Les vertus miraculeuses de l’urine

Publié par Université de Montpellier UM, le 16 octobre 2019   1.6k

Quand scientifiques et entrepreneurs écolo s’associent pour revisiter le miracle de l’eau changée en vin cela donne une cuvée très spéciale nommée « J’irai pisser sur vos vignes ». Ou comment les nutriments présents dans nos urines peuvent être valorisés comme engrais pour les vignes. Évangile du projet Valurine selon Marc Héran, chercheur à l’Institut européen des membranes (IEM).

Les français consomment de l’eau potable, beaucoup d’eau potable, dont 20 % uniquement pour tirer la chasse d’eau. De l’eau qu’il faut ensuite acheminer à nos stations d’épuration, traiter et restituer à nos milieux naturels. Un cercle peu vertueux au coût financier, énergétique et environnemental faramineux.

« Nous commençons tout juste avec l’eau la réflexion que nous avons eue avec les déchets il y a vingt ans, en mettant en place les filières de recyclage, compare Marc Héran, chercheur à l’IEM. Pour les eaux usées, la question est pourtant similaire : est-ce qu’on ne peut pas récupérer les nutriments qu’elles contiennent pour faire de l’irrigation par exemple ? »

Une expérience que ce spécialiste du traitement de l’eau mène depuis l’année dernière avec l’entreprise montpelliéraine Ecosec, et le domaine viticole de la Jasse situé à Combaillaux. Pendant deux ans, deux parcelles de vignes vont ainsi être irriguées avec des engrais à base d’urine récoltée dans des toilettes sèches installées dans le village héraultais et spécialement conçues par Ecosec pour séparer les urines et les fèces. Un projet nommé Valurine.

De l’urine à l’engrais

« Sans aucun doute, la transition écologique arrive et s’accomplira. Cette prise de conscience relative à nos modes de consommation et leurs dépendances vis-à-vis des énergies fossiles et des matières premières est un sujet d’actualité majeur », souligne le chercheur.

« On trouve dans nos urines la plupart des nutriments utilisés comme engrais pour les plantes : de l’azote, du phosphore, du potassium… » explique Marc Héran. Le phosphore, indispensable aux plantes, est « un engrais permettant d’atteindre un haut rendement agricole. Nous allons le chercher dans les mines de phosphate, et nous en puisons de plus en plus ». Une ressource limitée dont l’épuisement pourrait conduire dans les prochaines décennies à une crise de l’agriculture mondiale.

« L’azote par contre est une ressource illimitée, explique le chercheur, parce qu’il est présent dans l’atmosphère. En revanche son cycle est extrêmement énergivore. » Les stations d’épuration ont en effet obligation de traiter l’azote avant leur rejet en milieu naturel pour limiter le phénomène d’eutrophisation (lire encadré plus bas). Transformé en gaz, l’azote repart dans l’atmosphère avant d’être de nouveau capté et retransformé en azote liquide pour servir d’engrais.

Des contrôles stricts

Reste à savoir comment bien utiliser ces urines. Les urines peuvent en effet contenir des micropolluants et des agents pathogènes, une hygiénisation et un contrôle sont donc assurés tout au long du processus de transformation. « Nous n’avons vu aucune internisation des pathogènes dans les plantes, quant aux micropolluants nous sommes en dessous des seuils de détection » assure Marc Héran.

Autre objectif de l’opération, optimiser la gestion du volume des urines, onéreux à stocker et transporter. Pour limiter ces coûts, le projet Valurine expérimente plusieurs procédés. La production de struvite, un extrait d’urine en poudre, et la concentration de l’urine par nitrification/distillation. « La struvite est extraite grâce à un process simple de précipitation, qui permet de récupérer plus de 90 % du phosphate et un peu d’azote sous forme de poudre, grâce à l’ajout de magnésium dans l’urine qui produit un précipité. »

La concentration de l’urine demande un peu plus de savoir-faire car celle-ci doit d’abord être nitrifiée comme l’explique Marc Héran : « Cela consiste à stabiliser l’azote présent dans l’urine sous forme d’ammonium en le transformant en nitrate. » L’urine est ensuite distillée « pour conserver la totalité des nutriments dans seulement 5-10 % du volume initial ».

La fin du tout-à-l’égout

Une fois concentrée en solution ou sous forme de poudre, ou tout simplement utilisée telle quelle, l’urine est prête pour une irrigation en plein champs effectuée par goutte-à-goutte. Un petit miracle qui a permis la production des toutes premières bouteilles de vin issues de ce processus de fertilisation. Une cuvée bien nommée : « J’irai pisser sur vos vignes » ou l’histoire d’un éternel recommencement où rien ne se perd, rien ne se crée, tout se valorise. « L’urine peut changer la face de l’agriculture mais aussi celle de notre planète, le 21e siècle sera la fin du tout-à-l’égout » conclut le chercheur.


L’eutrophisation, asphyxie des écosystèmes

La croissance des villes fait qu’aujourd’hui, les stations d’épuration rejettent des volumes d’eau colossaux et « avec encore beaucoup trop de nutriments pour que les rivières puissent en assurer l’auto-épuration comme c’était encore le cas il y a 50 ans, explique Marc Héran. Les algues se développent de manière intense, la lumière ne passe plus, elles meurent, fermentent provoquant l’asphyxie des écosystèmes. » Un phénomène connu sous le nom d’eutrophisation qui a conduit les autorités à imposer aux stations d’épuration des normes relatives au rejet de l’azote et du phosphore.