La mer sans les Hommes

Publié par Université de Montpellier UM, le 8 septembre 2020   650

© Laurent Ballesta

Que se passe-t-il en mer quand l’Homme est chassé du littoral ? Une mission unique, menée par des chercheurs du laboratoire Biodiversité marine, exploitation et conservation (MARBEC / Université de Montpellier, IRD, CNRS, Ifremer), doit permettre d’évaluer le retour de la faune marine en période de confinement.

Pas un bateau à perte de vue. Des plages désertées. Personne en mer. Personne sauf l’équipe de David Mouillot et Julie Deter avec leurs chercheurs, techniciens et plongeurs. « Nous avons vécu des scènes lunaires, de fin du monde. Le littoral complètement vide, c’était du jamais vu », raconte le biologiste marin. Cette équipe fait partie des rares élus qui ont pu sillonner la Méditerranée pendant cette période très particulière du confinement. Objectif : étudier la biodiversité marine en l’absence de toute activité humaine.

État de référence

« C’était une formidable occasion d’obtenir un vrai état de référence du milieu marin préservé temporairement de la présence humaine. Cette référence permettra notamment de mesurer plus précisément l’état de dégradation de la biodiversité marine et l’effet des protections mises en place ». Avant cet épisode de confinement, seules les réserves permettaient d’avoir un aperçu de ce qu’est la mer sans les Hommes. « Un aperçu très approximatif, car comme nous l’avons déjà montré, seules les rares réserves situées loin de l’homme sont suffisamment épargnées, les autres n’offrent qu’un pâle reflet de ce que serait la biodiversité en l’absence de présence humaine » souligne David Mouillot.

En partenariat avec Andromède Océanologie et SpyGen, deux entreprises en lien étroit avec l’UM et MARBEC, le financement de l’Agence de l’eau, et le feu vert de la préfecture maritime, une dizaine de scientifiques ont embarqué pendant 1 mois et demi pour une campagne d’observation unique. « Grâce aussi à l’implication et la réactivité de l’Université de Montpellier et de notre laboratoire qui nous ont soutenu dans ce projet audacieux ». 

Un projet audacieux

Une fois en mer, l’équipe a déployé plusieurs types d’outils pour appréhender la diversité marine. « Des outils visuels d’une part, grâce aux plongeurs sous-marins qui ont filmé des images exceptionnelles ». Les chercheurs ont également utilisé des hydrophones pour écouter les bruits de la mer. « En temps normal ces enregistrements sont parasités par les bruits humains comme les moteurs de bateau », explique David Mouillot.

L’expédition a enfin utilisé un outil innovant déployé avec la société SpyGen : l’analyse de l’ADN environnemental. Le principe : filtrer des échantillons d’eau afin de récupérer l’ADN qui y a été laissé par les organismes vivants. Cet ADN est ensuite comparé avec une base de référence afin de savoir à quelles espèces l’ADN se rapporte. « Cette technique permet de révéler la présence d’espèces rares ou furtives que l’on ne voit jamais en plongée, précise le chercheur. On pourra ainsi savoir si des espèces généralement présentes au fond ou au large se sont rapprochées lors du confinement, nous devrions déceler des changements de comportements ».

Des images exceptionnelles

Cet inventaire, cette même équipe l’avait déjà effectué en Méditerranée aux printemps 2018 et 2019, périodes auxquelles le confinement relevait encore de la science-fiction. « Une chance ! Nous allons ainsi pouvoir comparer vraiment l’état de la biodiversité marine à la même période avec ou sans activité humaine ».

S’il faudra attendre quelques temps avant d’avoir les résultats des analyses d’ADN environnemental, la mission a d’ores et déjà révélé une Méditerranée qui a bien profité de l’absence de l’Homme. En témoigne ce requin, l’ange de mer (Squatina squatina), évoluant tranquillement sous la caméra du plongeur Laurent Ballesta. « Une espèce qui n’avait pas été observée depuis des années en Méditerranée occidentale ! », s’enthousiasme David Mouillot. Des premiers résultats qui en disent déjà long sur l’impact des activités humaines. « Pêcher, faire de la plaisance, mais aussi simplement se baigner, toutes ces activités ont des conséquences sur les habitants du littoral qui se sont sûrement déconfinés pendant notre confinement ».