La vie cachée de nos gènes

Publié par Université de Montpellier UM, le 31 octobre 2018   1.4k

Alors que la génétique correspond à l'étude des gènes, l'épigénétique s'intéresse à la façon dont ces gènes vont s'exprimer. Une discipline porteuse d’espoir qui ouvre un nouvel horizon à la recherche médicale.

En 2001, un chaton pas comme les autres a fait la une des journaux du monde entier. Son nom : carbon copy. Sa particularité ? Cette boule de poil est un clone. Elle possède exactement le même patrimoine génétique que la chatte dont elle est issue. Une caractéristique qui ne saute pourtant pas aux yeux : si les deux félins ont exactement le même ADN, ils n’ont pas le même pelage. Comment deux clones, porteurs des mêmes gènes, peuvent-ils être ainsi différents ? « L’hérédité ne se réduit pas à nos seuls gènes, car l’ADN n’est pas porteur de toute l’information », répond Giacomo Cavalli. C’est là la clé de cette surprenante différence de fourrure : l’épigénétique.

L’épigénétique, c’est l’étude des changements dans l’activité des gènes qui ne sont pas liés à des modifications de la séquence d’ADN. « La fonction des gènes ne dépend pas seulement de la séquence primaire mais aussi d’un certain nombre de modifications du chromosome », précise le chercheur de l’Institut de génétique humaine (IGH). Ces modifications correspondent à des marques biochimiques apposées par des enzymes spécialisées sur l’ADN ou sur des protéines appelées les histones qui sont chargées de compacter l’ADN afin de pouvoir le loger dans le noyau de la cellule. Un même génome peut donc s’exprimer différemment en fonction des modifications épigénétiques.

Identiques mais différents

Si ces modifications jouent un rôle majeur lors du développement de l’embryon, elles surviennent également tout au long de la vie, notamment sous l’influence de l’environnement : ce que l’on mange, ce que l’on boit, les produits auxquels l’on s’expose provoquent des modifications épigénétiques qui affectent notre biologie… et peut-être aussi celle de notre descendance. « L’épigénétique est un mécanisme d’héritage qui s’additionne à l’héritage génétique », explique Frédéric Bantignies de l’IGH.

Les deux chercheurs ont ainsi découvert un nouveau mécanisme d’hérédité épigénétique chez la drosophile. En modifiant la structure des chromosomes au niveau des gènes qui produisent les pigments de l’œil, ils ont obtenu des mouches ayant strictement le même ADN, mais dont la couleur des yeux était variable. Ils ont ensuite observé la descendance de ces drosophiles et se sont aperçus que ce changement dans la couleur des yeux était transmis à leur progéniture.

Les modifications épigénétiques que nous portons sont-elles également transmises à nos enfants et petits-enfants ? C’est ce que suggèrent certaines études d’observation des populations comme celle des « mères hollandaises », un groupe de femmes enceintes exposées à la famine pendant la deuxième guerre mondiale. Sous-alimentées, ces femmes ont donné naissance à des bébés de faible poids. La famine terminée, ces enfants ont grandi avec une alimentation normale, pourtant lorsqu’ils ont eu des enfants à leur tour, ils ont donné naissance à des bébés de petit poids. « Les effets de la sous-nutrition sur ces femmes se sont répercutés sur leurs petits-enfants alors même qu’ils n’affectent pas la séquence d’ADN, il s’agit donc de modifications épigénétiques », explique Giacomo Cavalli.

Espoir thérapeutique

Sommes-nous dans ce cas façonnés par les comportements de nos grands-parents et les modifications épigénétiques induites par leur environnement ? « En réalité il semble que très peu de ces modifications épigénétiques soient transmises au fil des générations, et on ne sait pas encore comment », répond Frédéric Bantignies. « C’est tout un pan des mécanismes d’hérédité qui demeure inconnu », complète Giacomo Cavalli.

C’est aussi tout un pan de la recherche médical qui s’ouvre à de nouvelles perspectives. « Les modifications épigénétiques jouent un rôle dans le développement de certaines maladies comme l’obésité, le diabète ou le cancer », expliquent les chercheurs. Contrairement aux phénomènes qui affectent le génome, ces variations épigénétiques peuvent être « effacées » par des traitements chimiques, ce qui offre l’espoir de nouveaux traitements. « Il existe déjà des médicaments épigénétiques qui sont à l’essai pour traiter certains cancers », précisent les chercheurs. Des épimédicaments qui permettront peut-être un jour de soigner des maladies contre lesquels nous sommes à ce jour impuissants.


Au cœur de nos cellules

Chaque cellule de notre corps contient dans son noyau l’ensemble de notre patrimoine génétique : 46 chromosomes sur lesquels on compte environ 25 000 gènes. Un gène est un segment d’ADN qui contient l’information nécessaire à la synthèse des molécules qui constituent l’organisme. Mais pour que cette synthèse ait lieu, le gène doit être lisible. C’est là qu’interviennent les modifications épigénétiques : en apposant des marques biochimiques sur l’ADN, elles peuvent modifier la lisibilité du gène, et donc modifier son expression. C’est notamment ce qui explique que l’ensemble des cellules de notre organisme – qui ont toutes le même génome – ne sont pas similaires. Une cellule de peau diffère ainsi d’un neurone qui lui-même n’a pas les mêmes fonctions qu’une cellule cardiaque, alors même qu’elles partagent strictement le même ADN.