Michel Broué : POUR VOIR CLAIR
Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 29 juin 2025
Le 5 juillet 2025, parmi les animations et activités organisées pour fêter le premier anniversaire du tout nouveau Musée Fermat dans la maison natale du grand homme, à Beaumont de Lomagne, Michel Broué, grand mathématicien contemporain viendra lors d’une conférence parler de son engagement et échanger avec le public autour de son livre Pour voir clair aux éditions du Seuil.
Un beau moment à partager !
Michel Broué . POUR VOIR CLAIR
Editions du SEUIL
Que peuvent avoir en commun les mathématiques et la politique ? C’est l’une des questions que pose le mathématicien Michel Broué dans ce remarquable ouvrage sous-titré « Zigzags entre les mathématiques, l’art, la politique et la vie ». Tout un programme !

Dans le grand public, on connaît surtout Michel Broué pour les actions qu’il a menées avec de nombreux mathématiciens et intellectuels ou artistes en faveur de Sakharov, Chikhanovitch et Pliouch, trois mathématiciens de génie mis à mal par le régime soviétique. Mais il serait injuste de le réduire à ces combats, aussi nécessaires et justifiés soient-ils. Ce grand mathématicien qui fut directeur du prestigieux Institut Henri Poincaré et du département des mathématiques à l’École normale supérieure, se revendique aussi, ou doit-on dire d’abord ? comme un homme engagé dans le combat pour la vérité au nom d’une certaine conception de l’homme, de l’amitié du devoir de chacun.
MATHEMATIQUES ET RéFLEXION
Dès les premières pages, Michel Broué définit son objectif : « J’ai souhaité mettre en forme et en vrac ce que je pense sur des sujets variés : la « vérité », les trahisons, la musique, l’élégance, le réalisme, les mathématiques, l’engouement, l’abstrait et le concret, etc. Un tel objectif nécessitait de réfléchir, d’essayer de comprendre mes choix de vie…d’analyser les sources de ce qui me heurte si profondément depuis l’enfance : la malhonnêteté intellectuelle, l’irrespect d’autrui et de la vérité des faits. »

Voilà le cadre clairement posé mais les mathématiques dans tout ça ?
Pour notre auteur, les mathématiques s’opposent au nom de la réflexion à ce qui est du domaine de la croyance. Elles ouvrent à ceux qui les pratiquent les clefs d’un « monde où les mots et les choses ont une définition précise, où les affirmations doivent être démontrées, où les idées ne vous appartiennent que très peu de temps… Les mathématiques sont l’univers de la confiance : l’opposé de la malhonnêteté intellectuelle. » que l’on voit fleurir un peu partout avec ces vérités alternatives clamées haut et fort par des maîtres de l’esbroufe.
il est difficile aujourd’hui de ne pas percevoir combien « l’entreprise de déshumanisation, de « chosification » menée par nombre de régimes autoritaires sur la planète est présente dans l’histoire. Et dans notre présent même, souligne l’auteur, les sociétés, même les plus apparemment acharnées à protéger la liberté, pratiquent l’aliénation des travailleurs dans des sociétés capitalistes qui empoisonnent l’environnement et ne proposent, en guise d’évasion, que les moyens de communication médiocres d’une société déshumanisée, érotisme vulgaire, télévision domestiquée…
Le lecteur, la lectrice, pourtant en passe de se laisser convaincre, ne peuvent s’empêcher de penser que c’est trop beau pour être vrai. Michel Broué ne se montre-t-il quelque peu irréaliste ? Mais notre auteur persiste et signe. Les mathématiques, nous dit-il, ne sont pas une matière figée comme le public le croit trop souvent : « Pour faire des découvertes, le mathématicien est obligé de renverser tous les tabous. Trouver quelque chose en mathématique, c’est vaincre une inhibition et une tradition… »
On n’est pas loin de se laisser convaincre surtout lorsqu’il argumente. « Un des aspects qui font différer les mathématiques de presque tout le reste de la vie [c’est que], en mathématiques, les mots désignent des objets précis. Avant tout énoncé, il est indispensable de définir ce dont il va s’agir… alors que la vie est presque l’inverse. Combien de conflits ont pour origine l’imprécision des mots ; les sens différents attribués par divers interlocuteurs…
MATHéMATIQUES ET ENGAGEMENT

Que peut le mathématicien dans cet environnement délétère sinon s’engager ? Michel Broué ne fait pas mystère de son adhésion au mouvement trotskiste par conviction personnelle et par amitié pour de grandes figures telle celle du grand mathématicien Laurent Schwarz, qui fut son professeur et dont les multiples combats pour la liberté et la dignité humaine se sont déployés sur de nombreux terrains aux côtés de personnalités de toutes origines.

Quant à David Hilbert, mathématicien allemand, figure emblématique du savant, il définit ainsi lors du congrès international de 1928 à Bologne, cette science dont il est l’un des éminents représentants. « Les mathématiques ne connaissent ni les races ni les frontières géographiques ; pour elles le monde de la culture est l’unique pays »
C’est là une traduction de l’idéal universel qui sous-tend cette science réunissant dans la même recherche des êtres de diverses nationalités et constitue, toujours selon Michel Broué, une « merveille universelle, …dentelle de la civilisation, (un) antidote de tous les nationalismes »
L’universalisme qui apparait au mathématicien comme une valeur essentielle « consiste d’abord à considérer qu’il y a une commune nature humaine et donc une intangible morale : tous les êtres humains, de tous âges, doivent être libres et respectés « en dignité et en droits ». Cet universalisme -là s’oppose frontalement» à toutes les formes de nationalisme.
UNE BELLE RENCONTRE
Lorsqu’on n’est pas soi-même mathématicien-ne, on peut être au départ un peu dérouté-e par ce livre qui, allant « à sauts et à gambades » selon la belle expression que Montaigne appliquait à la poésie, démonte toutes les idées reçues en abordant, pêle mêle, toute une série de sujets les plus disparates dans des chapitres qui reviennent comme des leitmotivs sous le titre générique : Petite agitation de certitudes agrémentés de sous-titres tels que l’intuition des platistes ou encore : un avion peut-il aller tout droit ? J’en passe et des meilleurs.
Mais, pour peu que l’on accepte de jouer le jeu, et de suivre pas à pas ce livre touffu et foisonnant tout nourri de références évoquant les œuvres de mathématiciens et de penseurs le plus divers pour nous permettre d’aller plus loin dans la réflexion, on découvre que « la singularité des résultats mathématiques qui apparaissent comme « des vérités éternelles » rend plus aigu le sentiment de prolonger une œuvre, d’être un maillon dans l’histoire de l’humanité tout entière » et qu’elles sont de nature à nous donner des outils pour devenir des hommes et des femmes plus accomplis car il n’est nul besoin « d’être agrégé en mathématiques pour se méfier de ses certitudes, distinguer un nombre d’un fait, une convention d’une vérité, bref appliquer la méthode scientifique».

Laissons, après cette belle lecture, le mot de la fin à un autre éminent mathématicien, Henri Poincaré que cite notre auteur : « La liberté est pour la science ce que l’air est pour l’animal. La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes».
Une superbe conclusion à garder ne mémoire après ce beau livre !
