 avril 2021   600

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La timide vague de « déplastication » amorcée depuis quelques années a été submergée par une autre vague : celle de l’épidémie de Covid-19. Le plastique fait un retour en force en pleine crise sanitaire, occasionnant un rebond inquiétant du flot de nos déchets de polymères synthétiques en tous genres.

C’est un des effets secondaires regrettables de la pandémie de Covid-19 : le grand retour du plastique. Partout. Dans les fast-food et les cantines où les gobelets réutilisables et les verres ont fait place à du jetable. Dans les magasins où les sacs plastiques reviennent en force à la caisse. Dans les commerces qui voient fleurir des écrans de protection. Dans les « drives » et leurs courses suremballées. Dans les milliers de flacons de gel hydro-alcoolique qui font fureur. Et surtout sur nos visages couverts de ces fameux masques jetables en microfibre de polypropylène, résine plastique par excellence.

Désintoxication

Pourquoi la crise sanitaire a-t-elle mis un coup d’arrêt à la timide cure de désintoxication au plastique engagée auparavant ? « C’est la peur qui est le principal moteur de ce soudain engouement pour le tout-plastique », explique Nathalie Gontard, chercheuse au laboratoire Ingénierie des agropolymères et technologies émergentes*. La peur ? Celle d’être contaminé par le coronavirus. « Parce qu’il est jetable, le plastique apparaît comme plus sûr aux yeux des gens, il s’impose comme le matériau hygiénique qui sauve des vies en évitant les contaminations dues à la réutilisation. »

Une réputation pourtant bien indue. « Le virus persiste plusieurs heures à plusieurs jours sur toutes les surfaces, explique Valérie Guillard*. Un coronavirus persisterait même bien plus longtemps sur le plastique que sur le verre ou le métal. Il resterait également plus longtemps sur une blouse jetable en microfibres de polypropylène que sur une blouse en coton ou une surface en papier », complète la spécialiste des polymères.

Même les masques jetables ne seraient pas aussi incontournables qu’on peut le penser : « les masques constitués de fibres naturelles de type coton, flanelle, soie ou chanvre présentent des capacités filtrantes tout aussi performantes qu’un masque chirurgical en fibres synthétiques, ils piègent au moins 80 % des particules d’une taille moyenne de 60 nanomètres grâce à un effet combiné de filtration physique et d’effet électrostatique », explique Nathalie Gontard. Selon les spécialistes, les performances d’un masque, quelle que soit la nature de ses fibres pourvu qu’elles soient suffisamment denses, sont surtout liées à son ajustement aux contours du visage.

Enjeux économiques

Le plastique, pas si fantastique. Et pourtant cette illusion de sécurité sanitaire représente une incroyable opportunité pour les industriels du secteur qui se sont engouffrés dans la brèche sans attendre. « Les enjeux économiques sont tels que certains fabricants n’hésitent pas à surfer sur la vague anxiogène liée à la crise sanitaire pour braver les interdictions et relancer leurs affaires », déplore Nathalie Gontard. Dès le 8 avril dernier, l’EuPC, lobby des transformateurs de plastique européens, a demandé à la Commission européenne un report de la directive européenne adoptée en 2019 qui interdit la mise sur le marché de plusieurs produits en plastique à usage unique. « Demande heureusement rejetée ».

Et pourtant le boom du plastique est d’ores et déjà bien visible. En témoigne la hausse des déchets à traiter qui a notamment été constatée en Espagne depuis le début de l’épidémie. Un vrai risque non seulement pour l’environnement mais aussi pour la santé comme l’expliquent les chercheuses : « le plastique persiste jusqu’à plusieurs siècles dans notre environnement sous la forme de micro puis de nano-particules : les microfibres de plastique se délitent, se fragmentent, se multiplient, diffusent dans notre environnement, se chargent en polluants et finissent par contaminer notre chaîne alimentaire et menacer le bon fonctionnement des organes de tous les êtres vivants ».

Le remède pire que le mal

Les microfibres de nos masques ont donc toutes les chances de finir dans nos assiettes ou celles de nos petits-enfants. « Il faudrait inscrire sur ces masques jetables en polymères synthétiques « nuit gravement à la santé de nos petits-enfants », tempête Nathalie Gontard. Le lavage d’un masque en fibres naturelles reste la forme de recyclage la plus efficace pour l’élimination du virus, la plus économique et la moins dommageable pour l’environnement » complète Valérie Guillard.

Et s’agissant de la Covid-19, l’usage effréné de masques en plastique pourrait bien indirectement faire le lit de l’épidémie… Comment ? « De nombreuses études pointent du doigt le fait que la transmission du virus pourrait être liée à la pollution aux particules fines de l’air, celles-là mêmes qui proviennent en partie de la dégradation des films et fibres plastiques et donc des masques en polypropylène », explique la spécialiste qui dénonce un remède qui risque fort de devenir pire que le mal.

Pour les deux chercheuses, il est urgent de « déplastiquer » nos modes de vie. « Il faut réserver l’usage du plastique aux secteurs où il est incontournable. Partout où il existe des alternatives sans plastique, il faut les adopter. Cela permettrait de limiter au strict minimum notre recours au plastique », conseille Valérie Guillard. Adopter les alternatives, mais aussi tout simplement limiter notre consommation. « Il y a beaucoup d’objets – souvent en plastique – dont on pourrait avantageusement se passer, complète Nathalie Gontard. Ce confinement a été pour beaucoup d’entre nous une occasion de réfléchir à nos modes de vie et à nos valeurs, on peut espérer qu’il va persister chez chacun des traces de ce questionnement… ». Qui calmeront notre engouement pour les objets en plastique et éviteront dans l’environnement leurs traces, indélébiles celles-là.

* IATE (UM, INRAE, CIRAD, Institut Agro-Montpellier SupAgro)