Les secrets des tardigrades, ces Pokémons cosmiques

Publié par Université de Montpellier UM, le 17 janvier 2019   1.3k

Illustration d’un tardigrade. ©shutterstock

Michel Cassé, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – Université Paris-Saclay et Simon Galas, Université de Montpellier

Ils sont griffus et mythologiquement beaux. Les tardigrades, microscopiques invertébrés aux allures de Pokémons, sont créatures terrestres. Mais si demain on découvrait la vie, ailleurs, sur une autre planète, on pourrait fort bien les trouver lovés au chaud, ou au froid, dans d’extraterrestres cocons.

Et pour cause. Grâce à leur capacité de survie dans les conditions les plus hostiles et d’adaptation aux fluctuations environnementales les plus extrêmes, ces organismes poussent très loin l’art de survivre. Sur Terre, les tardigrades résistent à tout : même gelés, bouillis, desséchés, irradiés, écrasés, empoisonnés, ils vivent leur vie. En somme, nous avons affaire à une espèce vivante cosmiquement privilégiée. N’hésitons pas, alors, à les qualifier d’intelligents puisque cette qualité est relative aux capacités d’adaptation des êtres vivants. Bien supérieurs, en tout cas, aux robots dotés d’une bien mal-nommée intelligence artificielle.

Un tardigrade Hypsibius dujardini grossi 800X en microscopie électronique à balayage. Author, Author provided

La vie suspendue

Quel est le secret de cette résilience ? Les tardigrades ont plusieurs stratégies qui, lorsqu’elles sont combinées, leur permettent d’accomplir une merveille : revenir littéralement à la vie après une période de vie suspendue à l’état de cristal vivant, que l’on appelle en science l’état anhydrobiotique. Leur organisme peut ainsi perdre toute leur eau quand l’environnement s’assèche, il n’a alors plus de métabolisme. Mais, après réhydratation, il ressuscite ! Cela, grâce à des protéines spécifiques, ou encore des sucres, qui dans son corps remplacent l’eau (le thréalose).

Ce n’est pas tout. Durant leur état de vie suspendue, les tardigrades peuvent être soumis à des agressions extrêmement violentes, comme celles produites par l’irradiation par rayons X. Pour y pallier, des protéines protègent l’ADN de ces micro-organismes (on les a aussi repérées, dans le corps humain, comme agents protecteurs du tissu rénal).

Malgré cela, il arrive que ces beaux endormis subissent des dommages. Mais ils pourront se réparer le moment venu par un ensemble d’enzymes agissant comme des chirurgiens moléculaires de l’ADN.

Si l’on se résume, les tardigrades peuvent mettre en œuvre pour leur survie :

  • Une perte quasi totale de l’eau du corps qui limite les attaques de l’ADN par hydrolyse de l’eau.

  • La fabrication de protéines capables de vitrifier l’animal à mesure qu’il perd son eau. Ces protéines sont capables de le protéger des bactéries et des levures de la dessiccation.

  • La fabrication de protéines protectrices de l’ADN agissant comme des parapluies moléculaires.

  • L’expression d’enzymes réparatrices des dégâts accumulés par l’ADN lors du réveil à la vie. Condition pour pouvoir ressusciter normalement, les tardigrades ont besoin d’avoir gardé leurs muscles en bon état de fonctionnement. Une prouesse moléculaire, et sportive.

Les tardigrades sont aussi connus pour leurs capacités de survie à une exposition au vide. On l’a testé en laboratoire, mais c’est une mission spatiale qui a finalement démontré la capacité des tardigrades à résister à l’hostilité du cosmos.

Un tardigrade Hypsibius dujardini déshydraté en état de résistance ou anhydrobiose grossi 900X en microscopie confocale laser. Author, Author provided

Vide spatial et rayonnements

C’était en septembre 2007. La mission Foton-M3 de l’ESA et sa plate-forme Biopan-6 a permis d’exposer des tardigrades au vide spatial et aux rayonnements solaires ionisants, UV et cosmiques durant 10 jours en orbite terrestre basse. Durant cette expérience, les tardigrades ont été exposés à des rayonnements pouvant atteindre 7 000 kilojoules/mètre carré soit mille fois plus qu’au niveau de la mer. Malgré ces conditions extrêmes, les tardigrades ont été capables de récupérer une activité normale après leur retour sur Terre et leurs descendants sont toujours élevés dans les laboratoires.

La surprise est toujours grande pour le scientifique lorsque des organismes qui sont soumis expérimentalement à des environnements hostiles qui n’existent plus sur notre planète ou sont inaccessibles au vivant y résistent malgré tout. Dans ce dernier cas, la question de l’origine et de l’évolution de ces résistances extrêmes devient souvent une question fondamentale. Aujourd’hui, les tardigrades ont démontré aux scientifiques leurs incroyables capacités de résistance à des stress normalement inaccessibles. Ils ont par exemple survécu à une exposition à une pression jusqu’à 7,5 GPa (Ono et coll., Journal of Physics : Conference Series 2012 ; 377 : 012053-6p. ; URL :). Cette pression correspond à celle qui prévaut à une profondeur de 180 km dans le manteau terrestre. Classiquement, les protéines perdent leur structure secondaire, et donc leur fonction, à une pression de 2 000 MPa et les bactéries connues comme les plus robustes aux stress comme Deinococcus radiodurans arrivent à résister à une pression de seulement 600 MPa.

Revenons-en au lointain cosmos. Une publication, « Earth-like and tardigrade survey of exoplanets », indique clairement que les tardigrades à l’état vivant ou en état anhydrobiotique sont susceptibles de survivre dans les conditions environnementales des exoplanètes sélectionnées sur la base de leur degré de similitudes physiques et chimiques avec celle de la Terre. Sur les 1 000 espèces connues de tardigrades, certaines présentent des résistances plus élevées que d’autres aux stress.

Un grand voyage dans le cosmos

Même si la survie possible des Tardigrades sur ces exoplanètes est envisageable, encore faut-il qu’ils s’y rendent. La question de la survie des tardigrades à un voyage dans le cosmos a été évaluée. Ce n’est pas là une possibilité théorique : avec les nombreux objets qui quittent la Terre et y reviennent, des tardigrades sont éventuellement capables de participer à ces voyages organisés par l’humain et de créer ainsi un nouvel espace d’évolution pour ses espèces.

Dernière question ouverte pour le grand voyage : il a été observé que l’ADN des tardigrades subit des fragmentations qui s’accumulent au cours du temps passé en anhydrobiose. Même si ces altérations de l’ADN sont réparées par les tardigrades au moment de leur réveil par rehydratation, la question de l’insertion de molécules d’ADN étranger au cours du processus de réparation de l’ADN pose la question de la possibilité de l’acquisition de fragments de génomes étrangers et donc de la modification des espèces. Ce processus d’acquisition particulier est connu sous le nom de transfert horizontal de gènes (HGT) et permet l’évolution de certains génomes sans passer par la case reproduction sexuée (Transfert Vertical de Gènes).

Sur la Terre, sous la terre et comme au ciel, officient et besognent les tardigrades, nous adressons à nos successeurs probables hommages et compliments.The Conversation

Michel Cassé, Astrophysicien et écrivain, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – Université Paris-Saclay et Simon Galas, Professeur de Génétique et de Biologie moléculaire de l'Aging, CNRS - Faculté de Pharmacie, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.