Histoire de Flore #3 : Laitue, y es-tu?

Publié par Patrimoine Université Toulouse III - Paul Sabatier, le 12 juillet 2018   2k

Avec les fortes chaleurs, quoi de mieux que de manger des fruits et des légumes ?

Sur vos tables, vous trouverez surement de la laitue (Lactuca sativa). Cette plante de la famille des Astéracées se retrouve dans nos assiettes et dans nos mythes depuis plus de 2000 ans. Et pourquoi ne pas entamer un voyage dans le temps et l'espace autour de la laitue? 


Le dieu Min, Deir el Medina, Egypte

 Notre premier arrêt nous emmène en Égypte, au temps des pharaons.  Du panthéon des dieux égyptiens, nous connaissons généralement Osiris, Isis, Horus et Anubis.  Parmi les autres divinités, se trouve Min, dieu de la sexualité et de la procréation. Sur ses représentations, on peut trouver des ensembles végétaux composés de laitues et de fleurs de nénuphar.  En effet, les Égyptiens voyaient dans la laitue un aliment aphrodisiaque, ce qui est surprenant car le légume a des effets inverses.

La mort d'Adonis, Mazzuoli Guiseppe, Musée de l'Hermitage, 1709, St Petersbourg
La mort d'Adonis, Mazzuoli Guiseppe, Musée de l'Hermitage,
1709, St Petersbourg

Si l’on traverse la Méditerranée, on peut alors remarquer que les Grecs voyaient aussi une relation entre sexualité et laitue.  La plante était liée à la déesse Aphrodite, mais pas comme un remède aux maux d'amour.  Au contraire,
la laitue est connue à cette époque comme provoquant l'impuissance masculine. 

En effet, des mythographes rapportent que la déesse de l’amour charnel aurait caché un de ses amants sous des plants de laitues pour le protéger de la convoitise d’autres déesses ou nymphes. Pour Callimaque, c’est le bel Adonis qui est dissimulé, alors que Cratinus un poète plus ancien affirme que c’est Phaon qui est l’amant caché de la déesse.
Dans les deux cas, cette histoire est tragique pour l’amant d’Aphrodite. Celui-ci meurt encorné par un sanglier affamé, désireux de se délecter de feuilles de laitue. 

Ce mythe donne aux yeux des Grecs, et plus tard des Romains, une valeur d’impuissance à la laitue. Amphis, au IVe siècle av. J.-C.,  indique dans un fragment de pièce de théâtre qui nous est parvenu : « Dans les laitues plante détestable (sic) ; car si un homme qui n’a pas soixante ans, s’avisait d’en  manger lorsqu’il a l’intention de voir sa femme, il passerait toute la nuit sans pouvoir remplir ses désirs ».


Les incursions de la laitue dans les mythes et les croyances populaires ne s’arrêtent pas avec la domination du monothéisme .

Dans ses Dialogues, le pape Grégoire le Grand, raconte à la fin du VIe siècle de notre ère, les histoires de la sainteté de certains de ses contemporains. A travers un récit de la vie de l’abbé Equice, il nous présente l’histoire d’une laitue dangereuse.  Une religieuse, ne put s’empêcher de croquer une feuille du légume du jardin de son abbaye, sans penser à bénir le légume. Elle s’effondra aussitôt, tordue de douleur. L’abbé Equice se précipita et fut accueilli par les cris du démon qui parlait à travers la religieuse. « Qu’ai-je fait, moi, qu’ai-je fait ? Je reposais sur cette laitue, elle est venue, elle, et m’a blessé de ses dents » (Dialogues, Livre I, chapitre IV). L’abbé ordonna alors au démon de quitter la « servante du Dieu tout-puissant » et la religieuse put retrouver son corps et ses esprits.

Illustration de Henry J.Ford dans l'ouvrage d'Andrew Lang «The Yellow Fairy Book» de1894

Avec une présence répétée dans les mythes, il n’est donc pas étonnant que la laitue acquiert même dans la culture populaire des vertus magiques. C’est ainsi que l’on retrouve la laitue dans un recueil de contes des frères Grimm. Dans l'histoire de "l’âne-salade", (Krautesel en V.O.), un jeune homme malheureux d’avoir été dupé par des sorcières se transforme en âne après avoir mangé de la laitue verte. En mangeant de la laitue bleue, il retrouve forme humaine. Ces laitues magiques servent ensuite sa vengeance contre celles qui l’ont dupé et volé.

Que la laitue finisse dans un conte qui sera lu aux enfants pour les endormir n'est pas étonnant. Si l'on a accordé plusieurs vertus à cette plante, il est aujourd'hui reconnu que le lactarium, substance blanche contenue dans ses tiges, favorise le sommeil.


Rédaction : Marie Nonclercq

Crédit photo : Marie Nonclercq

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George P. Landow, http://www.victorianweb.org/ar...

Bibliographie :

Plante et Jardin du Moyen Age, Michel Cambornac et Régine Pernoud, Edispo Edition, Paris 1996.

Le Jardin des dieux, Laure de Chantal, Flammmarion, Paris, 2015.

L'amour au temps des pharaons, Florence Maruejol, Edition First, 2011

http://medecineegypte.canalblog.com/pages/le-dieu-min/28214690.html

http://touslescontes.com/biblio/conte.php?iDconte=613

http://remacle.org/bloodwolf/eglise/gregoiregrand/dialogues1.htm