Les étiquettes de vin, c’est pas (toujours) du chinois !

Publié par Université de Montpellier UM, le 2 octobre 2019   1k

Certains signes restent intelligibles, quelle que soit la culture locale. XiXinXing / Adobestock

Franck Celhay, Montpellier Business School – UGEI et Josselin Masson, Université de Montpellier

La Chine demeure l’un des marchés les plus prometteurs pour la filière vin. Selon une étude récente, ce pays devrait être le deuxième marché de consommation le plus important à l’échelle mondiale en 2021. Les principaux pays exportateurs doivent comprendre cette clientèle pour tenter de s’y imposer. Ils ont notamment besoin de réfléchir à la création de designs d’étiquettes les plus « parlants » possible.

En effet, il est généralement admis que les choix graphiques effectués en matière de design du packaging permettent de communiquer des valeurs, une promesse voire un storytelling de marque aux consommateurs. Cependant, une question demeure : comment ce langage visuel est-il compris lorsque le packaging s’exporte dans un pays culturellement différent, comme la Chine ?

Des signes intelligibles à travers les cultures

Pour répondre à cette question, nous avons mené une recherche explorant l’interprétation de 8 designs d’étiquettes de vin par des consommateurs chinois. Ces 8 étiquettes, créées par un graphiste français, visent à communiquer 8 storytellings de marque fréquemment observés en Chine continentale : le vin « festif » (bouteille 1) ; « romantique » (bouteille 2), « ancestral » (bouteille 3) ; « libérateur » (bouteille 4) ; « naturel » (bouteille 5) ; « paysan » (bouteille 6) ; « poétique » (bouteille 7) ; et enfin, le vin « de château » (bouteille 8).

Figure 1 : bouteilles de vin testées.

Deux études empiriques ont ensuite été réalisées auprès de consommateurs chinois pour vérifier la perception des bouteilles de vin selon une tâche de libre association de mots. La première étude a été réalisée auprès d’un échantillon de 1391 consommateurs de vins importés avec des étiquettes mentionnant l’origine « Bordeaux ». La seconde étude a été réalisée auprès d’un échantillon de 795 répondants incluant des non-consommateurs de vin, avec des étiquettes où l’origine du vin est masquée (cf. figure 2).

Figure 2 : exemple de retouche pour rendre anonyme l’origine du vin.

Pour chaque étude, les répondants devaient évaluer 4 bouteilles présentées de façon aléatoire. Au total, 5564 et 3180 réponses en mandarin ont été collectées dans le cadre des 2 études. Les réponses ont été traduites du mandarin vers l’anglais puis ont été analysées avec le logiciel Sphinx quali (cf. figure 3).

Figure 3 : analyse des correspondances.

La carte présentée figure 3 se lit comme suit : la position des différentes bouteilles est indiquée par des triangles et annotée B1 à B8. Les mots sur la carte indiquent les différentes associations d’idées générées par les différentes bouteilles. Lorsque les bouteilles sont éloignées les unes des autres sur la carte, cela signifie qu’elles génèrent des associations d’idées différentes et sont bien différenciées (par exemple B4 associée au thème « évasion » ou B2 associée au thème « romance »), lorsque les bouteilles sont proches les unes des autres sur la carte, cela signifie qu’elles partagent un certain nombre d’associations d’idées et communiquent des images de marque similaires (par exemple B3, B6 et B8 sont associées aux thèmes « tradition » et « ancienneté »).

La motivation des signes

Les résultats révèlent que, pour 7 des 8 bouteilles testées, les répondants chinois ont été capables de comprendre l’intention de communication du designer français, y compris chez des personnes qui ne sont familières ni de la culture du vin, ni de la culture occidentale.

L’explication réside dans le fait que les 7 bouteilles « comprises » utilisent des signes « motivés », tandis que la bouteille « non comprise » utilise des signes « arbitraires ». Un signe motivé est un signe dont la signification repose sur une certaine logique. Il est donc possible d’en deviner le sens sans avoir appris sa signification au préalable. De tels signes peuvent rester intelligibles à travers les cultures. Inversement, un signe arbitraire relève d’une convention culturelle et n’est basé sur aucune forme de logique. Aussi, il n’est pas possible d’en deviner le sens pour une personne issue d’une autre culture.

