Femmes de Science et de Savoir : L'éternel retour [Saison 1 - 1/3]

Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 22 mars 2020   1.1k

En ces temps de confinement et d'inactivité forcée , saisissons l'occasion de nous pencher sur les sujets qui nous tiennent à coeur. Voici donc l'occasion rêvée d'échanger à propos de l'un d'entre eux  qui m'occupe depuis  longtemps: celui de l'accès des femmes au savoir.


« Nous avons tous besoin d’une permission pour faire de la science mais, pour des raisons profondément ancrées dans notre histoire, cette permission est bien plus souvent donnée aux hommes qu’aux femmes »

Quelle est l’auteure de cette judicieuse remarque ? Une femme aigrie incapable de dépasser sa condition et qui cherche des excuses à son impuissance ? Point du tout. Il s’agit de l’une de nos contemporaines, Véra Lubin, astrophysicienne américaine découvreuse de la matière noire décédée en 2016 après une belle carrière.  

Il ne s’agit pas ici de ressusciter de vieilles querelles mais d’évoquer, à partir d’exemples tirés de notre passé, les conditions d’accès à la science et au savoir pour les femmes.

Et, tout juste avant de commencer, trois anecdotes significatives. On est en 1965, autrement dit hier.

1 ) Lorsque Georges Gamow, son directeur de thèse, invite Véra Lubin au laboratoire de physique appliquée où il exerce, il la reçoit  dans l’entrée du laboratoire car les femmes ne sont pas autorisées à pénétrer dans les bureaux

2) A cette même date, elle est la première femme autorisée à travailler à l’Observatoire du Mont Palomar. La raison évoquée pour cette exclusion ? Dans ce lieu emblématique, Il n’y a pas de toilettes pour femmes. Un alibi qui a déjà servi à plusieurs reprises pour écarter des femmes des lieux stratégiques, mais ceci est une autre histoire.

3) Lorsque Véra Lubin est recrutée à l’Institut Carnegie, elle demande à pouvoir quitter son bureau à 15 heures pour s’occuper de ses enfants. Son salaire est, de ce fait, réduit d’un tiers alors qu’elle travaille le même nombre d’heures que ses collègues masculins. Moyennant cette concession salariale, elle peut désormais faire partie de l’armada des femmes menant, tambour battant, leur double tâche.

 

Qu’est-ce qui est en mesure d’expliquer cette exclusion des femmes ?

La philosophe et essayiste Elisabeth Badinter analyse ainsi le phénomène : Il faut se souvenir « que les trois grandes religions monothéistes ont partie liée avec le patriarcat »[1].  C’est en effet dans la société patriarcale que résident les racines de la violence instaurant, de manière durable, l’inégalité entre les hommes et les femmes. Le monde des êtres humains est coupé en deux : l’extérieur pour lui, le foyer pour elle. « La société qui attribue des rôles à chacun des sexes tend à les présenter comme innés » créant ainsi une symétrie qui s’est instaurée, selon l’anthropologue Maurice Godelier,  il y a des milliers d’années.

Membres d’une société d’ordres déterminant le rôle qu’elles doivent jouer et le lieu où elles peuvent agir, les femmes ont longtemps appartenu à l’ordre du père, du mari ou de n’importe quel homme de leur famille. Eternelles mineures, par nature inférieures aux hommes, elles ont été soumises à leur autorité et, sous couvert d’une idolâtrie quasi mystique pour la Mère, l’Epouse ou l’Inspiratrice « enfermées dans ces trois rôles  sans possibilité pour elles de s’en échapper »[2]  

L’idéal que leur offre la société patriarcale : la procréation. Leur modèle : Marie, mère de Jésus, à l’exclusion d’Eve, née en seconde intention de l’oeuvre d’un Créateur misogyne à partir d’une côte d’Adam et réputée coupable d’avoir voulu goûter au fruit de l’arbre de la connaissance, causant ainsi le malheur de l’espèce humaine.

Ce crime qui, si l’on en croit la Bible, a privé les êtres humains de la félicité éternelle, les femmes n’ont jamais renoncé à le commettre.  Depuis toujours, elles ont manifesté un vif intérêt pour les choses de l’esprit et de la culture. Malgré tous les obstacles rencontrés, les femmes de savoir ont couvert toutes les époques, de l’Antiquité à nos jours, et se sont illustrées dans tous les domaines de la connaissance : mathématiques, astronomie, physique, chimie, médecine, pharmacie, obstétrique, alchimie, géologie, minéralogie, sciences naturelles….

[1] Elisabeth Badinter : la laïcité, un enjeu pour les femmes, p.50. In Laïcité : un enjeu sur la voie de l’émancipation

[2] Benoîte Groult : Le féminisme au masculin

Tableau de  Michel Ange