Par exemple, la bouteille 3 (le vin « ancestral ») est associée spontanément à des thèmes tels qu’« ancienneté » et « tradition » (figure 3). Cette bouteille utilise un papier jauni pour son étiquette. Il s’agit d’un cas de signe motivé car le papier jaunit avec le temps. L’association entre le « papier jauni » et la notion d’« ancienneté » repose donc sur une forme de logique qui reste intelligible pour toute culture maîtrisant la production de papier.

Inversement, pour communiquer l’idée d’un vin « poétique » (bouteille 7), le designer a choisi de reproduire un poème sur l’étiquette dans une police de caractères scripte rapide pouvant évoquer l’écriture à la plume d’un artiste. Du point de vue de répondants chinois, ni la reproduction du poème, ni la police de caractères ne peuvent être considérées comme des cas de signes motivés. À l’exception de ceux ayant appris le français, les consommateurs chinois ne peuvent lire le contenu de l’étiquette et donc comprendre la nature poétique du texte reproduit. De même, qu’ils ne peuvent pas comprendre les significations associées aux différents styles de polices de caractères latines puisqu’ils utilisent un système d’écriture différent.

Le packaging « localisé » remis en cause

Ces résultats sont intéressants car ils remettent en question : (1) l’idée selon laquelle les signes visuels ont forcément des significations différentes d’une culture à une autre et (2) la recommandation induite selon laquelle il est indispensable de « localiser » le packaging, c’est-à-dire adapter son design aux différentes cultures vers lesquelles il sera exporté.

Cette idée s’appuie généralement sur le célèbre exemple selon lequel le blanc aurait des significations positives dans les pays occidentaux (telle que la pureté) mais négatives dans les pays asiatiques (telle que la mort). S’il a le mérite d’être frappant et d’attirer l’attention sur la notion de différences culturelles, cet exemple est par ailleurs trop simpliste et produit donc une recommandation générale (localiser les packagings) qui n’est pas toujours pertinente.

Dans la plupart des cultures, les couleurs ont des significations positives ET négatives, qui pourront s’activer (ou pas) selon le contexte et leurs articulations avec d’autres signes. Ainsi, le blanc peut AUSSI renvoyer à la mort en Occident si l’on regarde par exemple la représentation visuelle des expériences de mort imminente (lumière blanche au bout du tunnel) ou des fantômes (linceul blanc). Par ailleurs, dans de nombreuses situations de marché, le consommateur (qu’il soit asiatique ou occidental) cherche à consommer des produits qu’il perçoit comme exotiques. Localiser le packaging dans de telles situations entraîne une perte d’authenticité perçue et vient diminuer l’attrait du produit.

Nos résultats montrent que le design d’un packaging peut rester intelligible auprès de cultures très différentes s’il utilise des signes motivés. Il est donc possible de concevoir un design qui reste typique de son origine et en même temps qui reste compréhensible sur ses marchés exports.

Par ailleurs, les résultats indiquent que les consommateurs chinois peuvent apprécier des styles d’étiquettes différents du classique vin « de château » (cf bouteille 8). En effet, toutes les étiquettes sont associées dans des proportions équivalentes aux thématiques « haut de gamme » et « bonne qualité » (au centre de la carte présentée figure 3). Il semble donc possible de diversifier les stratégies de positionnement des vins français en adoptant des designs d’étiquettes plus variés. Cela permettrait de mieux répondre à la diversification des segments de consommateurs chinois que différentes études récentes ont pu révéler.


Peiyao Cheng, chercheuse au département design de Harbin Institute of Technology, et Wenhua li, chercheuse à la Guangzhou Academy of Fine Art, ont participé à la rédaction de cet article.The Conversation

Franck Celhay, Associate professor, Montpellier Business School – UGEI et Josselin Masson, Maître de conférences en marketing, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.